Blessés, lors de l'assaut de Saint-Denis, trois sans-papiers demandent un geste de la France
Deux membres du "commando des terrasses" du 13 novembre s'étaient cachés dans leur immeuble de Saint-Denis. Réveillés par un déluge de feu, blessés par les balles de la police puis menacés d'expulsion, trois sans-papiers viennent d'être régularisés mais attendent encore d'être reconnus comme victimes.
Les fenêtres sont murées, des barrières empêchent d'accéder à l'immeuble de quatre étages situé en plein centre-ville de Saint-Denis, à l'angle des rues du Corbillon et de la République.
Mohamed, un Egyptien de 26 ans, désigne la fenêtre du studio qu'il occupait avec son colocataire au troisième étage et mime ce qu'il y a vécu. Avec un seul bras. L'autre est maintenu en écharpe. Il a été transpercé par une balle des forces d'élite de la police.
Le 18 novembre, à 4h20, le Raid lance l'assaut contre l'appartement jouxtant celui de Mohamed. C'est là que se cachent depuis quelques heures le cerveau présumé des attentats du 13 novembre (130 morts), Abdelhamid Abaaoud, son complice Chakib Akrouh et la cousine d'Abaaoud, Hasna Aït-Boulahcen.
L'opération, préparée dans l'urgence, conduit à un siège de plusieurs heures d'une extrême violence. Les trois occupants mourront dans l'assaut.
Dans la confusion, Mohamed et deux voisins -Ahmed, Egyptien de 63 ans, et Nourredine, Marocain de 31 ans- sont blessés au bras par des "tirs de neutralisation".
Sous la mitraille et les explosions, le mur qui sépare l'appartement de Mohamed de celui des djihadistes s'effondre. Quand les policiers fouillent la planque, vers 11h, ils s'imaginent qu'il s'agit d'un seul appartement, et que Mohamed et son colocataire, terrés dans leur salle de bain, se trouvaient avec le commando.
Le jeune Egyptien raconte avec une colère rentrée l'interpellation, l'ordre de retirer tous ses vêtements, la tête plaquée au sol, les gestes brusques sans égards pour sa blessure. Opéré à plusieurs reprises, il doit subir une nouvelle intervention prochainement.
Ahmed et Nourredine ont vécu en substance les mêmes scènes. Musulman non pratiquant, Nourredine raconte avoir "fait une prière cette nuit-là": "Je me suis dit +Ils (les policiers) sont là pour massacrer tout le monde+".
En tout, six voisins des djihadistes, tous en situation irrégulière, dont les trois blessés par balle, seront interrogés à l'hôpital -"attaché au lit", selon Mohamed- ou dans les locaux de la police antiterroriste. "Ils ne nous respectaient pas, ils nous ont pris pour des terroristes", relate Nourredine.
Ils sont relâchés au bout de plusieurs jours, sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux. Le cauchemar n'est toutefois pas terminé: les autorités leur notifient qu'ils doivent quitter la France. Une menace d'expulsion qui n'ira finalement pas plus loin.
Six mois après l'assaut, Ahmed est hébergé dans un foyer, Mohamed et Nourredine dans un hôtel payé par l'Etat, comme d'autres habitants qui ne peuvent retourner dans l'immeuble dévasté.
L'horizon des trois blessés s'est dégagé en avril, avec un geste des autorités, matérialisé sous la forme d'une carte plastifiée: un titre de séjour d'un an.
L'objectif désormais: faire établir la responsabilité de l'Etat, afin d'obtenir réparation.
"On engage un recours en +responsabilité sans faute+ de l'Etat puisque la blessure a été causée par un tir de neutralisation", explique l'avocat d'Ahmed, Karim Morand-Lahouazi, qui a saisi la justice administrative. Une expertise devra déterminer l'étendue des séquelles de son client. Tout comme Mohamed et Nourredine, il travaillait au noir dans le bâtiment et pourrait perdre une partie de l'usage de son bras.
Outre une indemnisation, Nourredine espère que le sommet de l'Etat les reconnaîtra comme des victimes: "Le président, les ministres ont parlé de tout le monde, des victimes du 13 novembre, mais à aucun moment ils ont parlé de nous. C'est choquant".
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