"Jungle" contre "Lande" : bataille de communication à Calais
"Jungle" contre "Lande", pétition contre site internet institutionnel, le démantèlement du camp de migrants de Calais donne aussi lieu à une bataille de communication, reflet des divergences sur la gestion de la crise migratoire. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a lancé cette semaine un site internet, etat-a-calais.fr, pour promouvoir l'action des pouvoirs publics sur le bidonville, chiffres et vidéos à l'appui. Nulle trace, ici, des photos saisissantes qui ont attiré une attention médiatique considérable sur l'opération: CRS, cabanes en flammes, Iraniens bouche cousue. S'agissait-il dans ce dernier cas d'une manipulation, comme l'avait dénoncé M. Cazeneuve, ou d'une action spontanée? La force des images a presque renvoyé la question au second plan.
Dans cette crise, "il y a une dimension spontanée d'émotion, parce qu'il s'agit de gens qui ont été obligés de fuir leur pays. Or l'émotion est véhiculée par des images. Le dossier de la Jungle, ce n'est pas celui du langage", explique Jérôme Batout, spécialiste de la communication de crise chez Publicis consultants, qui analyse la situation à titre personnel. Signe de cette force de l'émotion, "le site du gouvernement utilise le concept de +mise à l'abri+ mais dans les médias le champ lexical n'est pas le même. On est plus dans le termes de bulldozer, de démantèlement. Les objectifs d'apaisement et d'objectivation ont beaucoup de mal à prendre". Pourtant la communication est un enjeu crucial, estime-t-il, "parce que le grand public n'a aucune expérience de la zone en question, et qu'il est obligé de se la représenter grâce aux médias".
Dans cette bataille médiatique, les associations ont multiplié les critiques depuis plusieurs mois, dénonçant une "politique de l'échec" dans la lignée de Sangatte ou encore cette semaine le "cynisme hors normes" de l'Etat, pour son hostilité à l'ouverture du camp de réfugiés à Grande-Synthe (Nord). Intellectuels et artistes ont aussi pris parti, comme il y a vingt ans lors de l'occupation de l'église Saint-Bernard à Paris. Après un "appel de Calais" signé par 800 personnalités, plusieurs cinéastes ont fustigé lundi 7 "l'échec complet" du gouvernement. "Pendant des années, cette affaire restera comme l'affaire de la Jungle", note M. Batout. Un terme connoté négativement. Les représentants de l'Etat refusent d'ailleurs ce terme et parlent de "Lande" pour décrire le camp de Calais. Les associations ont aussi largement déploré le mode des annonces sur le démantèlement, puisque la préfète avait insisté sur sa volonté de n'utiliser la force qu'en dernier ressort avant de durcir le ton peu après en prenant un arrêté d'expulsion d'office.
"Il y a eu une très mauvaise communication", regrettait fin février Jean-Claude Lenoir, président de l'association d'aide aux migrants Salam, sur LCI, ce qui a fait que "certaines associations et migrants ont voulu montrer qu'ils ne voulaient pas se laisser faire". Pas "par des refus bêtes et stupides", selon lui, "mais par anxiété de leur avenir".
Au-delà du démantèlement, c'est en effet de libre circulation et de choix migratoire qu'il s'agit: aussi insalubre, boueux et dangereux qu'il soit, le bidonville reste un point d'ancrage pour les migrants voulant passer en Grande-Bretagne, et peu tentés pas les solutions proposées par l'Etat - logement, asile... Pour M. Batout, "ceux qui tirent profit de l'affrontement entre des acteurs responsables que sont l'Etat et les associations sont plutôt les radicaux qui vont un peu plus loin, accentuent, dramatisent". M. Cazeneuve a ainsi dénoncé début mars "l'activisme d'une poignée de militants No border" pour empêcher le démantèlement de la Jungle. Mais il est crucial de clarifier le message. "Ce qui se passe à Calais est un sujet de géopolitique importé en France, et qui mal véhiculé et mal compris peut créer des divisions extrêmement fortes dans la société", parce que cela renvoie à la problématique de l'immigration, note-t-il. "Il y a maintenant un champ polémique très installé".
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.