"Un chez soi d'abord" : quand loger les sans-abris revient moins cher que les laisser à la rue

Auteur(s)
La rédaction de FranceSoir.fr avec AFP
Publié le 27 décembre 2016 - 14:30
Image
SDF banc
Crédits
©Ivan Alvarado/Reuters
"Un chez-soi d'abord", propose à des SDF atteints de troubles mentaux un accès direct à un logement ordinaire.
©Ivan Alvarado/Reuters
Son studio du quartier du Panier à Marseille, meublé de bric et de broc, "c'est précieux" pour Guillaume Willm. Après 12 ans dans la rue, ce quinquagénaire a bénéficié du programme des Hôpitaux de Marseille "Un chez-soi d'abord", qui propose à des SDF atteints de troubles mentaux un accès direct à un logement ordinaire.

Comme plus de 700 autres sans-domicile-fixe, Guillaume a intégré le programme il y a quatre ans, après avoir rencontré une enquêtrice du programme dans un foyer. Elle lui a fait "tirer la bonne enveloppe", raconte-t-il à l'AFP, comme s'il avait gagné au loto.

L'étude médicale lancée par une équipe de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille en 2011 comporte deux groupes de sans-abris volontaires, à l'instar des études sur les médicaments: un groupe "témoin" qui reste dans la rue, et un groupe de sans-abris logés dans des appartements en ville. Guillaume, tiré au sort, fait partie du second. "Le risque d'avoir une maladie mentale est multiplié par dix quand on vit dans la rue", constate Pascal Auquier, professeur de santé publique et de médecine sociale, qui supervise le projet. "Le but d'+Un chez soi d'abord+ c'était de montrer que loger les gens coûte moins cher que les laisser à la rue".

Une équipe soignante rend visite aux bénéficiaires du programme : "à partir de ce qu'on constate dans le logement, on discute, notamment des problèmes de santé, mais on ne leur pose pas plus de limites qu'à des locataires lambda", constate Raphaël Bouloudnine, psychiatre d'"Un chez-soi d'abord".

L'idée du "housing first" vient d'Amérique, où des études concluantes ont été menées aux États-Unis et au Canada dans les années 2000. "Lors de la première présentation du projet à Marseille, nous avons senti une véritable hostilité, on nous a pris pour des fous", se souvient le professeur Auquier: "C'est comme si nous remettions en cause tout ce que faisaient les acteurs traditionnels, il y a eu une coalition contre quelque chose qui venait de l'extérieur".

Quatre ans après l'inclusion du premier patient en 2012, l'étude a apporté des résultats sans ambiguïté: elle a notamment montré son efficacité en termes de coûts. "Un sans-abri coute très cher à la société: il va aux urgences, au Centre médico-psychologique, en prison, dans des structures d'hébergement temporaire...", explique le Pr Auquier. Sur un an, un SDF atteint de troubles mentaux (la moitié des gens à la rue environ) coûte 17.000 euros à l’État, contre 14.000 pour les gens logés par "Un chez soi d'abord", calcule-t-il. "Dans la rue, on se bat, on se blesse, on tombe malade en permanence, et parfois on va à l'hôpital juste pour dormir au chaud", relate Guillaume.

Dans le groupe des 353 "logés", 90% sont encore locataires en 2016. Dans le groupe des SDF restés à la rue, 25% seulement ont réussi à accéder à un logement individuel après quatre ans.

L’ensemble des personnes logées par le programme a repris des liens avec son entourage, amis ou famille et 20% ont une activité professionnelle ou sont en formation. Devant le succès de l'initiative, le programme a été inscrit dans la loi de financement de la Sécurité sociale, et la perspective de déploiement du modèle dans 16 villes françaises entre 2018 et 2021 est envisagée.

Retrouver un domicile a été "une renaissance" pour Guillaume. Il s'est aussitôt fait refaire une carte d'identité. "Quand on n'a pas de maison, on cesse d'exister", affirme-t-il. L'ex-SDF apprécie surtout la sécurité : "Quand j'ai emménagé, j'ai dormi trois jours d'affilée". Surtout, l'ancien toxicomane s'est débarrassé de la plupart de ses addictions et est rentré "dans une spirale positive", assure-t-il. Aujourd'hui, il écrit un roman ainsi que des lettres à sa fille avec qui il a renoué des liens : "Avant, j'étais dans la rue ou en prison, je n'étais pas un modèle pour elle".

Au mur de son unique pièce, Guillaume a griffonné ses comptes sur un carton : EDF, cigarettes... Même si avec l'aide des APL, il ne débourse que 45 euros de loyer par mois, ses finances sont serrées, avec le RSA pour unique revenu. "La prochaine étape, c'est l'emploi", assure-t-il. Guillaume ne côtoie presque plus de SDF, il est "passé de l'autre côté". Mais trois nuits par mois, il héberge, sur un matelas entre des piles de livres et une petite cuisine, un sans-abri qu'il connaît depuis dix ans, "parce qu'on ne peut pas fermer les yeux sur ceux qui restent".

 

À LIRE AUSSI

Image
Un sans-abri à Marseille.
SDF : ils sont de plus en plus nombreux à appeler le 115
Le nombre de sans-abri ayant sollicité un hébergement en 2014 a augmenté de 26% par rapport à 2012, avec davantage de femmes et d'enfants, mais près de la moitié n'ont...
27 juillet 2015 - 14:41
Société
Image
Manuel Valls.
SDF morts de froid : le gouvernement est "mobilisé", assure Manuel Valls
Une vague de froid a entraîné la mort de six personnes sans domicile fixe en France au cours de ces derniers jours. En déplacement dans un centre d'accueil d'urgence d...
31 décembre 2014 - 16:21
Politique
Image
Des passants devant les bancs grillagés d'Angoulême.
Les grillages anti-SDF des bancs d'Angoulême retirés provisoirement
La mairie d'Angoulême a fait retirer dans la nuit de jeudi 25 à vendredi 26 les grillages anti-SDF qu'elle avait fait poser mercredi autour de bancs publics. Une décis...
26 décembre 2014 - 10:05
Société

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
25/11 à 21:00
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.