Complexe industriel de la censure : petit guide éclairé de lutte contre la vraie désinformation

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Andrew Lowenthal, avec la rédaction de France-Soir
Publié le 27 avril 2023 - 16:30
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Censorship
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Capture d'écran par photographie
"The censorship industrial complex", le complexe industriel de la censure.
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DÉFENSE DE L'INFORMATION - Andrew Lowenthal est essayiste, chercheur et producteur indépendant spécialisé dans le thème de "l'autoritarisme numérique". Il est aussi co-fondateur et directeur d'EngageMedia, une organisation non gouvernementale australienne à but non lucratif créée en 2005 qui milite pour les droits de l’Homme, la sauvegarde de l’environnement mais aussi la défense des droits numériques. Depuis 2006, l’ONG propose des contenus vidéos explorant ces thématiques.

Lowenthal, qui est passé par Harvard et le Massachusetts Institute of Technology (MIT), a observé ces dernières années une singulière évolution du monde de l’information, notamment de ses acteurs issus de "la société civile", dont les milieux universitaires. Là où, ironise Lowenthal, on ne devrait pas trouver “des militaires” et s’attendre au contraire à une production de l’information indépendante, ou liée à la recherche, un glissement s’est opéré. 

Des professeurs, des membres d’ONG, et évidemment des journalistes, au lieu d’assurer leur rôle social traditionnel de simples médiateurs de l'info ou de lanceurs d’alerte, entretiennent des rapports avec des administrations gouvernementales, des agences du renseignement, mais aussi avec l’armée. Au lieu de mener l’enquête sans conflits d’intérêts et de façon distanciée, au service de la chose publique, nombre de ces acteurs se sont recyclés dans ce que Lowenthal nomme la “lutte contre la désinformation”. 

Un schéma qui est bien connu des lecteurs de France-Soir avec le compte rendu des Twitter Files, dont les épisodes ont été publiés dans nos colonnes depuis décembre 2022. Ces documents internes de l’oiseau bleu ont été dévoilés par Elon Musk. Ils ont permis à des journalistes d’investigation de mettre à jour plusieurs scandales d’ampleur. Ceux-ci montrent à quel point sont menacées à la fois la libre information et la liberté d’expression, du fait d’une emprise grandissante du pouvoir politique : c'est en effet au prétexte de cette lutte contre la désinformation que ce dernier exerce la censure. 

Ce mécanisme n’est pas uniquement à l'œuvre outre-Atlantique. Les évolutions du règlement européen des plateformes numériques (le Digital Services Act) posent les mêmes questions de fond : jusqu'où le politique peut-il interférer avec la sphère de l’information ? In fine, peut-on alors parler d’une sorte de “mécanisme industriel de la censure” en vue de contrôler cette dernière ?

Un nouvel épisode des Twitter Files produit par Lowenthal lui-même aborde ce sujet et sera prochainement évoqué par France-Soir. 

En attendant, voici un texte d'exception de l'essayiste qui rend compte de ses observations précitées et qui expose une nouvelle forme de manipulation de l'information. Celle-ci repose essentiellement sur ce mélange des genres aussi surprenant que grave entre des acteurs qui ne devraient jamais collaborer ensemble du fait d'évidentes questions de déontologie : universitaires, membres d'ONG, journalistes avec politiques, industriels et militaires.

L'article qui suit a été publié originellement dans Racket.news, le 25 avril 2023 et traduit par France-Soir avec l’accord de l’éditeur et de l’auteur, Andrew Lowenthal (voir son Substack).

  • Titre original : "An Insider's Guide to "Anti-Disinformation"

Je savais que les choses allaient mal dans mon monde, mais la vérité s'est révélée être bien pire que tout ce que j'aurais pu imaginer. Je m'appelle Andrew Lowenthal. Je suis un Australien "progressiste" qui a été pendant près de 18 ans le directeur exécutif d'EngageMedia, une ONG basée en Asie qui se concentre sur les droits de l'homme en ligne, la liberté d'expression et les "technologies ouvertes" ("Open Technology", autrement dit facilement accessibles par leurs utilisateurs, sans contraintes, ni restriction, ndlr).  

J’ai aussi à mon actif sur mon CV l’obtention de bourses à Harvard (Berkman Klein Center) et au Laboratoire de documentation ouverte du  MIT (Massachusetts Institute of Technology). Pendant la majeure partie de ma carrière, j'ai cru fermement au travail que je faisais, qui consistait à protéger et à étendre les droits et libertés numériques. 

Cependant, au cours des dernières années, j'ai désespérément assisté à un changement radical dans mon domaine. Comme si tout d'un coup, les organisations et les collègues avec lesquels j'avais travaillé pendant des années avaient commencé à mettre moins l'accent sur la liberté de parole et d'expression, et se sont concentrés sur un nouveau domaine : la lutte contre la "désinformation". 

J'avais fait part de préoccupations concernant l'utilisation de la "désinformation" en tant qu'outil de censure bien avant les #TwitterFiles, et aussi bien avant de donner suite à l’appel du média Racket qui demandait aux pigistes un coup de main pour "mettre hors d'état de nuire la machine de propagande dominante".  

"Nous avons organisé des ateliers sur la sécurité numérique pour les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme menacés par les attaques gouvernementales, tant virtuelles que physiques."  

Pour EngageMedia et son équipe au Myanmar, en Indonésie, en Inde ou aux Philippines, le nouveau consensus de l'élite occidentale consistant à donner aux gouvernements plus de pouvoir pour décider de ce qui peut être dit en ligne était à l'opposé du travail que nous faisions. 

Lorsque les gouvernements malaisien et singapourien ont introduit des lois sur les "fake news" ("fausses informations"), EngageMedia a soutenu les réseaux d'activistes qui faisaient campagne contre ces lois. Nous avons organisé des ateliers sur la sécurité numérique pour les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme menacés par les attaques gouvernementales, tant virtuelles que physiques.  

Nous avons développé une plateforme vidéo indépendante pour contourner la censure des Big Tech et avons soutenu des militants en Thaïlande qui luttaient contre les tentatives du gouvernement de supprimer la liberté d'expression. En Asie, l'ingérence du gouvernement dans la parole et l'expression était devenu la norme. Les militants progressistes en quête d'une plus grande liberté politique se tournaient souvent vers l'Occident pour obtenir un soutien moral et financier. Aujourd'hui, l'Occident se retourne contre la valeur fondamentale de la liberté d'expression, au nom de la lutte contre la désinformation. 

Je pensais vraiment avoir une idée précise de l'ampleur de cette industrie avant d'être responsable, pour Racket, de traquer les groupes de lutte contre la désinformation et ceux qui les financent. Pendant deux décennies, j'avais baigné dans le domaine plus vaste des droits numériques. Et j'ai observé de près la croissance rapide des initiatives de lutte contre la désinformation. Je connaissais un grand nombre d'organisations clés et leurs dirigeants, et EngageMedia avait elle-même participé à des projets de lutte contre la désinformation. 

Après avoir eu accès aux dossiers #TwitterFiles, j'ai appris que l'écosystème était bien plus vaste et avait beaucoup plus d'influence que je ne l'imaginais. À ce jour, nous avons recensé près de 400 organisations dans le monde, et nous ne faisons que commencer. Certaines organisations sont légitimes. Il y a de la désinformation. Mais il y a beaucoup de loups parmi les moutons. 

J'ai sous-estimé les sommes injectées dans les groupes de réflexion, les universités et les ONG dans le cadre de la lutte contre la désinformation, tant par le gouvernement que par les philanthropes privés. Les calculs sont toujours en cours, mais je l'avais estimé à des centaines de millions de dollars par an et je suis probablement encore naïf - Peraton a reçu un contrat d'un milliard de dollars de la part du Pentagone. 

En particulier, je n'avais pas conscience de la portée et de l'ampleur du travail de groupes tels que le Conseil atlantique, l'Institut Aspen, le Centre d'analyse des politiques européennes et de sociétés de conseil telles que Public Good Projects, Newsguard, Graphika, le Media Forensics Hub de Clemson et d'autres encore. 

Ce qui est plus alarmant est l'ampleur du financement militaire et des services de renseignement avec l'alignement étroit "coordonnées" de ces groupes, ainsi que la place qu'ils occupent dans la société civile. Graphika, par exemple, a reçu une subvention de 3 millions de dollars du ministère de la Défense, ainsi que des fonds de la Marine et de l'Armée de l'Air américaines. L'Atlantic Council (dont le Digital Forensics Lab est tristement célèbre) reçoit des fonds de l'armée et de la marine américaines, de Blackstone, de Raytheon, de Lockheed, du centre d'excellence STRATCOM de l'OTAN, etc. 

"Comment ces choses sont-elles compatibles ? Quelle est cette dérive morale ?" 

La distinction entre "civil" et "militaire" a longtemps été de mise. Dans la "société civile", on trouve une multitude de groupes financés par l'armée qui se mélangent et se confondent avec ceux qui défendent les droits de l'homme et les libertés civiles. Graphika travaille également pour Amnesty International et d'autres organisations de défense des droits de l'Homme. Comment ces choses sont-elles compatibles ? Quelle est cette dérive morale ? 

Les courriels de Twitter (échangés entre des employés de la plateforme numérique et des intervenants extérieurs) ont montré une collaboration constante entre des militaires et des agents des services de renseignement avec les "élites progressistes" issues d'ONG et d'universités. "Leurs" signatures sont mêlées entre-autres à celle des .mil, @westpoint, @fbi.

Comment le FBI et le Pentagone, avec une politique belliciste et des financements excessifs, ont-ils commencé à collaborer et à fusionner avec les ennemis d’antan - ces progressistes qu’ils ont combattus férocement, par exemple les Black Panthers et d'autres mouvements pacifistes ?  

Ils se sont associés dans des exercices de simulation électorale et partagent des "petits fours" à l’occasion de conférences organisées par des oligarques philanthropes ! Ce changement culturel et politique était autrefois très difficile à mettre en œuvre, mais aujourd'hui, il est aussi simple que de se mettre en copie d’un email. 

Pire encore, les représentants du complexe militaro-industriel sont encensés dans le domaine des droits numériques. En 2022, le secrétaire d'État américain Anthony Blinken était mis en avant à RightsCon, la plus grande conférence sur les droits numériques (un événement qu'EngageMedia a coorganisé en 2015 aux Philippines - Blinken n'était pas présent à l'époque). Blinken supervise le Global Engagement Center (GEC), l'une des plus importantes initiatives d’anti-désinformation du gouvernement américain (voir #TwitterFiles 17). Il est maintenant soupçonné d'avoir lancé sa propre campagne de désinformation liée à l'ordinateur portable de Hunter Biden - celle de la lettre "opération de renseignement russe"  signée par 50 anciens responsables des services de renseignement américains. 

Les adversaires d’antan sont alors rassemblés sur une ligne de démarcation forte allant de la lutte contre le terrorisme à la lutte contre l'extrémisme violent, au contrôle de la liberté d'expression et de la différence politique, à la manière de ce qui est présentée dans le film "Minority Report". 

"Il n'est pas question de vérité ou de contre-vérité, il s'agit uniquement de contrôle du narratif." 

J'ai également sous-estimé à quel point de nombreuses organisations étaient engagées explicitement à la surveillance des récits, passant parfois ouvertement de la lutte contre la désinformation à la surveillance des "fausses idées".

Le Stanford's Virality Project a recommandé à Twitter de classer de "vraies histoires sur les effets secondaires des vaccins" comme "désinformation standard sur la plateforme", tandis que l'Algorithmic Transparency Institute a parlé d' "écoutes civiques" et de "collecte automatisée de données" à partir d' "applications de messagerie fermées" afin de lutter contre les "contenus problématiques", en d’autres termes cela revient à espionner les citoyens ordinaires.

Dans certains cas, la dénomination même de l’ONG est un problème - Automated Controversy Monitoring (Suivi automatisé des controverses), par exemple, effectue une "surveillance de la toxicité" pour lutter contre les "contenus indésirables qui entrainent (qui déclenchent un comportement ou une action, ndlr)".

Il n'est pas question de vérité ou de contre-vérité, il s'agit uniquement de contrôle du narratif. 

Les gouvernements et oligarques philanthropes ont colonisé la société civile et exercé une censure par l'intermédiaire de groupes de réflexion, d'universités et d'ONG. Dites-le, dévoilez cette information, demandez des comptes à ce secteur d’activité, et les rangs se resserrent autour du gouvernement, de l'armée, des services de renseignement, de Big Tech et des milliardaires qui le financent. Le secteur a été acheté. Il est compromis. Le signaler n'est pas bienvenu. Si vous le faites, vous vous retrouverez dans le "panier des déplorables" (soit en France, les prétendus complotistes d'extrême droite , ndlr). 

Les Twitter Files montrent également à quel point les ONG et les universitaires ont été pénétrés par l'élite interne des Big Tech, à qui ils ont imposé leurs nouvelles valeurs "anti-expression". Cela explique en partie l'antagonisme à l'égard d'Elon Musk, qui les a expulsés du club, sans parler de tous ceux "personnes bannies" qu'il a laissés revenir sur la plateforme. (La perturbation apportée par Musk, tout en présentant une amélioration, est clairement incohérente et apporte ses propres problèmes.) 

"Il s'agit là de questions fondamentales pour les progressistes, mais ces derniers qui ont porté leur attention ailleurs."  

Bien que des membres de la famille royale saoudienne soient des actionnaires importants de l'ancien et du nouveau Twitter, les ONG et le monde universitaire n'ont jamais eu grand-chose à dire sur l’actionnariat de Twitter avant que Musk ne rachète la société.

C'est ce même régime saoudien qui assassine des journalistes, supervise un système d'apartheid entre les sexes, exécute des homosexuels et est responsable de plus d'émissions de CO² que l'on ne peut l'imaginer. Il s'agit là de questions fondamentales pour les progressistes, mais ces derniers qui ont porté leur attention ailleurs.  

Autrefois, le secteur des droits numériques aurait prêté une attention particulière aux Twitter Files, comme nous l'avons fait pour les révélations de Wikileaks ou de Snowden. Une grande partie des acteurs qui ont vantés les mérites Wikileaks et Snowden sont aujourd'hui ceux qui se sont compromis. Les dossiers montrent clairement que des actes de censure flagrants ont été autorisés ou ignorés par les ONG et les universités, souvent non pas parce qu'ils étaient erronés, mais parce que les idées venaient des mauvaises personnes. 

L'ancienne normalité 

Trump et le Brexit sont souvent cités comme LE tournant, un grand réalignement politique qui a vu les élites culturelles se déplacer vers la gauche et la classe ouvrière se déplacer vers la droite. Les ONG et la classe universitaire (élites malgré leurs récits internes) ont réagi en alignant leurs causes de plus en plus étroitement avec le pouvoir des entreprises et des gouvernements, et vice-versa. 

L'autorité et le statut de la classe des experts/professionnels de la gestion ont été sérieusement mise à mal avec le Brexit et Trump. Ces événements ont été expliqués comme étant le résultat de mauvais acteurs (racistes, misogynes, Russes), de la stupidité ou de la "désinformation". Une simple histoire de "bien et de mal" a remplacé l'analyse habituelle gauchiste des classes.  

La Covid-19 a rendu les choses encore plus étranges. Les grands médias et les grandes entreprises technologiques se sont complètement désynchronisés de la réalité matérielle, dénigrant les critiques qui étaient auparavant normales et interdisant explicitement des sujets dans les médias sociaux, tels que la discussion sur "une éventuelle fuite du virus d’un laboratoire » ou le fait que « les vaccins n'arrêtent pas la transmission virale". La société a accepté poliment ces interdictions, et est restée silencieuse ou a même pris l'initiative de la censure, comme dans le cas du Virality Project et de ses partenaires. 

Entre-temps, un groupe d'élites nord-américaines et européennes spécialisées dans la lutte contre la désinformation a lentement convaincu les ONG d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine que leur principal problème n'était pas une "liberté en ligne insuffisante", mais qu’elle était au contraire excessive. Et que la solution consistait à renforcer le contrôle des entreprises et des gouvernements afin de protéger les droits de l'homme et la démocratie. 

Étant donné que la quasi-totalité du financement de ces initiatives de la société civile provient des États-Unis et de l'Europe, les ONG du reste du monde avaient le choix entre perdre leur financement ou suivre leur exemple. Autant pour l’action philanthropique contre la "colonisation" (decolonizing philantrophy). 

Bien sûr, il y a toujours eu un contrôle exercé à travers la philanthropie, mais jusqu'en 2017, mon expérience en la matière avait été marginale. Après Trump, l’autoritarisme (du haut vers le bas) et le conformisme se sont petit à petit invités et ont explosées lors de la crise Covid-19. Il n’y a eu aucun doute dans mon esprit que si l'on ne se conformait pas aux récits officiels sur la pandémie, on se verrait privé de financement. Chez EngageMedia, nous avons essayé de tirer la sonnette d'alarme sur le nouvel autoritarisme dans notre série Pandémie de contrôle, en écrivant : 

"La réponse 'approuvée' à la pandémie a été défendue à tout prix. Les médias ont ridiculisé les points de vue alternatifs en les qualifiant de 'fake news' et de 'désinformation', et les plateformes de médias sociaux ont supprimé les points de vue contradictoires de leurs flux, réduisant au silence les voix qui remettaient en question les obligations vaccinales ou passe-sanitaire, les mesures de confinement et autres mesures de contrôle. 

Même si les restrictions continuent d'être assouplies dans la plupart des pays, ce n'est pas le cas dans d'autres. En outre, une grande partie de l'infrastructure reste prête, et la population elle-même est maintenant bien préparée aux nouvelles exigences, des cartes d'identité numériques aux monnaies numériques des banques centrales et au-delà." 

Dans le passé, les citoyens se sont rarement préoccupés de leurs droits et des abus/excès de pouvoir. La conformité croissante du secteur est largement expliquée par le contrôle de la distribution des fonds par le secteur philanthropique, grandement en phase avec le gouvernement. Cependant, ce qui est plus inquiétant, c'est que beaucoup, sinon la plupart des activistes et intellectuels éduqués de ces organisations sont d'accord avec le récent virage contre la liberté d'expression.

En écrivant ces mots, je me rappelle d'un événement sur l'éducation aux médias et la désinformation auquel j'ai assisté en 2021 dans une université australienne - un participant déplorait que la cause de nos maux soit une trop grande liberté d'expression ; les quatre panélistes étaient tous d'accord. Sans besoin d’argent, de nombreux cœurs et esprits de l'élite avaient déjà été convaincus. 

En même temps, beaucoup ont peur d'avoir une opinion différente et ne déclarent leur désaccord qu’à bas mots ou en messe basse dans les couloirs. Ceux qui s’écartent ou auraient la tentation de s’écarter du consensus voient la menace de "la perte de statut" planer au-dessus (ndlr : l’auteur parle de la "hache de la perte de statut"). Et ceux qui ont les pouvoir de mettre la menace à exécution, ont la gâchette facile. Un bonheur sadique s'ensuit lorsqu'un "égaré" reçoit un châtiment. 

En légitimant une intervention gouvernementale de grande envergure dans le discours des citoyens ordinaires, la lutte contre la désinformation et ses alliés idéologiques, dont le Canadien Justin Trudeau, l'Américain Joe Biden et l'ancien Premier ministre néo-zélandais Jacinda Ardern, ont donné aux régimes autoritaires une plus grande liberté d'action à l'égard de leurs propres citoyens. 

En légitimant une intervention gouvernementale de grande envergure dans le discours des citoyens, les alliés idéologiques de la lutte contre la désinformation ont donné aux régimes autoritaires une plus grande liberté d'action à l'encontre de leurs propres citoyens. On compte parmi eux, le Canadien Justin Trudeau, l'Américain Joe Biden et l'ancien Premier ministre néo-zélandais Jacinda Ardern, 

La désinformation existe bien sûr et doit être combattue. Toutefois, la principale source de désinformation est due aux gouvernements, aux entreprises et, de plus en plus, aux experts en anti-désinformation eux-mêmes. ils se sont tout juste trompés sur les faits dans le cadre de la Covid-19 et sur de nombreux autres aspects.  

L'utilisation de l'anti-désinformation pour censurer et salir leurs opposants aboutit exactement à ce que la classe des experts craignait : une diminution de la confiance dans l'autorité. La dépravation morale du Virality Project, qui protège BigPharma en préconisant la censure des véritables effets secondaires des vaccins, est tout simplement stupéfiante. Imaginez que vous fassiez cela pour une entreprise automobile dont les airbags ne seraient pas sûrs, parce que cela pourrait inciter les gens à ne plus acheter de voitures. 

Il n'en a pas toujours été ainsi. Au cours du siècle dernier, les principaux défenseurs de la liberté d'expression ont été des libéraux et des progressistes comme moi, qui ont souvent défendu les droits de personnes dont les valeurs différaient parfois des leurs et étaient très impopulaires auprès du courant dominant de la société américaine de l'époque, comme la surveillance excessive de la communauté musulmane pendant la guerre contre la terreur. 

"Le gouvernement américain et ses alliés, comprenant que l'information était le nerf de la guerre, ont lentement mais sûrement pris le contrôle des organisations indépendantes et opposantes afin qu’elles dussent leur rendre des comptes." 

Au niveau le plus élémentaire, l'idée qu'un jour la chaussure pourrait être sur l'autre pied semble dépasser l'entendement de la plupart des gens. Le résultat est une cour de clowns. Le retour d'information n'est pas pris en compte, les pivots ne sont pas faits, et s’ensuit l'entropie épistémologique. 

Alors que les progressistes peuvent croire qu'ils sont aux commandes, je pense qu'il est beaucoup plus vrai que nous sommes utilisés. Sous le couvert de la justice sociale, la machine des entreprises est en marche. Le gouvernement américain et ses alliés, comprenant que l'information était le nerf de la guerre, ont lentement mais sûrement pris le contrôle des organisations indépendantes et opposantes afin qu’elles dussent leur rendre des comptes. 

Certains affirment que cette évolution a commencé sous le chapitre de "l’aide humanitaire" à l’occasion du conflits dans les Balkans. Cela s’est accentué lorsque Condoleezza Rice a fourni une couverture féministe à l'invasion de l'Afghanistan. Les élites s'emparent des idées qui servent leurs objectifs et se mettent au travail. L'inégalité des richesses s'est considérablement aggravée sous la Covid-19, alors même que les forces en présence sont de plus en plus diversifiées. Les "progressistes" n'ont pratiquement rien dit. 

Le changement culturel n'est que partiellement organique. Le Virality Project montre comment des personnes puissantes ont cyniquement exploité des idées bien intentionnées sur la protection de la santé publique - alors qu'en réalité, elles protégeaient et faisaient avancer les intérêts de Big Pharma et développaient l'infrastructure pour de futurs projets de contrôle de l'information. 

En février 2021, j'ai rencontré l'une des principales organisations de lutte contre la désinformation, FirstDraft - aujourd'hui appelée Information Futures Lab à l'université de Brown - pour discuter d'une collaboration. La réunion a pris une mauvaise tournure lorsqu'ils ont prétendu que la campagne philippine #Kickvax était une campagne anti-vax. Près de la moitié du personnel d'EngageMedia et la plupart des membres de l'équipe dirigeante étaient philippins. La campagne avait été évoquée lors de conversations avec eux, et je savais donc qu'il s'agissait en fait d'une campagne anti-corruption axée sur le vaccin chinois, d'où le nom : SinoVac + kick backs = #Kickvax. 

La campagne contenait de sérieuses allégations concernant le processus d'approvisionnement de SinoVac. En 2021, Transparency International a classé les Philippines au 117e rang des 180 pays étudiés en matière de corruption. La corruption des élites fait objet d’une attention très particulière des activistes de gauche aux Philippines. 

Malgré cela, le personnel de FirstDraft m'a répété très fermement que #Kickvax diffusait de la désinformation anti-vax. Avant que la réunion ne se termine, j'ai déjà eu droit à des considérations du type : "Mais qui êtes-vous ? Êtes-vous une menace potentielle ?".  Cela n’a donné lieu bien sûr à aucune projet de collaboration. 

Grâce aux Twitter Files, j'ai pu constater à quel point FirstDraft était impliqué dans la tentative d’empêcher que les questions valables sur le vaccin ne voient le jour. C'était un point central. FirstDraft faisait également partie de la Trusted News Initiative, une sorte de projet de viralité à l’attention des médias traditionnels. L'Information Futures Lab dirige un projet visant à "augmenter la demande de vaccins". La cofondatrice Stefanie Friedhoff fait également partie de l'équipe de réponse à la Covid-19 de la Maison Blanche. 

Au-delà des réactions, une nouvelle vision 

Pour remettre la liberté d’expression sur de bons rails, il devient essentiel de supprimer toutes formes de financement publics à l’attention du complexe industriel qui effectue la censure.

"La société civile doit cesser de s'acoquiner avec les grandes entreprises technologiques qui s’approprient d'énormes montants de l’argent public."

Les oligarques occidentaux financent eux aussi une grande partie du travail de censure et exercent un pouvoir bien trop important sur la politique et la société civile. Il est également nécessaire de modifier le fonctionnement des avantages fiscaux accordés à la philanthropie. Il ne s'agit pas de supprimer tous ces fonds, mais ils doivent être un complément, et non l’axe principal. 

La société civile doit cesser de s'acoquiner avec les grandes entreprises technologiques qui s’approprient d'énormes montants de l’argent public. Cela a également entraîné la capture des régulateurs et par la même un affaiblissement de leurs rôles de surveillance.  

Bien sûr, de nouveaux modèles financiers devront être développés pour se libérer de toutes ces contraintes et faire un meilleur usage des liquidités - ce qui est en soi une tâche énorme. La lutte contre la désinformation consiste essentiellement en un travail de censure. En conséquence une réduction de moitié des financements qui y sont alloués entrainerait une réduction rapide de la censure. 

Les limites doivent être plus clairement doivent définies. Je ne suis généralement pas en faveur de la "déplateformisation", mais toute personne qui reçoit des fonds de l'armée, d'une entreprise de défense ou d'une agence de renseignement ne devrait pas prendre part à des événements liés à la société civile et aux droits de l'homme. Cela inclut l'Atlantic Council (y compris DRFlabs), Graphika, l'Australian Strategic Policy Institute, le Center for European Policy Analysis et bien d'autres - la liste est longue. Au fur et à mesure que la base de données des groupes "anti-désinformation" et de leurs bailleurs de fonds se développera, d'autres viendront s'y ajouter. 

"Un problème plus important à régler est celui d’une culture qui soutient la censure généralisée."

Des plateformes plus décentralisées, ouvertes et sécurisées sont nécessaires pour résister à la mainmise des entreprises, des philanthropes et des gouvernements. Le nombre de personnes disposant de 44 milliards de dollars est limité. Le défi est de générer les larges audiences qui poussent tant d'utilisateurs vers les grandes plateformes. Le bitcoin a démontré que de tels effets de réseau décentralisés sont possibles, mais il faut que cela devienne une réalité dans le domaine des médias sociaux. Nostr semble avoir un certain potentiel. 

Un problème plus important à régler est celui d’une culture qui soutient la censure généralisée. Il est donc important est de la combattre, en particulier parmi ses anciens gardiens, les progressistes, les libéraux et la gauche.

La liberté d'expression est devenue une injure pour ceux-là mêmes qui étaient autrefois à la tête du mouvement en faveur de la liberté d'expression. Changer cela nécessite de démontrer que la liberté d'expression est avant tout là pour protéger les sans-pouvoirs, et non les puissants - c’est un projet à long terme. Par exemple, la censure (par le Virality Project) des histoires vraies de effets secondaires dues aux vaccins nous a livrés en pâture à la prédation de Big Pharma, nous sommes donc moins protégés. Une plus grande liberté d'expression aurait permis à la société d'être mieux informée et mieux protégée. 

Le plus important est de revenir à des principes forts de liberté d'expression, y compris sur les idées que nous n'aimons pas. Un jour, la chaussure sera à nouveau sur l'autre pied. Lorsque ce jour viendra, la liberté d'expression ne sera pas l'ennemie des libéraux et des progressistes, elle sera la meilleure protection possible contre les abus de pouvoir. 

Il y a toujours un prix à payer pour une société libre. 

  • Andrew Lowenthal est un écrivain, chercheur et producteur indépendant qui se consacre à l'autoritarisme numérique. Il écrit sur Substack à NetworkAffects et tweete @NAffectsIl est actuellement chercheur affilié à l'Institute for Network Cultures de l'université d'Amsterdam.

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