L'eau du robinet, une "dépense contenue" mais plus pour longtemps
Les Français, qui se disent satisfaits à environ 90% de leur eau du robinet malgré quelques inquiétudes, vont devoir s'habituer à "des prix du service de l'eau amenés à augmenter", prévient la fédération des entreprises privées de l'eau (FP2E).
S'appuyant sur une étude pluriannuelle présentée mardi en présence d'élus, de représentants agricoles, de consommateurs, d'autorités sanitaires et de chercheurs, les professionnels ont livré un raisonnement en apparence implacable, évoquant "un mur d'investissements" et les faibles recettes actuelles.
Réalisée par le cabinet d'audit BDO, l'étude chiffre à 0,8% la part que les ménages français consacrent à l'eau dans leur budget (en moyenne 348 euros/an), en se référant à des données de l'Insee. "Des dépenses contenues", souligne l'étude, et une eau parmi les moins chères d'Europe selon le service public d'information EauFrance.
L'étude note aussi le comportement plus économe en eau de la part de la population, par rapport à la décennie 2000.
Une évolution que le gouvernement souhaite amplifier avec le plan Eau de mars 2023, dont l'objectif est d'accompagner la myriade de collectivités gérant les services d'eau (13.851 en 2022) vers au moins 10% d'économies d'eau d'ici à 2030.
"Cette réduction des volumes, c'est ce que nous attendions tous collectivement", a souligné mardi le directeur général Eau France de Suez, Arnaud Bazire, président de la FP2E depuis juillet.
Mais "si les volumes continuent à décroître, cela pose un problème sur la façon de pérenniser le financement du réseau", a-t-il prévenu.
Dans un avis voté le 29 novembre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) parle lui aussi de hausse "inéluctable" du prix de l'eau.
D'autant que le secteur s'estime "en première ligne" du changement climatique qui rend l'eau plus rare, pèse sur sa qualité et aiguise les conflits entre usagers.
En 10 ans, plus de la moitié des départements métropolitains (51) ont subi une diminution supérieure à 5% du débit annuel moyen de leurs cours d'eau, souligne le rapport de la FP2E.
Parallèlement, l'étude chiffre le volume d'eau prélevé pour la production d'eau potable en France métropolitaine à 5,3 milliards de m3 en moyenne depuis 2012, soit 220 litres par jour et par habitant en 2021. Cela représente 500 millions de m3 de moins en moyenne que dans les années 2000 alors que la population a augmenté.
- Pas de compteur miracle -
Alexandre Mayol, maître de conférence en économie à l'université de Lorraine, est spécialiste de l'économie de l'eau.
Pour beaucoup de gens, "le prix de l'eau est aujourd'hui illisible", dit-il, alors qu'il serait judicieux que chacun ait "une vision au moins mensuelle ou trimestrielle" de sa consommation.
Majoritairement déployés en ville, les compteurs d'eau intelligents permettant la relève à distance ou des alertes en cas de fuite progressent. Ils équipent désormais 42% de ménages (16,8 millions en 2021, +4,2% comparé à 2017), selon l'étude.
Mais "attention aux solutions miracles", tempère M. Mayol: un nouveau compteur entraîne une hausse de l'abonnement et appeler à consommer moins quand la facture augmente, "c'est compliqué".
Selon les cas, il faut aussi vérifier si l'argent serait mieux investi à réparer les canalisations plutôt que dans ces fameux compteurs communicants.
Même la tarification progressive de l'eau que le gouvernement envisageait de généraliser (les premiers m3 essentiels sont moins chers, le tarif augmente avec la consommation) n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air, souligne M. Mayol, citant l'exemple pionnier de Dunkerque. Le Cese a d'ailleurs rejeté l'idée mercredi dernier.
En France, le prix de l'eau dépend de la commune ou l'intercommunalité de résidence. Les entreprises de l'eau assurent l'approvisionnement en eau potable de près de 60% des Français et la dépollution des eaux usées de 51% d'entre eux.
Selon l'étude BDO, le prix médian au robinet a atteint 4,02 euros TTC par m3 en 2021 (50% des Français payaient moins, 50% payaient plus), avec d'importantes disparités, de 0,89 à 10,95 euros TTC par m3.
Les différences s'expliquent par la géographie locale, des facteurs techniques comme la diminution des fuites sur le réseau, qui globalement s'améliore depuis dix ans en France selon les industriels du secteur. Le prix enfin dépend aussi de la présence ou non d'industries, de la saisonnalité de la population (tourisme) et surtout, des choix d'investissements.
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