Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 9) Synergies entre les Big Techs et Big Pharma
Enquête en plusieurs parties - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d’une prison digitale.
- Partie 1) Politique et info, un vieux couple français
- Partie 2) La toute-puissance financière des Big Techs
- Partie 3) Algorithmes et dépendances
- Partie 4) La dépendance des médias et l'avènement du fact-checking
- Partie 5) Objectifs, mécanismes et contexte de la loi "infox"
- Partie 6) Hiérarchisation de l'information et retour de la censure
- Partie 7) Dans les coulisses de l'UE, une foule d'acteurs qui commercent avec l'info
- Partie 8) Les synergies qui transforment le journalisme en un outil de surveillance
INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du "tout-vaccin" est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de "fact-checking", intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d’influencer les opinions publiques sur n’importe quel sujet. En coulisses, d’autres acteurs troubles modèlent l’information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d’expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ?
PARTIE 9 - Évoquée en fin de la partie 8 de cette enquête, la "passerelle entre Washington et Bruxelles" qui participe à la mise en place d'une "prison digitale de l’information", trouve une illustration concrète dans l'actualité récente. En juillet dernier, l’Américaine Fiona Scott Morton accède à la tête de la Direction générale de la concurrence européenne. Il s’agit d’un poste clef dont le but est de réguler les marchés et de contrôler le monopole des GAMAM (Google, Apple, Meta, Amazon et Microsoft).
Le curriculum vitae de Scott Morton ne manque pas alors de créer la polémique. Cette professeur d’économie, qui a collaboré avec le Département de la Justice des États-Unis, a travaillé durant la majeure partie de sa carrière professionnelle au service des Big Tech. Voilà de sacrés conflits d’intérêts en perspective pour mener une mission qui consiste, justement, à faire le ménage en cas de position dominante des géants du numérique.
Finalement, devant la levée de boucliers consécutive à sa nomination, Fiona Scott Morton abandonne le poste. Non sans amertume, d'ailleurs : "Il y a des gens, au sein de l’administration européenne, qui sont prêts à faire passer leurs propres désirs avant le bien-être du peuple", déclare-t-elle. Étonnamment, le bien-être d'un "peuple" (sic) européen ne pourrait dépendre que du recrutement de personnel outre-Atlantique. Un personnel naguère au service d’une industrie qu’elle est soudainement chargée de réguler.
Cet événement montre la capacité de Washington à suggérer à la présidence de la Commission européenne des profils capables d’aller dans le sens de l'intérêt de l'industrie américaine des Big Tech.
Les Big Tech à la rescousse pour défendre les produits de Big Pharma
Mais a-t-elle vraiment besoin d'une forme de tutelle supplémentaire ? L'Union Européenne a montré qu'elle sait se mettre au service d'une autre industrie "lourde", d'origine étasunienne : l'industrie pharmaceutique. En effet, durant la crise sanitaire, de façon très appliquée, Bruxelles n'a pas hésité pas à solliciter les Big Tech afin de développer et mener "un programme de surveillance de la lutte contre la désinformation liée au Covid-19".
Ces dernières ont dû alors produire des rapports afin d'indiquer avec précision leurs efforts en matière d'information à propos des vaccins. Cela peut être la présentation de faits censés défendre ces derniers sur les réseaux sociaux. Mais cela peut-être aussi la censure de tous les contenus publiés qui vont à l'encontre de l'idée de leur efficacité.
En mars 2021, les bilans en la matière de Twitter ou de Microsoft sont ainsi présentés :
Twitter a mis à jour ses barres de recherche sur la COVID-19 dans l'UE pour inclure des informations officielles sur les vaccins contre la COVID-19 ; les barres sont déjà actives au Danemark, en Espagne et en Irlande. En partenariat avec l'UNICEF et la Team Halo, Twitter a également activé un hashtag emoji #Vaccinated ✌ dans 24 langues pour montrer son soutien à la vaccination.
Microsoft signale une nouvelle fonctionnalité disponible sur Bing lorsqu'un utilisateur saisit une requête de recherche liée aux vaccins. La fonctionnalité affiche un suivi des vaccins indiquant les progrès de la vaccination dans chaque pays et dans le monde (nombre de doses administrées par population totale et doses pour 100 personnes), ainsi que des informations par onglets fiables sur les vaccins.
En février 2021, TikTok, une plateforme de vidéos fait un tableau qui reprend le nombre de vidéos censurées :
Des bilans méticuleux des censures de contenus ou des fermetures de site ont été présentés par les Big Techs de façon régulière durant la période du Covid. Et bien avant cette dernière, la défense à tous crins des vaccins en général était déjà au programme de l'UE :
The message is simple: 𝙫𝙖𝙘𝙘𝙞𝙣𝙚𝙨 𝙬𝙤𝙧𝙠!#VaccinesWork #VaccinationSummit19 pic.twitter.com/Al23q4fRB3
— European Commission (@EU_Commission) September 17, 2019
"Le vaccin, ça marche !" Dire le contraire en ce qui concerne les injections anti-Covid-19 n'est pas possible. Mais qui offre l'information, disons les sources, à ces diverses plateformes numériques propriétés des Big Tech afin de définir le "vrai du faux" ?
En premier lieu, il s'agit du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control - ECDC). En second lieu, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS – World Health Organization – WHO), qui participe à l'élaboration de guidelines (lignes directrices) et à la production de communications en relation.
L'ECDC n'est pas en reste pour participer directement à la lutte contre la désinformation, notamment en matière de vaccination et à propos de sa comptabilisation. Mais l'OMS est, à une tout autre échelle, l'organisation qui va théoriser la naissance même de la notion de "désinformation" dans le domaine médical et scientifique.
Le concept d'infodémie, une leçon retenue lors de la grippe A
À la mi-février 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé sonne l’alarme sur "l’infodémie", soit le concept d'une propagation rapide et large d'un mélange d'informations potentiellement exactes ou inexactes sur un sujet.
Cette idée d'infodémie a été théorisé dès 2019 par le virologue Marc Van Ranst lors d'une présentation à la Chatham house (Royal Institute of International Affairs, l'équivalent britannique du Council on Foreign Relations américain). En résumé, Van Ranst détaille comment s'y prendre pour faire sauter le verrou des interrogations, méfiances et résistances face à une vaccination d'ampleur.
Le déroulement de la crise sanitaire "mondiale" de la grippe A de 2009 est décortiqué. Avec des enseignements qui sont favorables de facto aux laboratoires pharmaceutiques, puisqu'ils aident à distribuer leurs produits sans conteste.
Dans l'éventualité d'une nouvelle pandémie, les acteurs politiques et industriels de la crise ont une ligne de conduite à tenir. Prêts à servir, "monolithiques", les divers éléments qui la composent doivent servir à persuader les populations du bienfondé de la vaccination.
Communication autoritaire
Une vaccination, qui est un médicament dont les conditions de financement, de développement et de prescription, doivent légitimement interroger : le débat contradictoire et la disputatio scientifique sont irremplaçables, comme le montre l'histoire médicale. Pourtant, l'état de la science, en perpétuelle évolution, se fige l'instant d'une communication autoritaire, bien plus politique que sanitaire.
Une manière de procéder dont la tendance est à la généralisation et à la globalisation. Proposé par l'OMS, un accord mondial sur la prévention des pandémies est en cours. Ce "traité" inquiète sur le plan des libertés individuelles et sur la possibilité d'informer de façon indépendante lors d'une crise sanitaire.
D'ores et déjà, lors du Covid, l'Union européenne (qui se charge de négocier d'une troublante façon des contrats d'achat de vaccin gigantesques), les gouvernements occidentaux (qui n'écoutent plus leurs scientifiques reconnus) et les géants du numérique se sont mobilisés pour faire fonctionner à plein régime ce que l'on peut nommer au sens littéral une propagande.
Une propagande qui atteint son but de 2020 à 2022, avec une importante adhésion de la population à la vaccination, qui plus est expérimentale. Un changement qui tranche avec l'épisode H1N1, dix ans auparavant, et la prudence des citoyens face aux discours de Big Pharma ou de leurs relais.
Cette communication aux mécanismes sophistiqués, véritable rouleau compresseur, a été relayée par les Big Tech via leurs plateformes numériques. Ces dernières ont joué un rôle crucial : quels intérêts peuvent-elles y trouver, après avoir acquis ces dernières années un pouvoir technique et financier démesuré ?
Big Tech + Big Pharma = Big Love
Des synergies industrielles puissantes apparaissent. Par exemple entre Google-Alphabet et le laboratoire pharmaceutique GSK, qui affirment s'unir pour lutter contre l'asthme et le diabète. Ou encore entre Facebook et l'industrie pharmaceutique, avec la proposition de Meta de renforcer et développer son secteur des annonces publicitaires autour des produits médicamenteux.
Ainsi, lorsque les profits d'une collaboration entre Big Tech et Big Pharma sont potentiellement gigantesques, pourquoi se mettre en concurrence ? Par exemple à propos des marchés de la "relation patient" : un accord en coulisses est tellement plus profitable. C'est en ce sens que la protection des données personnelles de santé est de plus en plus convoitée par ces deux industries.
Une évolution qui a inquiété la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure). En effet, dès 2015, plusieurs entreprises américaines font l'acquisition de sociétés françaises gérant des portefeuilles de données liées à la santé des citoyens français. Telle la base de données médicales Cegedim acquise par IMS Health, cabinet de conseil dont la force de frappe est souvent occultée par l'omniprésent cabinet McKinsey (on trouve aussi présent sur le marché le Boston Consulting Group).
En 2016, c'est Microsoft Azure, filiale de la Big Tech fondée par Bill Gates, qui est choisie comme prestataire principal (sans appel d'offres), pour héberger les données médicales des Français dans le cadre de la loi du 24 juillet 2019, relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. Le Health Data Hub (HDH) était né.
Des données plus facilement glanées durant une crise sanitaire
Son objectif est de garantir "l’accès aisé et unifié, transparent et sécurisé, aux données de santé pour améliorer la qualité des soins et l’accompagnement des patients" à destination de partenaires privés éventuels, qui ne manqueront pas de les faire fructifier (pour éviter une polémique politico-sanitaire avant les élections de mai 2022, le HDH a été mis en pause).
Ophélie Coelho, pour l'Institut Rousseau, remarque avec pertinence que Microsoft Azure, hébergeur du HDH, "qui propose également des services d'analyse, a accéléré sa captation de données dans l'urgence de la crise sanitaire (du covid, ndlr)".
Bien d'autres synergies existent entre les géants du numérique et Big Pharma, pour un marché estimé à plus de 300 milliards d'euros. Notamment autour de l'analyse par "Intelligence Artificielle" du diagnostic médical, qui bénéficie des immenses progrès du monde numérique et de ses supports.
Un monde numérique qui, durant la crise sanitaire, a été privilégié (QR codes et autres) au détriment d'un "dialogue privilégié" entre le médecin généraliste et son patient, avec à la clef le conseil "discrétionnaire" d'un traitement adapté. Une orientation générale qui a eu de lourdes conséquences sur la prise en charge des malades Covid à qui l'on répétait surtout : "Restez chez vous avec du Doliprane jusqu'à ce que votre état aille mieux ou empire".
Est-ce là le signe d'une certaine promotion d'une "nouvelle médecine" qui préfère les diagnostics virtuels préétablis, la robotisation des échanges, une communication marketing redoutable et des produits prêts à vendre ? Les Big Tech et Big Pharma, peu intéressés par le serment d'Hippocrate, y voient en tout cas conjointement un formidable retour sur investissement.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.