Binance en France : de l'idylle à la controverse

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Trina Banderas, France-Soir
Publié le 15 décembre 2023 - 13:04
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Changpeng Zhao
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David Ryder / Getty Images via AFP
Changpeng Zhao quitte la cour de justice de Seattle (Washington), le 21 novembre 2023.
David Ryder / Getty Images via AFP

TECH - Il y a une décennie, la France faisait face à un déficit d'innovation. Puis est arrivé Emmanuel Macron et sa vision de l'Hexagone en "start-up nation"... Cependant, la politique d'ouverture aux acteurs technologiques comporte des risques, comme en témoigne le couac Binance.

Tout a commencé en novembre 2021, lors de la rencontre, à l’Elysée entre Changpeng "CZ" Zhao, cofondateur et ancien PDG de Binance. La société a annoncé un investissement de 100 millions d'euros dans la scène cryptographique française, le même mois. L'Autorité des marchés financiers (AMF) a accordé l'approbation réglementaire en mai 2022, marquant le début d’une collaboration entre la France et Binance. En octobre 2022, "CZ" était en vedette à la conférence France Fintech, suscitant l'admiration des fondateurs du secteur. À ce moment, le gouvernement français aurait accordé à Binance plus d'une centaine de visas techniques pour l'aider à développer ses activités sur son sol.

Le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire avait déclaré l'an passé à l’antenne de BFM Business qu'il était "fier" de l'enregistrement français de Binance. Attirer des acteurs étrangers, dont Binance, était essentiel pour que la France devienne un "hub européen de l'écosystème des cryptoactifs".

Réputation ébranlée, enquêtes en cours et soutien français inébranlable

Depuis, le secteur de la cryptomonnaie s’est retrouvé chamboulé. Sam Bankman-Fried, fondateur et ancien PDG de FTX, est tombé en disgrâce et a été condamné pour fraude et blanchiment d'argent aux États-Unis. Les régulateurs ont également examiné de près Binance, ce qui a conduit Changpeng Zhao à plaider coupable le mois dernier d'accusations criminelles liées à un blanchiment d'argent et à la violation de sanctions financières internationales. "CZ", qui a bien sûr démissionné de son poste de PDG de Binance, risque jusqu'à 18 mois d'emprisonnement. En France, les autorités enquêtent sur la plateforme qui aurait fait de la publicité et promu ses services avant d'être autorisée à opérer dans le pays.

On aurait pu s'attendre à ce que les événements récents refroidissent les relations entre la France et Binance. Mais le gouvernement français semble être resté sous le charme de l’entreprise de Tech…

À la suite de l'effondrement de FTX, les législateurs français ont renforcé les exigences imposées aux nouveaux venus du secteur souhaitant s'implanter dans le pays. À partir de janvier 2024, l'obtention d'un enregistrement auprès de l'Autorité des marchés financiers devra tenir compte de nouveaux critères, notamment la mise en place d'un système informatique résilient et sécurisé, et d'un processus de gestion des conflits d'intérêts. Toutefois, ces exigences ne s'appliqueront pas aux sociétés déjà enregistrées auprès de l'AMF, dont Binance.

Le gouvernement français a également résisté aux pressions visant à avancer à octobre 2023 la date limite à laquelle les sociétés de cryptomonnaies enregistrées étaient obligées de demander une licence réglementaire, une telle mesure risquant de faire fuir les investisseurs. En vertu de la législation révisée et du droit européen, le statut réglementaire français de Binance lui permet une période de grâce de 18 mois avant de devoir demander une licence, ce qui signifie qu'elle peut continuer à fonctionner avec un enregistrement local jusqu'en… juillet 2026.

La face cachée de l'initiative éducative de Binance en France

Derrière un programme caritatif apparemment bienveillant, Binance a utilisé des tactiques agressives pour inciter les gens à utiliser ses services dans certaines des zones les plus défavorisées de l’Hexagone. Loin de ses bureaux clinquants de la place de la Bourse, la société a ciblé des banlieues telles qu'Aulnay-sous-Bois et Montreuil. Son engagement : former des étudiants de tous les horizons aux compétences techniques requises pour trouver un emploi dans les industries liées à la blockchain, y compris en tant qu'ingénieurs. L'objectif était d'atteindre 10 000 étudiants d'ici la fin de l'année.

Mais, selon une enquête du Financial Times, en octobre dernier, une séance d'information a eu lieu à Aulnay-sous-Bois, ville de banlieue parisienne, où précarité se conjugue avec criminalité. La session a consisté en une présentation sur la technologie blockchain, suivie d'un court exercice pratique sur Solidity, un langage de programmation blockchain. Les participants ont reçu des cadeaux promotionnels de Binance, tels que des casquettes, des brochures, des stylos ou des cahiers. Ils ont également été invités à télécharger les portefeuilles MetaMask, un logiciel permettant d'accéder à des applications décentralisées et de stocker des actifs numériques, y compris des instruments financiers non réglementés.

Démarches marketing prohibées et programme éducatif contesté

Toutefois, la réglementation française n'autorise pas les sociétés de cryptomonnaies enregistrées telles que Binance à effectuer des démarches non sollicitées auprès de clients potentiels à des fins de marketing. Cela constitue une infraction pénale qui peut entraîner des amendes allant jusqu'à 7 500 euros pour les particuliers et 37 500 euros pour les entreprises.

Binance France a simplement déclaré : "Nous reconnaissons que l'éducation numérique et le développement des compétences peuvent être hors de portée pour beaucoup, ce qui entraîne une industrie de la blockchain qui manque de diversité et de talent. Le programme Binance Scholar contribue à changer cela, en couvrant les frais de scolarité et les frais de cours dans certaines des meilleures universités ou collèges du monde."

Toujours selon l'enquête du Financial Times, sur les 10 000 personnes que Binance a l'intention de former d'ici à la fin de 2023, moins d'une centaine auront reçu des cours de codage ! Les autres recevront des "cours de sensibilisation". "Cela ressemble plus à une opération de marketing qu'à autre chose", a déclaré l'eurodéputée française Aurore Lalucq, qui s'est opposée en juin dernier à l'enregistrement de Binance par la France. Pour elle, l'initiative ressemble à une tentative de la plateforme de trouver de nouveaux utilisateurs dans des zones vulnérables, sous couvert d’un pseudo-projet éducatif.

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