IHU-Méditerranée Infection : mais qui veut tuer un pôle d’expertise français ? 

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Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 20 avril 2023 - 17:00
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IHU
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NICOLAS TUCAT / AFP
L'un des laboratoires de l'IHU va-t-il perdre son indépendance ?
NICOLAS TUCAT / AFP

Le 20 mars dernier s’est réunie la Commission médicale d’établissement (CME) de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) de Marseille. Présidée par le professeur Jouve, la CME a pour objectif théorique de préciser les futures stratégies de l’établissement public. Dans les faits, l’existence même d'un des laboratoires de l’IHU est menacée. 

Dans un discours tenu devant la CME, le professeur Philippe Brouqui, infectiologue, a exprimé son inquiétude quant à l’avenir du laboratoire “diagnostic” de l’IHU, spécialisé dans l’analyse et l’identification des microbes dans les maladies infectieuses.  

Un fleuron de la stratégie française

Une fusion avec un autre service, dédié à la biologie médicale et au diagnostic, menacerait directement son existence. 

Le professeur Brouqui explique qu'“un laboratoire de plus de 200 personnes commence à devenir difficile à gérer”. Selon lui, il est essentiel d’avoir “deux laboratoires, l’un standard pour des analyses comme les prises de sang qui demandent du rendement, et un autre pour une activité spécifique micro-biologique, innovante, réactive avec un équipement d’avant-garde pour tester avant la généralisation”. Et il ajoute : “Il n’y a rien de commun entre les deux laboratoires”. D’un côté, “vous avez un labo de ‘R&D appliquée’ et de l’autre une ‘usine de diagnostic’”.  

Cette fusion, poussée par la direction générale de l’AP-HM, créerait une nouvelle entité dont la standardisation nuirait à des disciplines hétérogènes et entraînerait, toujours selon le professeur Brouqui, “une perte d’expertise irrémédiable”. Elle accroîtrait la complexité administrative et freinerait la mise en œuvre de solutions en cas, par exemple, de nouvelle crise épidémique . 

C’est pourtant sa liberté vis-à-vis de l’administration et sa souplesse d'organisation qui a permis à l’IHU d’être à l’avant-garde dans la réponse à la crise Covid et, par la suite, face à la variole du singe. 

Un des fondements de la recherche hospitalo-universitaire, au croisement hybride entre la recherche médicale appliquée en situation d'urgence et la science dure, serait ainsi menacé, avec une perte de moyens opérationnels et techniques qui pourrait se traduire à son tour par une perte de chance pour les malades. 

Historiquement, le financement de l’IHU, décidé au cours des années 2008 et 2009, était voué à la défense d'un modèle capable de créer des outils performants et réactifs, d’intérêt général et public.

Le tournant : l'arrivée de François Crémieux à la tête de l'AP-HM 

Sa récente évolution est à remettre dans le contexte d’un parachutage de François Crémieux à la tête de l’AP-HM (Assistance publique - Hôpitaux de Marseille), ressenti par des membres et des équipes de l’IHU comme une tentative de “mise sous tutelle”.  

Cette dernière avait été présentée dans les médias comme ayant eu pour effet l’apparente mise sur la touche du professeur Didier Raoult. Cependant, l’ancien président de l’Institut affirme être parti de son plein gré alors qu’il atteignait l’âge de la retraite.  

En revanche, la démission de l’ancienne présidente historique de l’IHU-Méditerranée interpelle davantage quant aux orientations données à l’établissement de santé et de recherche depuis l’arrivée du nouveau directeur de l’AP-HM.  

Dans un communiqué, daté du 5 avril 2023, Yolande Obadia précise les raisons de son propre départ :  

“Il m'apparaît que les orientations actuelles de l'AP-HM, bien davantage qu'auparavant, fragilisent et banalisent aujourd'hui ce qui a fait toute la dynamique de l'IHU à savoir des équipes médicales et paramédicales du pôle maladies infectieuses très soudées et volontaires pour travailler sur des sujets de fond. Cela risque de ralentir de façon significative la mise en œuvre des missions que vous avez confiées aux équipes de l'IHU et à son directeur au nom du Conseil d'administration, comme la mise en valeur des plateformes technologiques de l'IHU par le biais de recherche de partenariats tant scientifiques qu'industriels. Il me semble que la remise en ordre nécessaire qui a été décidée par le CA, à juste titre sur bien des points, ne devrait pas devenir une mise sous tutelle permanente et qu'un équilibre entre contrôle réglementaire et autonomie de la structure, telle que prévue dans la conception des IHU, aurait pu se mettre en place de façon respectueuse, confiante et fluide. Je n'ai pas le sentiment que l'on s'oriente vers cet équilibre et suis inquiète de l'évolution en cours, qui risque, à terme, de dénaturer l'esprit qui a prévalu à la mise en place des IHU.” 

Didier Raoult, sur son compte Twitter, a commenté ce départ : 

Le professeur Brouqui a déclaré avoir été mis au courant du projet de fusion des laboratoires le 11 janvier 2023. Devant le CME, il indique : "À ce jour et avant même consultation de la CME, on a l’impression que la décision est déjà entérinée."

Elle correspondrait à une mise sous contrôle du laboratoire “diagnostic” par l’AP-HM, dirigé par François Crémieux. 

Plaidoyer pour le laboratoire "diagnostic" de l'IHU

“L’IHU vous appartient et il est en danger, défendez-le", déclare solennellement le professeur Philippe Brouqui à la fin de son intervention devant la Commission médicale d'établissement.

Ce dernier a demandé aux membres "de la CME de ne pas valider ce projet avant d’en avoir étudié les bénéfices et les risques pour notre communauté médicale (...) C'est de notre avenir dont on parle".

La décision finale reviendra à la direction de l'AP-HM qui suivra ou non les conclusions des études scientifiques et techniques d'évaluation des membres de la CME. On ne sait pas si cette la Commission médicale d'établissement aura alors à l'esprit cette citation prêtée à Churchill :

"Construire peut être le fruit d'un travail long et acharné. Détruire peut être l'œuvre d'une seule journée."

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