Pr Drancourt : la paléomicrobiologie à l'IHU, ou les "secrets d'histoire" appliqués à la science

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FranceSoir
Publié le 26 novembre 2021 - 20:00
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Michel Drancourt, devant l'IHU Méditerranée Infection, le 17 novembre 2021
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Neyer Valeriano / FranceSoir
Le professeur Michel Drancourt, devant l'IHU Méditerranée Infection, le 17 novembre 2021.
Neyer Valeriano / FranceSoir

Marseille, épisode 4  Faire le diagnostic rétrospectif d’une maladie infectieuse à partir d’échantillons humains datant de plusieurs siècles, comprendre la cause du décès par maladie infectieuse de personnages historiques comme le peintre Le Caravage, est l’un des axes de recherche du professeur Michel Drancourt, co-inventeur d’une nouvelle discipline : la paléomicrobiologie.

Dans cet entretien essentiel, Michel Drancourt, professeur de microbiologie, spécialiste du diagnostic au sein du laboratoire de l’IHU Méditerrannée infection, aborde de nombreux sujets dans lequel il nous ouvre un champ de connaissance nouveau pour expliquer comment l’exploration du passé lui permet de comprendre le présent pour mieux envisager l’avenir.

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La défense du modèle académique dans les publications scientifiques

On a souvent fait le reproche à l’IHU Méditerranée Infection de trop publier : une critique qui n’a pas de sens pour Michel Drancourt, directeur adjoint de l'IHU, pour qui la masse de publication n’empêche pas la qualité des travaux. Il s’inscrit également en faux sur l’idée qu’il y aurait de « grandes et de petites publications ». Si certaines études ont nécessité moins de temps de travail, la connaissance parfois nouvelle qu’elles contiennent n’en est pas moins grande, et le temps est juge de la portée des travaux.

Enfin, les conflits d’intérêts qui peuvent exister au sein de grandes revues scientifiques, l'ont amené à préférer un modèle académique, qui consiste pour chaque institut à publier ses propres travaux. Pour illustrer ce choix, il nous conte l’histoire d’Alexandre Yersin, découvreur de la bactérie de la peste ou infection à Yersinia pestis en 1894.

Alexandre Yersin (1863-1943), chercheur franco-suisse de l’école pasteurienne, découvre la bactérie de la peste et publie ses travaux dans les annales de l’Institut Pasteur. Envoyé à Hong Kong, il se retrouve en concurrence avec une équipe de Japonais formés à Berlin, issus de l’école allemande de Robert Koch. Ces derniers déclarent à leur tour avoir découvert le microbe responsable de la peste. Éclate une querelle scientifique dans laquelle chacun revendique la paternité de la découverte. Les chercheurs japonais qui avaient des relations avec les éditeurs du "Lancet" publient leurs travaux dans cette revue très réputée, ce qui leur vaut la paternité de la découverte. Aujourd’hui, cependant, l’étude des documents de l’époque permet de comprendre qu’il ne s’agissait pas de la bactérie de la peste, mais du pneumocoque, et que c’est bien à Alexandre Yersin que l'on doit attribuer la paternité de cette bactérie.

L’histoire des sciences est rythmée par ces querelles et ces débats enflammés. Des récits et des anecdotes du passé à celles auxquelles nous assistons aujourd’hui, peu de choses changent, sinon les noms des scientifiques.

L’invention de la paléomicrobiologie

Fort d’une riche expérience, ce fidèle collaborateur de Didier Raoult, avec qui il travaille depuis 35 ans, crée avec ce dernier et le docteur en chirurgie dentaire Gérard Aboudharam la paléomicrobiologie. De quoi s’agit-il exactement ? « « Faire du diagnostic de maladie infectieuse, non pas sur une personne vivante mais sur une personne décédée, il y a x années, le x pouvant être, pour notre record à l’IHU, 4500 ans ». Étudier les microbiotes anciens à partir d’échantillons humains datant de plusieurs siècles permet de comprendre rétrospectivement certaines maladies infectieuses.

Ce pôle d’expertise s’inscrit très profondément dans l’histoire de la médecine de la ville de Marseille dont la géographie particulière, avec son port ouvert sur l’Afrique, en fait un lieu propice à l’entrée des virus et des bactéries.

Des premiers travaux portant sur la grande peste de Marseille qui a commencé en 1720 et s’est arrêtée en 1722, à la mise en place des outils de laboratoires qui ont permis un diagnotic rétrospectif des maladies infectieuses, Michel Drancourt nous fait partager sa connaissance. Des histoires de sciences où l’on découvre comment les dents sont un matériel clinique essentiel pour établir un diagnostic rétrospectif, la pulpe dentaire contient une goutte de sang au moment du décès de la personne, ce qui permet de connaître tous les microbes, et ainsi démasquer la cause du décès.

La peste, maladie encore présente dans certaines régions du monde notamment à Madagascar et en République démocratique du Congo, est un bon exemple pour expliquer l’importance de la paléomicrobiologie. Ce nouveau champ d’investigation scientifique, a permis par l’exploration sur les squelettes anciens d’acquérir des connaissances nouvelles, ou parfois de réactualiser certaines connaissances oubliées. Étudier le cycle naturel du microbe de la peste dans la nature avant d’infecter les populations et comprendre que le microbe est capable de rester vivant dans le sol a permis de confirmer l’une des grandes découvertes d’Alexandre Yersin, malheureusement trop longtemps ignorée. Cette connaissance réactualisée, Michel Drancourt espère qu’elle sera appliquée pour lutter contre la maladie alors que des foyers ressurgissent régulièrement comme c’est le cas à Oran, où l’épidémie si bien décrite dans le roman de Camus en 1942, a fait son retour depuis une dizaine d’années.

Un entretien essentiel qui nous enseigne comment, de l'infiniment petit à l'infiniment grand dans le temps, la connaissance se façonne, et la recherche se met au service du soin.

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