Matthieu Million, au plus près du patient à l'IHU : recherche, éthique du soin, école du réel
Marseille, épisode 3 : Matthieu Million, la recherche au service du soin. Professeur de médecine, il nous livre son approche de la pratique médicale et les enjeux qui en découlent. Le témoignage et l’expérience d’un clinicien, responsable de l'hôpital de jour, qui a vu plusieurs milliers de patients depuis le début de l’épidémie de coronavirus.
Essais randomisés contre étude observationnelle
Depuis le début de la pandémie, l’un des principaux reproches fait aux médecins de l’IHU est de ne pas avoir mis en place d’essais randomisés. Des accusations auxquelles le professeur Million répond en nous donnant des explications et les raisons qui les ont conduits à choisir une autre approche. Aujourd'hui, la communauté scientifique a tendance à prendre en considération uniquement les études dites randomisées, qui comparent un groupe expérimental appelé groupe d’intervention avec un groupe de contrôle ou groupe témoin suivant un traitement standard ou prenant un placébo avec tirage au sort aléatoire des patients.
Ce modèle d’essais randomisé, mis en place par le bio-statisticien Ronald Aylmer Fisher est considéré par de nombreux scientifiques comme le Saint-Graal des essais thérapeutiques. Cette approche qui tend à se généraliser est-elle adaptée à toutes les situations sanitaires et à toutes les maladies ? Non, confie Matthieu Million, qui défend que cette méthode ne peut être appliquée aux maladies infectieuses aiguës en période d’épidémie alors qu’un traitement connu de longue date, la choloroquine, existe et a fait ses preuves pour soigner de très nombreuses pathologies infectieuses dont le paludisme, les infections à Coxiella burnetii et la maladie de Whipple. En effet, lorsqu’un médicament efficace existe pour soigner un virus potentiellement mortel, est-il éthique de laisser un groupe de patients sans traitement ? Cette question qui a divisé la communauté scientifique non seulement en France, mais également dans l’ensemble du monde occidental n’a toujours pas été tranchée. Cependant, pour le professeur Matthieu Million, il n’y a aucun doute : dans le cadre des pathologies infectieuses aiguës liées à des variants différents se succédant rapidement (tous les trois mois et demi environ), les études observationnelles sont plus performantes que les études randomisées. Observer le patient pour comprendre quel est le meilleur traitement à administrer est la base du travail du médecin infectiologue.
Par ces propos, on comprend que rien ne peut remplacer l’expérience du terrain, une expertise clinique indispensable pour adapter au mieux un traitement qui va être différent selon que le patient est pris en charge au début de la maladie (phase précoce) ou à un moment plus tardif (phase inflammatoire).
Si l’on remonte un peu dans le temps, on s’aperçoit que les divisions scientifiques sur la méthode des essais à mener ne datent pas d’aujourd’hui. Matthieu Million rappelle l’expérience du professeur Dominique Maraninchi, qui n’avait pas effectué d’essai randomisé dans le cadre de la greffe de cellules souches pour soigner les leucémies. Un renoncement qui s’explique facilement lorsqu’on comprend que les groupes sanguins entre le donneur et le receveur doivent correspondre afin que la greffe soit possible. Radié dans un premier temps, le professeur Maraninchi avait été réhabilité suite au succès des greffes de cellules souches.
Le risque de biais dans les essais randomisés gigantesques et le paradoxe de Simpson
Une idée généralement répandue veut que seules les études randomisées évitent les biais. Cette idée est mise en défaut notamment dans le cadre des "mega trials", des essais gigantesques effectués sur des dizaines de centres.
Ces études comportent de nombreux biais qu’on peut aisément comprendre lorsqu’on sait que chaque centre peut avoir une approche et une prise en charge de base différentes. Ce genre de problèmes a été mis en évidence par le paradoxe de Simpson, dans lequel un phénomène observé dans plusieurs groupes s’inverse lorsque les groupes sont combinés. Cela aboutit souvent à des résultats faux, car de très nombreux éléments ne sont pas intégrés de la même manière ou lorsque les élément pris en compte peuvent varier d’un centre à l’autre.
Pour éviter ces problème, Matthieu Million souhaiterait une analyse par centre et regrette que cela ne soit pas fait dans le cadre de ces essais multicentriques européens ou mondiaux.
Plaidant pour plus de transparence, Matthieu Million regrette la plupart des études qui ont conclu à la non-efficacité de l'hydroxychloroquine présentent des conflits d'intérêts avec les sociétés pharmaceutiques. A contrario, toutes les études indépendantes qui ont été menées, montraient une véritable efficacité de cette molécule quand elle était administrée à la phase précoce (dans les cinq premiers jours des symptômes. À propos de l'étude frauduleuse du Lancet dont la publication avait conduit l'OMS à suspendre les essais sur l'hydroxychloroquine, il déplore l’absence d’investigation pour identifier les raisons ayant conduit à ce scandale. De plus, il ne comprend pas pourquoi les études interrompues suite au "LancetGate" n’ont pas été reprises à la rétraction de l’article. Par exemple, l’étude française HYCOVID randomisée trouvait un risque de décès divisé par 2 à 28 jours (6/124 contre 11/123 décès) et aurait été très probablement été significative si l’étude avait été menée à terme.
Le vrai scandale, c’est l’absence de soin
Laisser les gens à leur domicile sans soin, comme cela a été souvent le cas dans cet épisode de coronavirus, est le vrai scandale, pour le professeur Million. Mais qu’est-ce que le soin ? Le soin implique la prise en charge précoce du patient, la surveillance et l'évaluation médicale générale du malade. Si le grand public a entendu parler de la chloroquine, Matthieu Million revient sur la prise en charge complète d’un patient qui va bien au-delà du traitement qui a défrayé la chronique. Sans minimiser l’effet de cette molécule dont il rappelle qu’elle divise par trois le risque de décès lorsqu’elle est administrée à un stade précoce, il rappelle qu'elle n’est cependant qu’un des éléments du soin. Et lorsqu’un patient est au pic de l’inflammation et arrive avec un syndrome de détresse respiratoire, la prise en charge est tout autre avec la mise en place d’un traitement par oxygène et éventuellement des anticoagulants.
Un debriefing passionnant dans lequel Matthieu Million explique sa démarche médicale qui vise à organiser, face à chaque situation, la meilleure réponse pour chaque patient, sans dogmatisme et en collant à la réalité.
Pour aller plus loin :
Protocole thérapeutique pour la prise en charge ambulatoire des patients COVID à l'IHU (vidéo YouTube)
Études sur l'hydroxychloroquine : la réalité contre le big data (vidéo YouTube)
Voir aussi : Marseille, épisode 4 - Pr Drancourt : la paléomicrobiologie à l'IHU, ou les "secrets d'histoire" appliqués à la science
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