Chronique estivale - Ces étonnantes anecdotes de l'histoire de notre justice - Épisode 3  : De la difficulté à garder les prisonniers en prison

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Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 04 août 2023 - 19:00
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Justice
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ARA, pour France-Soir
La Justice dans tous ses états ! Déjà la troisième partie de notre série estivale, par Laurence Beneux.
ARA, pour France-Soir

CHRONIQUE - Ha la prison ! Mauvaise solution pour les uns, sanction nécessaire pour les autres. Toujours est-il que, après une enquête policière couronnée de succès et une procédure judiciaire menée à terme, la condamnation à une peine d’emprisonnement peut être prononcée. Seulement voilà, le manque de places carcérales ne date pas d’aujourd’hui et le manque de personnel judiciaire non plus. Dès 2009, avec 63.189 détenus pour 50.600 places, les 194 prisons françaises étaient déjà saturées. D’après un rapport publié le 21 juillet 2009, cette situation expliquait que la bagatelle de 82.153 peines de prison ferme, dont 10% de plus d’un an, attendaient d’être exécutées. 

Et dès 2003, 11 prévenus avaient la chance d’être libérés par le tribunal correctionnel de Bobigny, …faute d’un nombre suffisant de policiers pour les escorter ! En effet, suite à la mutation d'une trentaine de fonctionnaires pour seulement 4 arrivées un mois auparavant, le nombre de policiers affectés à ce tribunal pour escorter quelques 14.000 prévenus et détenus par an, était tombé à 64 au lieu des 130 nécessaires pour effectuer le travail dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Les magistrats avaient donc décidé de relâcher les délinquants. 

Mais même quand on réussit à faire appliquer une peine d’emprisonnement, il n’est pas tout de placer un condamné en détention, encore faut-il réussir à l’y garder ! 

France – 1986 - LA PRISON DONNE DES AILES… ? 

Cette difficulté de maintenir à l’ombre qui doit y rester, le Syndicat National Indépendant des Personnels Pénitentiaires en a tout à fait conscience, quand il publie, le 27 mai 1986, un communiqué où il exige une plus grande fermeté vis à vis des détenus.  

Avec un joli sens de la formule, le SNIPP déplore en effet que « les prisons n’évoluent pas mais que les détenus s’envolent » et que les maisons d’arrêt « n’arrêtent plus personne » ! 

FRESNES – 1986 - UN MEURTRIER LIBÉRÉ À LA PLACE D’UN VOLEUR ! 

Il faut dire que, cette même année 1986, preuve est faite qu’il n’est pas forcément besoin d’être un as de l’évasion pour jouir d’une remise en liberté des plus prématurées. L’administration pénitentiaire se charge de vous faciliter la tâche ! 

Alain Dénoti, 24 ans, doit purger 15 jours de prison pour vol. Alain Chassaigne, 31 ans, quant à lui, a été condamné à 12 ans de réclusion pour meurtre.  

Un jeune délinquant d’un côté, et un criminel dangereux de l’autre, qui partagent pourtant la même cellule dans la prison de Fresnes. Et qui d’après le personnel pénitentiaire se ressemblent physiquement. Ainsi, ce jeudi de mars, lorsque les gardiens viennent chercher Alain Dénoti pour le libérer, ne se rendent-ils pas compte qu’ils emmènent en fait Alain Chassaigne pour les formalités de la levée d’écrou. Les fonctionnaires du greffe prennent bien les empreintes d’Alain Chassaigne, mais ils négligent de les comparer avec celles de la fiche d’Alain Dénoti, qui ne comporte malheureusement pas la photo de ce dernier. Le meurtrier qui ne devait retrouver la liberté que huit ans plus tard est donc libéré à la place du jeune voleur ! Et ce n’est que le lendemain matin que l’administration pénitentiaire découvre la méprise ! 

Lyon – 1987 - ÉCHANGE DE PRISONNIER 

Entre frères, la forte ressemblance physique n’est pas rare, et certaines fratries l’utilisent sciemment pour faire évader l’un d’entre eux. Les cas « d’évasion par substitution » sont moins rares qu’on pourrait le penser. À la fin du XXe siècle, deux frères jumeaux avaient même réussi à berner les gardiens plusieurs mois durant : l’un d’entre eux était prisonnier, l’autre pas, mais ils avaient décidé de se "partager" la peine d’emprisonnement. Lors d’une visite, le frère libre avait pris la place de son jumeau qui était ressorti à sa place. À la visite suivante, la fratrie avait réitéré l’échange. Le manège avait duré plusieurs mois, chacun purgeant la peine "à mi-temps" ! 

Mais ce 28 octobre 1987, c’est pour tenter une évasion pure et simple que deux frères utilisent leur ressemblance. 

Mohammed Allam, 20 ans, rend visite à son frère Ghrézi, 25 ans, au parloir de la prison où ce dernier est incarcéré pour vol à main armée et hold-up d’une agence du Crédit Agricole. Mohammed remet alors son blouson et ses papiers à son frère avant de gagner la cellule de ce dernier. Quand les gardiens se rendent compte de « l’échange de prisonnier », c’est trop tard ! Ghrézi est déjà dehors ! 

Mohammed argumentera que son frère l’a forcé, défense qui ne convaincra pas le tribunal correctionnel de Lyon puisqu’en juin 1988 le jeune homme sera condamné à 24 mois d’emprisonnement dont 12 avec sursis pour "connivence d’évasion". 

Bordeaux - 1988 - UN PRISONNIER RÉPUTÉ DANGEREUX LIBÉRÉ PAR ERREUR 

Deux ans plus tard, ce n’est pas une ressemblance physique qui est à l’origine d’une bourde du personnel pénitentiaire, mais une ressemblance d’identité. 

Arrêté en octobre 1987, Jean-Philippe Aguilera est bien surpris, le 14 septembre 1988, de voir les gardiens de la maison d’arrêt où il était incarcéré venir le chercher dans sa cellule pour le libérer. En effet, le détenu de 21 ans, considéré comme dangereux, purge une peine de 12 ans de prison pour viol, tortures et actes de barbarie.  

D’abord condamné pour avoir, avec deux complices, violenté et agressé une handicapée mentale de 26 ans, il avait ensuite vu sa peine aggravée pour avoir récidivé en faisant subir des sévices à un codétenu, un handicapé mental écroué pour viol. 

Alors, que se passe-t-il ce matin-là à la prison de Gradignan ? C’est simple : le greffe, un tantinet étourdi, confond Jean-Philippe Aguilera, 21 ans, avec Antonio Aguilera, 45 ans. Ce dernier a été condamné à quatre ans de prison dont deux avec sursis pour avoir attaqué une agence d’assurance parce qu’il estimait avoir été lésé dans ses remboursements. 

Jean-Philippe Aguilera expliquera par la suite, qu’après sa libération, il se rend à Bordeaux où un examen de sa levée d’écrou lui permet rapidement de comprendre l’erreur administrative dont il a bénéficié.  

Réalisant que sa liberté va être de courte durée, il décide alors de profiter de ces vacances inattendues pour rendre une petite visite à ses parents chez qui il attend tranquillement la gendarmerie. Elle ne manque pas de débarquer, dès le jeudi matin, pour un contrôle de domicile dans le cadre des recherches du détenu chanceux. Jean-Philippe Aguilera se rend alors sans résistance et est à nouveau incarcéré. 

La bourde administrative aura par contre valu un petit supplément de prison à Antonio Aguilera, un artisan qui ne sera libéré que quelques jours plus tard !  

Metz - 1987 - LE GARDIEN DE PRISON QUI VOULAIT ÊTRE BANDIT 

Certes, l’administration pénitentiaire a des difficultés pour recruter du personnel. Le métier n’attire pas, c’est connu, et comme l’État rechigne à s’attaquer aux racines de ce désamour, il ne peut pas se montrer trop difficile.  

Mais il est quand même des erreurs de recrutement aux conséquences fâcheuses, qui peuvent contribuer à ce que les "maisons d’arrêt n’arrêtent plus personne". 

Certains ambitionnent de devenir astronaute ou chanteur, Jean-Louis D, lui, a un rêve : faire partie du "milieu", comprenez la mafia, le grand banditisme.  

Mais n’est pas Al Capone qui veut, et le recrutement ne se fait pas sur CV envoyé à la Direction des Ressources Humaines.  

Alors, Jean-Louis a une idée pour faire connaitre sa vocation à des employeurs potentiels : il se fait engager comme gardien de prison, un poste où il pourra certainement proposer ses services à ses héros. 

La chance de faire ses preuves surgit en 1984, au travers de Bruno Carillo, le meurtrier d’une bijoutière, qui attend son procès devant la Cour d’assises de Meurthe et Moselle. Carillo connait du beau monde, puisqu’il est le beau-frère du célèbre braqueur Bruno Sulak. Jean-Louis propose au meurtrier de l’aider à s’évader. 

Mais un contrôle dans la cellule de Carillo en août 1984 permet la découverte d’objets propres à attirer l’attention du personnel pénitentiaire même le moins soupçonneux : une corde de 10 mètres de long et des plans de la prison de Nancy où le criminel devait être transféré (prison dont il tentera d’ailleurs de s’évader la veille de son procès où il écopera d’une peine de 13 ans de réclusion).  

Une enquête est ordonnée et Jean-Louis D est rapidement soupçonné. Sa démission, peu de temps après le début de l’enquête, fin décembre 1984 ne plaide pas pour lui.  

Le 17 décembre 1987, il est inculpé de connivence à évasion tandis que Carillo doit quant à lui répondre du chef de corruption de fonctionnaire. 

Béziers - 2009 - ÉVASION FACILE 

Il faut bien reconnaître que le manque de personnel nuit à la sécurité des prisons. Et si quelques évasions célèbres et spectaculaires ont fait la une des journaux, où des complices dévoués n’hésitent pas à avoir recours à des hélicoptères pour aider des prisonniers en mal de liberté à « s’envoler », il n’est pas toujours nécessaire de se donner tant de mal ! 

"Trois détenus qui s’évadent d’un coup, ça fait désordre", se lamente le dirigeant national de FO Pénitentiaire en cette fin juillet 2009 

Hé oui, surtout quand lesdits détenus, dont un criminel considéré comme dangereux et en attente d’un procès aux assises, sortent par une porte laissée ouverte au niveau des cuisines où s’effectue une livraison. Puis traversent tranquillement la cour d’honneur de la prison dont la caméra est en panne, et n’ont plus qu’à franchir un mur d’enceinte haut de deux mètres, dépourvu d’alarme et sans surveillance. Il ne leur reste alors qu’à voler une voiture, après avoir agressé sa propriétaire, et à partir. 

Les syndicats de surveillants dénoncent la vétusté de l’établissement, sa surpopulation carcérale (104 détenus pour un établissement de 48 places) et un sous-effectif en personnel. 

Les trois évadés seront repris peu de temps après.   

Cherbourg - 1988 - ÉVASION À L’ARME PROPRE ! 

Et puis parfois, un peu d’imagination et d’adresse manuelle suffisent pour se faire la belle. 

C’est par un bel après-midi de février de 1988 que Thierry Trébution, spécialiste des braquages, neutralise deux gardiens à l’issue de la promenade en les menaçant d’une arme.  

Avec l’aide de 3 autres détenus, il les enferme ensuite dans une cellule. Les quatre hommes s’enfuient alors dans une voiture appartenant à l’un des surveillants, après l’avoir contraint à leur donner les clefs du véhicule. 

L’arme ayant servi à l’évasion sera retrouvée : il s’agit un "pistolet" sculpté dans du savon et noirci avec du cirage…

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