Taxis contre Uber : à Istanbul, la guerre des routes fait rage

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Par Fulya OZERKAN - Istanbul (AFP)
Publié le 22 avril 2018 - 08:15
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Un taxi (jaune) sur le pont de Galata à Istanbul, fin mars.
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© OZAN KOSE / AFP
Un taxi (jaune) sur le pont de Galata à Istanbul, fin mars.
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Véhicules cabossés qui slaloment à tombeau ouvert entre les files, chauffeurs qui klaxonnent à tout-va, tarifs qui varient... les taxis jaunes d'Istanbul font partie du décor de la mégalopole turque. Mais la croissance fulgurante de l'application Uber les fait trembler.

Les quelque 17.400 taxis officiellement enregistrés, aussi critiqués qu'indispensables dans une ville tentaculaire au réseau de transports en commun insuffisant, se sentent sur la sellette, face à la concurrence des quelque 8.000 chauffeurs Uber.

Des associations de taxis ont saisi les tribunaux pour réclamer l'interdiction pure et simple d'Uber à Istanbul, alors que la tension entre chauffeurs monte dans la rue, dégénérant parfois.

Plusieurs chauffeurs Uber affirment avoir été agressés par des chauffeurs de taxi qui s'étaient fait passer pour des clients. Kemal Kuru, qui travaille pour Uber depuis un an, raconte ainsi avoir été passé à tabac par une dizaine de personnes en mars, alors qu'il s'apprêtait à récupérer un client devant une salle de concert sur la rive européenne d'Istanbul.

"Après avoir reçu un appel téléphonique, je me suis mis en chemin pour récupérer un client vers minuit. C'est là que quelqu'un s'est mis en travers de la route et m'a insulté", dit à l'AFP cet homme de 47 ans. "Je suis sorti de la voiture et là, d'un coup, une dizaine de personnes m'ont agressé (...) J'ai eu plusieurs dents cassées et la lèvre ouverte."

Les assaillants ont pris la fuite mais M. Kuru est persuadé qu'il s'agissait de chauffeurs de taxi. "Ils pensent qu'on leur vole des clients", déplore-t-il.

- "Calomnies" -

Interrogés par l'AFP, des représentants des chauffeurs de taxi d'Istanbul rejettent toute implication de leurs confrères dans ces incidents qui se sont multipliés ces derniers mois.

Eyüp Aksu, qui dirige la principale association de chauffeurs de taxis stambouliotes, accuse même Uber d'avoir lancé une "campagne de publicité" négative pour influencer les procès en cours: "Les chauffeurs de taxi n'ont jamais eu recours à la violence contre Uber (...) C'est une campagne calomnieuse visant à salir la réputation des taxis."

Les taxis ont longtemps joui d'un monopole incontestable qui les a conduits à ne pas saisir à temps les évolutions de la demande et des technologies, contrairement à Uber qui séduit de plus en plus de jeunes et de femmes, rassurées par la traçabilité qu'offre l'application.

Alors qu'Uber permet de payer via son application, la plupart des taxis n'ont même pas de terminal de carte bancaire.

M. Aksu reconnaît que le secteur des taxis accuse un certain retard, mais ajoute que des transformations sont en cours pour se mettre aux standards d'Uber.

- "Pirates" -

Déterminés à investir le terrain numérique, les taxis d'Istanbul ont ainsi lancé une application, iTaksi, qui permet aux clients de passer une commande via leur smartphone, comme Uber.

Mais il faudra du temps pour redorer leur image, écornée par d'innombrables histoires sordides. Prix gonflés, détours justifiés par des "embouteillages" ou des "chantiers" imaginaires, et même billets de Monopoly en guise de monnaie: de nombreux Stambouliotes ou touristes de passage ont une anecdote à raconter.

Un tribunal d'Istanbul a condamné le 11 avril à un an et trois mois de prison avec sursis un chauffeur de taxi qui avait baladé pendant des heures un touriste saoudien qui souhaitait se rendre à l'aéroport.

Pour autant, les compagnies rejettent toute généralisation et soutiennent que la plupart des chauffeurs sont d'honnêtes travailleurs, qui cherchent à survivre dans un secteur où les marges fondent comme neige au soleil.

A l'affût de clients au bord du Bosphore, Burhan Yüksek affirme que son activité a "énormément" souffert à cause d'Uber.

"Je travaille près d'un hôtel. Avant, on recevait tous les jours 40 à 50 appels de l'établissement. Maintenant, c'est tombé à environ 15 ou 20", dit-il. Les chauffeurs Uber "sont des pirates. Ils nous volent notre travail et notre pain."

- "Esclavage" -

Dans leur guerre contre Uber, les chauffeurs sont convaincus d'avoir un soutien de poids en la personne du président Recep Tayyip Erdogan, qui se fait régulièrement photographier en train de boire du thé dans des stations de taxi.

Pour Uber, ces tensions en Turquie sont une épine de plus dans le pied de l'entreprise américaine, confrontée à des frondes de taxis et à des scandales dans plusieurs pays. Uber est notamment sous la menace d'un retrait de sa licence à Londres. Et le groupe a été contraint le mois dernier de suspendre un test de voitures autonomes sur route après un accident meurtrier en Arizona (Etats-Unis).

L'implantation d'Uber en Turquie remonte à seulement trois ans et est en pleine expansion. Parmi les 8.000 chauffeurs enregistrés aujourd'hui, certains sont d'anciens conducteurs de taxis exaspérés de travailler pour des compagnies qui possèdent les licences (coût moyen: 300.000 euros) et auxquelles ils doivent louer un véhicule.

Yavuz Saraç est l'un d'eux. Il a commencé à travailler avec Uber l'été dernier après avoir compris, dit-il, qu'il ne pourrait jamais devenir le propriétaire de sa plaque même s'il travaillait "pendant 150 ans".

"Uber apporte de nouvelles opportunités", dit-il. "Pour moi, c'est un peu comme si j'avais fui l'esclavage pour retrouver ma liberté."

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