La France "championne du monde" des dividendes, vraiment ? La réponse est non
Une récente étude des ONG Oxfam et Basic prétend conclure que la France est championne du monde en matière de distribution de dividendes. Présentée ainsi, cette conclusion univoque forme une sorte de slogan qui attire l'attention mais est-il véritablement fondé? En prenant un peu de temps pour l'analyse, nous allons nuancer cette affirmation qui relève plus de l'idéologie que de l'enquête-terrain minutieuse et impartiale.
Tout d'abord, un constat sociologique. Qui dit dividendes imagine, dans son subconscient, l'actionnaire savoureusement dessiné par Plantu: haut de forme, gilet rayé, surpoids de bourgeois du XIXe siècle et gros cigare. On est loin du modeste épargnant qui a abondé de 3.000 euros son assurance-vie auprès de la CNP Assurances via la Banque Postale et il est excessif et inexact de penser que tous les épargnants ont un compte à six chiffres chez Lazard Frères ou ABN Amro.
Puis, il faut aborder une évidence que bien des médias vont omettre de souligner. On nous parle du montant global des dividendes, soit 44,3 milliards d'euros en 2017 mais on oublie un fait essentiel: en un an (de 2015 à 2016) le nombre d'actionnaires individuels a progressé de +22%. Ils étaient un peu moins de trois millions, ils sont désormais 3,67 millions. D'évidence, le chiffre à retenir est le montant des dividendes rapportés au nombre total d'actionnaires.
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Autre évidence, la France souffre toujours du refus du Premier ministre Lionel Jospin d'élaborer –à l'aube des années 2000- des fonds de pension à l'image des projets envisagés alors par le député Jean-Pierre Thomas. Le résultat, c'est que les entreprises du CAC 40 voient leur capital détenu à plus de 50% par des fonds d'investissement étrangers à commencer par le puissant BlackRock. En matière de dividendes, la rigidité intellectuelle de Lionel Jospin aboutit à ce que plus de 20 milliards sortent de France chaque année. Vrai dogmatisme, vraie déroute.
De tout cela Oxfam –qui sera présidé par l'ancienne ministre EELV Cécile Duflot dès le 15 juin– ne parle pas, préférant le slogan racoleur à l'exhaustivité des faits. Du fait de la lourdeur des impôts de production, la rentabilité des entreprises françaises est bien souvent inférieure à celle de leurs concurrentes. Dès lors, le montant des dividendes devrait être rapporté, dans des comparaisons de type benchmark international, aux taux de marge. On confond trop souvent rentabilité d'exploitation et rendement du capital investi. Le thermomètre et la jauge.
Si Oxfam n'avait pas des œillères dérivées de ses présupposés, cette ONG pourrait demander à de multiples DAF d'entreprises du CAC 40 (et pas seulement) ce qui s'est passé depuis 2012. En 2012, le trio Hollande–Moscovici–Ayrault a inventé de taxer "autant" les revenus du capital que ceux du travail. En premier lieu, le trio a donc juste omis d'intégrer que le capital n'est rien d'autre qu'un stock d'épargne que l'impôt a déjà frappé avant de se constituer, ne serait-ce que par l'impôt sur le revenu. En conséquence, certains détenteurs de revenus mobiliers ont été taxés à hauteur de plus de 70% du fait des prélèvements sociaux additionnels.
Par un effet boomerang dont l'économie a le secret, les épargnants ont demandé à ce que leurs pécules annuels après impôts soient maintenus d'où une hausse mécanique du montant global des dividendes. Ce 110 mètres-haies entre la fiscalité et l'épargne a opportunément été cisaillé par l'instauration de la flat-tax qui nous remet dans la moyenne de taxation des pays européens.
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CAC 40: des profits sans partage, voilà l'intitulé de l'enquête de Manon Aubry. Elle gomme plusieurs variables interprétatives et se complait en affirmant: "Les entreprises du CAC 40 n'ont pas toujours été aussi généreuses avec leurs actionnaires. Si elles leur ont distribué plus de 67% de leurs bénéfices en 2016, ce taux ne dépassait pas les 30% dans les années 2000 où les entreprises versaient deux fois moins de dividendes à leurs actionnaires par rapport à leurs niveaux de bénéfices ". Toujours l'image de course poursuite du type 110 mètres-haies. Le vrai sujet est ailleurs: il est au niveau du partage de la valeur ajoutée qui est moins favorable aux salariés depuis près de 15 ans. Là est l'enjeu de la rémunération du facteur travail.
En 2017, les groupes du CAC 40 ont engrangé plus de 93 milliards de bénéfices. Sur cette manne, 48% ont été fléchés vers les actionnaires via des politiques agressives de distribution de dividendes. Ce chiffre monte même à 54% si l'on tient compte des procédures de rachats d'actions. Or, précisément avant de décréter que la France est championne du monde des dividendes, l'étude Oxfam et Basic s'adossent à des calculs partiels. D'après leurs estimations, un taux de 67,4% de bénéfices auraient été transférés aux actionnaires de 2009 à 2016 "ne laissant ainsi que 27,3% au réinvestissement et 5,3% aux salariés". Là encore, un peu de connaissances en matière de comptabilité privée ne serait pas superflu. Lancées dans la course à la révolution digitale, les entreprises ont souvent augmenté leurs budgets de Recherche & Développement. Or ceci s'inscrit en amont de la détermination de l'EBITDA et a fortiori des bénéfices distribuables.
Aux États-Unis, la réforme fiscale (abaissement du taux de l'impôt sur les sociétés) a déjà impacté les cours de Bourse et les rachats d'actions sont proprement hallucinants (100 milliards de dollars pour Apple!). Autant dire qu'il est exact d'énoncer que les dividendes français sont vigoureux mais que la rigueur commande de conclure que les Etats-Unis sont, eux, les vrais champions mondiaux, à panel d'investigation comparable.
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