Brexit : l'ombre de la Chine plane sur la City

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction.
Publié le 10 avril 2018 - 14:36
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Le secteur financier britannique, symbole d'inégalités salariales criantes et des difficultés des femmes à accéder aux plus hautes fonctions La City de Londres, le 1er novembre 2017
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© Daniel LEAL-OLIVAS / AFP/Archives
Pékin lorgne avec envie sur la City, un peu moins d'un an avant le Brexit.
© Daniel LEAL-OLIVAS / AFP/Archives
Le 29 mars 2019, sauf événement imprévu, le Royaume-Uni quittera l'Union européenne. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, analyse pour "France-Soir" les premiers effets du Brexit et notamment l'influence grandissante de la Chine à la City.

Après un an d'intenses négociations diplomatiques -qui soit-dit en passant représentent déjà un coût faramineux si on y ajoute les honoraires des prestataires extérieurs (avocats, experts en tous genres)- le Brexit est loin d'être achevé. Sur le strict plan du calendrier, nous sommes à mi-chemin entre le référendum d'il y a un an et la date butoir de 2019 pour la clôture de ce processus historique.

Il s'agit en effet d'un moment d'Histoire pour le Royaume-Uni et à ce sujet plusieurs constitutionnalistes ainsi que des hommes et femmes politiques (Tony Blair notamment) posent avec détermination des questions de fond. Si le Brexit est le fruit d'un référendum, il ne faut pas oublier que le résultat de celui-ci a été avalisé par le Parlement. Dès lors que le seul exécutif (Theresa May) négocie, Tony Blair et autres estiment que la situation exige un vote du Parlement sur le résultat final des négociations sous peine d'abus de pouvoir et de nullité.

Le Royaume-Uni est un vrai régime parlementaire et il se murmure que la Reine Elizabeth II ne serait pas opposée à cette vision du droit. En filigrane, tout le monde aura compris que si le Parlement devait repousser par son vote le fruit des négociations, celui-ci pourrait alors être soumis à un nouveau référendum.

L'avenir dira quelle formule l'emportera: il serait, à ce jour, prématuré et imprudent de penser que les forces anti-Brexit "quasi-majoritaires" ont abdiqué et ainsi renoncé.

De plus, l'actualité incite à redoubler de prudence. L'affaire Facebook et sa cession contestable de données concernant près de 88 millions de comptes d'utilisateurs n'est pas une petite question. Elle interroge la validité du scrutin aux Etats-Unis mais aussi au Royaume-Uni où le score était aussi très serré.

Lire: Cambridge Analytica a joué un "rôle crucial" dans le Brexit, selon le lanceur d'alerte Wylie

Qui sait si les mois à venir ne vont pas voir se développer une affaire Cambridge Analytica devant une cour du Royaume? Rappelons que Marc Zuckerberg est convoqué par la Chambre des représentants américaine en date du 11 avril et que des parlementaires britanniques sont révulsés à l'idée d'un scrutin faussé via des pressions sur l'électeur-utilisateur d'internet. Sans même évoquer la supposée propagande d'inspiration russe via l'IRA: Internet Resarch Agency localisée à Saint-Pétersbourg.

Coûts des négociations, impacts des incertitudes, aléas constitutionnels possibles voire probables, le Brexit n'est pas un fleuve tranquille mais davantage une course où chaque haie présente la physionomie dangereuse d'une herse.

A telle enseigne que le Brexit va peut-être devenir une source grave de tensions. Chacun sait en effet que le débat au sujet de la frontière irlandaise n'est pas tranché. Pour l'heure, l'europhile République d'Irlande (Eire) regarde le risque de voir rétablie une véritable frontière physique avec l'Irlande du Nord qui relève de la souveraineté de Londres.

Ici, on ne parle pas d'économie ou de gestion mais du prix du sang versé dans un passé somme toute récent.

Voir aussi - Irlande du Nord: une paix fragile à l'épreuve du Brexit

Les négociateurs ont, en revanche, abouti en décembre quant au sort des Européens (futurs "foreigner ") travaillant au Royaume-Uni et quant à celui des Britanniques continentaux.

La situation est plus complexe et semble bloquée pour ce qui concerne la reconfiguration fondamentale des accords douaniers. A tel point que Theresa May a dû se fendre d'un communiqué indiquant, fin mars, que la route allait être longue: "Ce qui devient clair, c'est que parfois les calendriers fixés au départ ne sont plus ceux qui sont nécessaires quand on entre dans les détails et qu'on creuse ce qu'on veut vraiment être en mesure de réaliser".

La date officielle du 29 mars 2019 pour le Brexit porte donc une consistante incertitude. Selon certains experts, la résolution des questions commerciales pendantes pourrait requérir la durée d'un quinquennat ce qui n'est pas favorable à la sphère privée et au climat des affaires.

Et pourtant, certains grands groupes -convaincus de l'avenir de la position concurrentielle du Royaume-Uni- ont récemment annoncé de futurs flux d'investissements significatifs. Ainsi, Peugeot va dédier près de 100 millions d'euros afin d'accroître les capacités de l'usine Vauxhall de Luton (Bedforshire). De même Nissan entend bien développer ses sites de production.

Lire aussi - A un an du Brexit, la transition comme amortisseur du choc 

Souverain monétairement, le Royaume-Uni a effectivement des marges de manœuvre pour consolider sa compétitivité sans parler de ses accords bilatéraux avec des pays du Commonwealth.

Toutefois, il y a bien des dossiers urticants. Pour ne prendre qu'un exemple, celui de Galileo (le GPS européen) où le fait que le Royaume-Uni soit un futur Etat tiers lambda lui fermera automatiquement l'accès à des programmes portant une dimension de sécurité nationale ou communautaire.

Il serait présomptueux d'avancer des conclusions quant à l'opportunité économique du Brexit. Certains économistes veulent y voir le déclin futur du pays là où d'autres estiment que la mondialisation permettra à l'insularité géographique d'être un porte-avions au large de l'Europe digne d'un duty free porteur de dumping en tous genres.

Sur le plan financier, l'hémorragie attendue de la City ne s'est pas produite et, par exemple, Londres demeure la première place pour le marché des changes avec un volume journalier d'échanges de 2.400 milliards de dollars (à comparer à New-York: 950 milliards de dollars).

Ce point essentiel rejoint la capacité d'anticipation de la City.

Le Fonds Monétaire International a formellement reconnu le renminbi (RMB, littéralement "la monnaie du peuple", en chinois) en novembre 2015 ce qui ne peut qu'accentuer la demande mondiale portant sur la monnaie chinoise.

A ce strict propos, il est impératif de garder en mémoire le contenu de la visite du président Xi Jinping à Londres (octobre 2016) qui a dit vouloir sceller l'amorce d'une "époque dorée" entre la Chine et le Royaume-Uni.

Le but clairement poursuivi étant que la City puisse devenir un acteur de stratégique de la "yuanisation de l'économie mondiale".

Si le dollar est prépondérant en tant que monnaie de réserve (pour les banques centrales) à hauteur de 62%, quand l'euro se situe autour de 23% et que la devise chinoise ne ressort qu'à hauteur de 5%, il est certain que l'essor du yuan est inscrit dans l'avenir.

La City, alliée de la puissance impressionnante que devient chaque jour davantage la Chine détient là un avantage comparatif conséquent et tangible.

Nul ne peut dire à quel animal va ressembler l'ombre du Brexit d'ici à 5 ans. En revanche, il est acquis que l'axe Pékin-Londres ne sera pas un tigre de papier ce qui démontre manifestement qu'en matière de Brexit, il faut résonner autant en termes macroéconomiques qu'en termes de nouvelle géopolitique.

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