"L'opinion publique peut tout accepter, si c'est bien présenté et si c'est émouvant" Radu Portocala
"Je suis né en dictature. J’ai vécu en dictature jusqu’à l’âge de vingt-six ans. Je sais ce que c’est. Je sais comment ça s’installe..." Contraint à l'exil de Roumanie en 1977, le journaliste et écrivain Radu Portocala s'exclame : "Les temps derniers, ce que j’ai vécu se retrouve de plus en plus dans ce que nous vivons. Autrement, mais pareil. Pour toutes ces raisons, désormais, j’ai peur."
Dictature : toute ressemblance...
Interdictions absurdes et obligations humiliantes sont faciles à imposer.
On vous laisse vivre ; on vous défend seulement d’exister. Tout est dans cette nuance tragique.
Vous n’êtes plus qu’un dossier dans lequel s’accumulent résolutions et notes informatives. La bureaucratie répressive étend son ombre sur vous, vous contrôle, mais vous ne pouvez rien contre elle.
Mais elle peut prendre d’autres formes, elle peut même, en décorant joliment sa vitrine, faire semblant de ne pas être ce qu’elle est. Cela ne change rien à sa substance misérable. Il y a tant de manières d’écraser les gens !
Horresco referens ! "Dictature" est un mot volontiers interdit à ceux qui s'alarment des atteintes aux libertés, taxés de tous les excès. Radu Portocala l'emploie pourtant pour la situation que nous vivons, lui qui l'a connue, indifférent à cette injonction. Il nous rappelle que bien des dictatures se sont cachées derrière des démocraties d'apparence, et derrière le simulacre, trouve que nous glissons vers une "Cité totale" - titre d'un ouvrage de son compatriote Constantin Dumitrescu. La peur, la volonté de faire le bonheur des gens "malgré eux", la "privation de liberté" pour des fautes qu'on n'a pas commises... Comparaison est-elle ici raison ?
Les ravages du manichéisme
Une guerre a chassé l'autre, et Radu Portocala constate que, là aussi, des ressorts totalitaires sont à l'œuvre :
En ce temps de grandes manipulations, il a suffi de quelques jours pour opérer une nouvelle rupture dans la société - et ce n’est pas seulement un phénomène français -, pour faire naître et imposer comme seule posture acceptable une ukrainolâtrie sans nuances et une russophobie que, même du temps de Staline, nul n’avait eu l’idée de concevoir. Ne pas faire sienne l’admiration dithyrambique de Macron pour Zelenski - acteur comique au patrimoine financier douteux, dont le destin politique a été forgé à Washington -, c’est nécessairement être un suppôt du KGB-iste Poutine. « Qui n’est pas avec nous est contre nous » disait Lénine, précurseur inattendu des juges moraux d’aujourd’hui. Les simplifications manichéennes ont été à l’origine de beaucoup de désastres.
[...]
Je ne crois pas à l’existence ici-bas d’un « bon côté » absolu. Je ne veux pas qu’on me le montre là où il n’est pas et qu’on me l’inflige. J’ai connu ça et j’ai réussi à ne pas me laisser faire. Je préfère choisir seul et je n’aime pas me tromper en meute. Et si demain le « bon côté » décidait d’interdire Dostoïevski (comme on a déjà tenté en Italie) ou Boulgakov, je les lirai quand même, quitte à devoir le faire à la lumière d’une bougie.
Radu Portocala souligne le paradoxe de n'avoir rien su voir venir, puis d'avoir "tout su" instantanément, une fois le conflit enclenché. Ne peut-on retenir un instant son jugement ?
Il nous rappelle l'épisode du charnier de Timisoara, de sinistre mémoire : un exemple flagrant d'emballement médiatique qu'il a vécu aux premières loges. L'histoire réclame du temps, mais la désinformation n'attend pas. Témoin de la chute de Ceausescu, et traducteur de son procès pour Antenne 2 fin 1989, il conteste la légende d'une révolution populaire.
Doit-on choisir son camp ? À la précipitation, Radu Portocala préfère la patience et l'information : "attendons de tout savoir", relevant qu'il est "facile d'émouvoir"...
Emmanuel Macron, le "vague tonitruant"
"Il ne sera probablement jamais un grand chef" : il est à craindre qu'au sommet de l'État, on ne l'ait pas entendu. Le président de la République inspire pourtant à Radu Portocala des billets cinglants. Ainsi n'épargne-t-il pas la communication outrancière d'un Emmanuel Macron "guère épais", engoncé dans ses postures de faiseur de paix et chef de guerre (...au risque de perdre la main) :
Des photographies d’Emmanuel Macron circulent sur Internet depuis quelques jours. En noir et blanc ou en couleurs sombres, elles n’ont rien de remarquable ni techniquement ni artistiquement. Cela est, sans doute, voulu : l’image se fait modeste au profit du message.
Elles montrent un Macron tendu, en proie aux réflexions les plus graves, confronté au tragique de l’Histoire ; un Macron avec les cheveux en désordre, qui n’a plus le temps de s’occuper de sa barbe, qui, pour être plus à l’aise dans sa lutte avec les forces du mal, a abandonné le costume au profit d’un tricot de couleur sombre.
Photographies de propagande électorale, portraits de caractère plutôt manqués, qui veulent montrer un président-candidat dans la haute solitude du pouvoir, dans sa confrontation douloureuse avec le destin de l’humanité. Jamais inspiré quand il s’agit de jouer la comédie, le sujet se met en scène maladroitement, prend la pose du grand homme accablé - et, finalement, rate tout. Au lieu de l’intensité dramatique recherchée, du dévoilement des plus secrets moments de profondeur, on ne voit dans ces images que l’artifice qui frôle le ridicule.
Il y a du théâtre dans la politique, certes. Mais elle n’est pas que du théâtre. C’est ce que M. Macron ne semble pas avoir encore compris.
"La presse le fit président, alors qu’il n’était même pas candidat", écrivait notre invité il y a cinq ans... Nous y sommes à nouveau, prétexte à se (re)plonger dans "Le vague tonitruant", recueil de billets de 2017-2018 qui dans un style limpide, à la fois clinique et savoureux, dissèquent celui qui "n’était normalement voué qu’à une sympathique marginalité". Impitoyables pour le personnage, sans céder à la facilité ni tomber dans l'attaque gratuite, ses textes enlevés forment un vade-mecum précieux à un mois du premier tour de l'élection suprême. Radu Portocala nous explique pourquoi il a consacré ces mots à Emmanuel Macron : "je ne peux pas être indifférent à ce qui se passe, avec ce pays. Et Monsieur Macron n'est pas ce qu'il faut à la France !"
Un entretien avec un écrivain qui rappelle l'essentiel : "Ma liberté me demande d'écrire ce que je pense et ce que je sens".
Lire Radu Portocala : sur Facebook, sur Causeur, dans "Politique Magazine", et dans son livre "Le vague tonitruant", toujours disponible.
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