L'archange du Mont-Saint-Michel restauré mais l'avenir du patrimoine inquiète
L'archange Saint-Michel s'apprête à retrouver le sommet de la célèbre abbaye du mont normand, restauré et redoré depuis mars dans un atelier de Dordogne qui ressuscite ors, bronzes et mosaïques à travers le monde, mais s'inquiète pour l'avenir du patrimoine. Délicatement, la doreuse appose une à une de fines feuilles d'or de 84 mm de côté sur l'archange allongé, appuie légèrement avec sa palette, reproduisant le geste millénaire de la plus ancienne méthode de dorure. Entre deux appositions, elle caresse furtivement du blaireau sa joue: il y glane un peu d'électricité statique, qui permet de décoller d'un geste la feuille d'or du cahier. Puis un pinceau dit "appuyeux" vient doucement, méthodiquement, presser sur les feuilles d'or, épousseter le surplus, et lisse le tout. "C'est le moment magique de la dorure. On redécouvre la sculpture sous la feuille, l'or fait ressortir toutes les particularités, les finesses de la sculpture, car il accroche la lumière différemment, bien plus qu'en peinture." A 25 ans, Lucie Gohard, troisième génération du plus illustre atelier de doreurs français (grilles de Versailles, dôme des Invalides, flamme de la Statue de la Liberté, etc.), peaufine avec son père à la Socra, à Marsac-sur-l'Isle près de Périgueux, la dorure de l'archange, touche finale à la restauration de la statue de 1897 d'Emmanuel Fremiet.
Le temps de son lifting, Saint-Michel voisine dans le "hangar aux trésors" de la Socra avec un contemporain, la statue de Saint-Martin (1890) de la basilique de Tours, dont le bronze est en train d'être repatiné. A deux pas, des décors de la Samaritaine. Au fil des ans s'y succédèrent les quadriges du Grand Palais et les fontaines de la Place de la Concorde parmi toutes les oeuvres restaurées par la Socra, qui officie en Serbie, en Ouzbékistan et plus récemment sur la cathédrale d'Oran.
Mais depuis son envol en hélicoptère le 15 mars du Mont-Saint-Michel, c'est l'archange qui a drainé en Dordogne médias par dizaines et visiteurs par centaines --la Socra a dû canaliser le flux avec l'Office de Tourisme. L'effervescence amuse Patrick Palem, directeur de la Socra, rachetée en 2014 à Vinci qui avait acquis en 1990 cette entreprise familiale. "Sur le plan économique, ce chantier est loin d'être important pour nous, une opération à moins de 30.000 euros. Mais niveau communication, cela dépasse tout ce qu'on pouvait imaginer... C'est un peu excessif mais c'est bien, cela met un coup de projecteur sur notre patrimoine, sur ces métiers de restauration."
Car l'avenir ne brille pas forcément pour tout ce qui est d'or. Si la Socra, réputée, peut choisir ses 50 chantiers par an, "nos métiers ont tendance à disparaître, notamment en raison de la baisse des budgets des monuments historiques, divisé par deux en 15 ans environ". Il y a 10-15 ans, les commandes publiques représentaient 90% de l'activité de la société (une trentaine de salariés, dont 11 dans l'atelier parisien): cette part a fondu à 30%.
Pour l'archange ou le Louvre, "il n'y aura jamais de problème", tempère Patrick Palem, qui appelle à "une réflexion globale," sur la pérennisation du "petit patrimoine" de proximité, à l'"intérêt extraordinaire" et aux retombées touristiques avérées. "Le laisse-t-on un peu à l'abandon, en le maintenant sous perfusion, comme c'est le cas un peu partout? Ou pourrait-on imaginer une gestion adaptée, quitte à associer du privé, quitte à réutiliser différemment le lieu, lui donner un sens nouveau, tout en le respectant?", s'interroge M. Palem, qui s'alarme du nombre d'églises en ruines ou à vendre et se désole de l'absence de "culture d'entretien" du patrimoine au quotidien.
L'archange, lui, se redore et engraisse. Avec un "or particulièrement épais" (32 grammes par 1.000 feuilles, au lieu de 23 g habituellement), explique Lucie Gohard, pour l'aider à braver l'érosion et les vents marins, la foudre, l'abrasion du sable. Finement sablé, pansé de ses impacts de foudre --qui font fondre l'or-- doté d'un paratonnerre supplémentaire sur les ailes, repeint à l'epoxy, doré et lissé à l'eau gélatineuse, l'archange va retrouver l'abbatiale, pour un bail de 40 à 50 ans avant la prochaine restauration, espère la Socra.
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