Le "Judith et Holopherne" de Toulouse, un vrai Caravage ou non ?

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Par Jean-Louis DE LA VAISSIERE - Paris (AFP)
Publié le 12 juin 2019 - 10:39
Mis à jour le 14 juin 2019 - 14:00
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Le tableau "Judith et Holopherne" est dévoilé le 28 février 2019 après avoir été restauré, lors d'un photocall à Londres
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© Daniel LEAL-OLIVAS / AFP/Archives
Le tableau "Judith et Holopherne" est dévoilé le 28 février 2019 après avoir été restauré, lors d'un photocall à Londres
© Daniel LEAL-OLIVAS / AFP/Archives

Retrouvé dans un grenier toulousain en 2014, le tableau montrant Judith décapitant Holopherne est-il du Caravage, artiste parmi les plus prisés au monde, comme le pensent beaucoup d'experts? Une vente aux enchères à Toulouse montrera le 27 juin à quel point le marché en est convaincu.

Cinq ans après sa découverte en bon état de conservation mais grise de crasse sous de vieux matelas, la peinture qui passionne tous les fans du peintre italien sera mise aux enchères par la maison Marc Labarbe, avec le cabinet d'expertise Turquin.

L'huile de 144 sur 173 cm, peinte en 1607, avait apparemment été oubliée dans un grenier pendant plus de cent ans. A-t-elle été apportée par un officier d'une expédition napoléonienne ou est-elle arrivée par d'autres voies ? Le mystère reste total.

La scène biblique en clair-obscur dans laquelle Judith incarne la résistance du peuple hébreu est une explosion de violence, bien dans le style du Caravage : le général assyrien lève les yeux vers la jeune femme juive en train de lui trancher le cou, en présence d'une servante ridée et affectée d'un goitre.

La découverte avait été qualifiée de "très importante" par le ministère français de la Culture.

L'existence d'une telle toile est par ailleurs parfaitement documentée dans une série d'échanges épistolaires impliquant des princes et collectionneurs d'art il y a quatre siècles.

La toile ne rejoindra pas les collections françaises. Après l'avoir classée trésor national, empêchant sa vente à l'étranger jusqu'en novembre 2018, l'Etat français a laissé s'écouler le délai au cours duquel il pouvait l'acquérir.

Les propriétaires ont fait une nouvelle demande d'obtention d'un certificat d'exportation, qui a été automatiquement accordé.

Le manque de certitude sur son authenticité ou sa valeur, alors que le budget des musées nationaux est réduit, peut avoir joué dans la décision de l'Etat de ne pas se porter acquéreur.

Pour une oeuvre considérée par une majorité d'experts comme un authentique Caravage, cette valeur a été soupesée à plus de 120 millions d'euros, voire 150 millions d'euros.

- Attribution complexe -

Michelangelo Merisi, dit le Caravage (1571-1610), a produit parfois deux toiles sur un même thème. Une autre "Judith et Holopherne" de 1598, très différente de la peinture toulousaine, existe au Palais Barberini à Rome. Elle montre Judith sous les traits d'une très belle femme, déterminée, vêtue de vêtements clairs.

La toile de 1607 a une inspiration plus sombre, moins classique: Judith est en deuil et détourne le regard en portant l'épée sur Holopherne. Cela est cohérent avec l'inspiration du Caravage, à un moment où lui-même était en fuite, recherché pour meurtre.

L'attribution de toiles au grand maître du clair-obscur est toujours ardue du fait qu'il ne signait pas ses oeuvres et qu'il a souvent été copié.

Un expert mondialement reconnu du maître italien, Nicola Spinosa, avait affirmé en 2016 y voir aussi "un Caravage authentique".

D'autres connaisseurs attribuent le tableau à Louis Finson, peintre flamand (1580-1617), contemporain du Caravage et qui l'a souvent copié. Finson aurait pu la copier en même temps que le Caravage exécutait sa toile.

Le type de préparation, les incisions, les ombres sont caractéristiques du maître lombard. Mais il est possible que la toile ait été corrigée par Finson après le départ précipité de Caravage de Naples pour Malte. Car certains détails comme les rides resserrées sur le front de la servante ne correspondant pas au style du maître lombard.

Une toile de Finson est d'ailleurs bien connue qui reproduit exactement le tableau, mais avec bien moins de finesse et moins de profondeur.

"On peut se demander si le Caravage et Finson avaient conclu un accord selon lequel, en échange de la mise à disposition de son atelier de Naples, Finson avait obtenu l'autorisation de copier les précieux originaux du Caravage", estime l'historienne de l'art Rossella Vodret.

Alors qu'on assiste depuis une dizaine d'années à un véritable "Caravagomania", la toile a été montrée à Londres et New York, et le sera vendredi à Drouot à Paris. Plusieurs musées s'intéressent au tableau aux Etats-Unis, ainsi que des collectionneurs privés en Europe, selon l'expert Eric Turquin.

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