Un "Médecin malgré lui" réjouissant... et d'une actualité grinçante
SPECTACLE — Victime d'une vengeance manigancée par sa femme Martine, Sganarelle est contraint de se prétendre médecin... Et se prend au jeu, avec un succès qui le dépasse. La pièce de Molière est connue, son adaptation par Gounod un peu moins : entre la farce et l'opéra, la compagnie du "Théâtre du Petit monde" en propose une mise en scène enlevée, aux résonances actuelles savoureuses.
Des grivoiseries d'un ivrogne, un peu lâche et ahuri, aux envolées d'un médecin enhardi par son propre culot et le succès de son imposture, Nicolas Rigas (Sganarelle) nous entraîne dans sa mise en scène d'une "comédie lyrique" trépidante. Violon, flûte et accordéon accompagnent avec brio les numéros chantés qui viennent orner le texte de Molière. Comédiens et chanteurs, dans une belle débauche d'énergie, déploient leurs multiples talents. On retient notamment la présence athlétique de Romain Canonne ou la performance lyrique et théâtrale d'Antonine Bacquet, en rusée femme de Sganarelle ou avenante nourrice victime des avances du faux médecin.
Près de quatre siècles après, une satire toujours... piquante
"Je ne suis pas un médecin mercenaire", s'exclame le héros malheureux... en quémandant et acceptant rémunération, seuls la peur et l'appât du gain forgeant sa "médecine". Molière n'a pas été tendre avec les médecins de son temps, et ne l'est pas moins ici avec la crédulité de ceux qui leur accordent une aura largement infondée. Besoin de croire, besoin de pouvoir : cette féroce description d'une bêtise partagée trouve évidemment des échos contemporains. Si Nicolas Rigas avait lancé ce projet avant que l'actualité ne le rattrape, elle l'a largement servi depuis...
Les lectures diffèreront peut-être selon les positions, mais nombre de répliques aisément transposables aujourd'hui font sourire - "Un médecin est un devin" - rire jaune - "Mais, Monsieur, voilà une mode que je ne comprends point. Pourquoi s'aller faire saigner quand on n'a point de maladie ?" - voire frémir à leur humour noir :
Sganarelle - Je suis d'avis de m'en tenir, toute ma vie, à la médecine. Je trouve que c'est le métier le meilleur de tous : car soi qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos ; [...] Les bévues ne sont point pour nous : et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin le bon de cette profession, est qu'il y a parmi les morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde : et jamais on n'en voit se plaindre du
médecin qui l'a tué.
Léandre - Il est vrai que les morts sont fort honnêtes gens, sur cette matière.
"Quoi de neuf ? Molière !"
La pièce est programmée dans le cadre du mois Molière, à Versailles. Fondé en 1996 par le maire actuel, François de Mazières, à l'époque adjoint à la culture, le festival qui se déroule chaque année au mois de juin connaît toujours un grand succès. Sa vingt-sixième édition propose encore "30 jours de théâtre et de musique", avec comme chaque année du Molière bien sûr, mais pas uniquement, affichant une programmation variée, classique et contemporaine, populaire ou plus pointue.
En cette année anniversaire, où l'on célèbre les 400 ans de la naissance de Jean-Baptiste Poquelin, le plus grand dramaturge français est particulièrement mis à l'honneur. Et sa stupéfiante actualité en fait un... remède précieux pour notre époque. La satire peut-elle être salutaire ? Sganarelle chante "Sans nous, tous les hommes deviendraient malsains". Molière ridiculise cette prétention, mais finalement, à défaut d'empêcher les hommes d'être malsains, il nous aide à le voir, et à en rire... Ce qui est réconfortant et, dans ce "Médecin malgré lui", tout à fait emballant.
★ ★ ★ Le Médecin malgré lui, opéra-comique de Charles Gounod, d'après la pièce de Molière
Mise en scène de Nicolas Rigas
Avec Nicolas Rigas (Sganarelle), Antonine Bacquet (Martine / Jacqueline), Till Fechner (Géronte), Romain Canonne (Lucas / M. Robert), Salvatore Ingoglia (Valère), Mylène Bourbeau (Lucinde), Martin Loizillon (Léandre).
Violon : Gilles Lefevre - Flûte : Emma Landarrabilco - Accordéon : Philippe Borecek
Cheffe de Chant : Marie-Christine Goueffon - Costumes : Nicolas Rigas
Aux Grandes écuries de Versailles, dates restantes : samedi 25 juin (20h30) et dimanche 26 juin (17h30)
Réservation : Le Médecin malgré lui
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