Dans les hôpitaux psychiatriques, moins de soins, mais du "gardiennage"
"On n'est plus dans le soin, on est dans le gardiennage" : psychiatres et infirmiers dénoncent le manque d'effectifs, de lits et de temps, et des formations inadéquates, qui dégradent le quotidien des hôpitaux psychiatriques et détériorent la qualité des soins.
Signe de ce malaise, des salariés des hôpitaux psychiatrique de Rouen et du Havre ont même récemment mené des grèves de la faim et obtenu plusieurs dizaines de créations de postes en juin et juillet. À Amiens, une grève est en cours depuis plus de deux mois.
"Les malades psychiatriques sont des malades comme les autres, ils ont droit à des soins et on n'est plus dans le soin, on est dans le gardiennage", dénonce Nathalie Pawlowski-Groppi, référente en psychiatrie à la Coordination nationale infirmière (CNI).
En mal d'infirmiers, les équipes des services de psychiatrie sont souvent accompagnées de personnel de sécurité pour gérer certains patients, raconte-t-elle à l'AFP.
"Pour moi, c'est une catastrophe, ils ne sont pas formés, ces gens-là. Ils sont là pour intervenir en cas de danger, mais ils ne sont pas là pour faire du soin. Donc nous, on préférerait avoir des soignants supplémentaires et pouvoir faire du réel boulot", déplore-t-elle.
En sous-effectifs dans les hôpitaux, le personnel "utilise les médicaments pour arriver un peu à gérer les choses, parce qu'on n'a pas assez de temps et d'(effectifs)", poursuit-elle. Tout en rappelant que la base de la psychiatrie n'est pas le médicament, mais "l'écoute", "l'accompagnement", et "le soutien" envers les malades.
- 'Perte de sens' -
Michel Triantafyllou, président du Syndicat des psychiatres d'exercice public (Spep), décrit à l'AFP des cas de praticiens hospitaliers seuls "pour trente patients hospitalisés".
Manque de personnel, manque de temps et aussi "manque de lits", affirme de son côté Faouzi Ghanem, psychiatre au centre hospitalier Alpes-Isère, à Saint-Egrève.
Les "cas intermédiaires", comme des patients atteints de dépression, quittent alors les hôpitaux psychiatriques trop tôt. "Parfois, ils ne sont même pas stabilisés correctement, pour qu'on puisse accueillir les autres qui sont dans un état plus grave", continue-t-il.
Contactée par l'AFP, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) explique que "2.677 lits d'hospitalisation ont été supprimés entre 2007 et 2017, soit 4,5% de la capacité nationale des lits". Dans le même temps, "2.328 places d'hôpital de jour ont été créées (...), soit une augmentation de 9% en 10 ans".
"Ces données traduisent l'orientation de l'offre de soins vers une prise en charge à temps partiel pour favoriser le maintien des personnes dans leur lieu de vie, l'hospitalisation à temps complet étant consacrée à la gestion des situations cliniques les plus aigües", ajoute la DGOS. Qui rappelle que "86 % des patients suivis en psychiatrie" en 2017 l'étaient "selon un mode ambulatoire", c'est-à-dire qu'ils n'ont pas passé la nuit dans des structures de soins.
Trop peu nombreux, les psychiatres naviguent donc entre hôpitaux de jour et services d'hospitalisation complète, parfois "deux ou trois structures à la fois", explique M. Ghanem. "Les médecins sont éparpillés entre plusieurs structures, du coup on n'a pas le temps de s'occuper réellement des patients", observe-t-il.
Conséquence : "les psychiatres préfèrent quitter le service public et la pression sur nous se renforce encore plus", explique-t-il.
Du côté des infirmiers, Mme Pawlowski-Groppi pointe le manque de formation comme cause de départs prématurés et de difficultés à recruter : "Il y a des heures de psy dans le cursus infirmier mais très peu, (...) donc la psychiatrie fait toujours peur quand même."
"On se retrouve un peu avec cette image-là : la psychiatrie, il faut garder les gens enfermés, etc..., mais c'est pas ça la psychiatrie", poursuit-elle.
Psychiatres et infirmiers détaillent pour l'AFP la "perte de sens" qui affecte de plus en plus leur métier et qui est accentuée par le manque d'échanges avec les directions des hôpitaux.
"La direction (des hôpitaux, ndlr) est de plus en plus éloignée des médecins et nos représentants sont de moins en moins écoutés et associés aux décisions", déclare Michel Triantafyllou du Spep.
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