La fable de la grenouille, ou le quotidien des chauffeurs Uber à Londres
Flexibilité et autonomie. A Londres, des chauffeurs connectés à l'application Uber racontent un quotidien professionnel plutôt plaisant et s'indignent que l'entreprise américaine puisse être poursuivie en justice et menacée de disparition dans la capitale britannique.
Entrepreneur dans le bâtiment, Adam, 46 ans, a tout perdu en Irak, qu'il a dû fuir pour échapper à la progression de l’organisation État islamique. Arrivée à Londres en 2016, il s'est reconstruit peu à peu, sous le statut de chauffeur indépendant. "Uber, c'est ma vie", clame-t-il, en demandant que son nom de famille ne soit pas publié.
En multipliant les courses, il a pu quitter l'appartement d'un ami qui l'hébergeait gratuitement, et prendre un studio, seul. Mais c'est dans sa voiture qu'il passe ses journées, connecté à l'application: de midi à une heure du matin la semaine, et jusqu'à trois heures du matin le week-end. Sept jours sur sept.
- 'Citoyen honnête' -
Il se dit reconnaissant envers Uber, qui lui a permis de retrouver la stabilité. "Je paie même des impôts. J'ai l'impression d'être un citoyen honnête", se réjouit le père de deux enfants divorcé. Tous frais déduits, il gagne autour de 2.000 livres (environ 2.200 euros) par mois. Seule ombre au tableau selon lui, le prix des courses depuis l'aéroport d'Heathrow, trop faible à son goût.
Alors la décision de l'autorité des transports de Londres de ne pas renouveler la licence qui permet à l'entreprise -qui y revendique 40.000 chauffeurs- de fonctionner l'énerve quelque peu.
"C'est honteux, injuste", peste-t-il dans sa Toyota Prius. Uber est "le moyen de transport le plus sûr à Londres", affirme-t-il, inquiet de devoir repartir de zéro si Uber, qui a fait appel vendredi, n'était pas entendue.
Aphrem Andebrhan, lui, ne s'en fait pas. "Si Uber s'en va, une autre compagnie prendra sa place. Vous ne pouvez pas arrêter le progrès", dit ce père de famille britannique de 46 ans, devenu chauffeur en décembre.
Quoi qu'il arrive, il ne retournera pas à son ancien travail de manutentionnaire dans un entrepôt. Avec Uber, son quotidien est "plus facile". Il se félicite d'être son propre patron, et de la souplesse dont il dispose pour organiser son activité. "Si ma femme travaille, je peux conduire mes enfants à l'école".
Il détaille ses revenus. "Ici, je peux gagner environ 15 livres par heure. Si vous enlevez 5 livres de charges, il reste 10 livres. Et je fais ce que j'aime". Quid des vacances ou des congés maladie? "Il suffit d'épargner 100 livres par semaine", assure-t-il.
Il ne comprend donc pas les poursuites engagées par plusieurs anciens chauffeurs contre Uber pour être payés au salaire horaire minimum. "Le salaire minimum ? Vous plaisantez ? Uber fonctionne justement parce que c'est flexible".
- Chauffeurs "pris au piège" -
Une flexibilité dénoncée par le député Frank Field, président de la commission parlementaire sur le travail et les retraites, dans un rapport intitulé "Travailleurs exploités : Uber et la +Gig economy+", publié en décembre 2016.
Selon lui, les conditions de travail se sont fortement dégradées ces dernières années. Il met en avant l'augmentation de la commission retenue pour chaque trajet, désormais fixée à 25% (contre 20% auparavant), et le manque de demande auquel sont confrontés les chauffeurs, dont le nombre ne cesse de croitre (+15.000 en huit mois en 2017). Nombreux sont ceux qui "se sentent désormais pris au piège", souligne le rapport.
Après deux ans à bord de sa Ford Mondeo, James Farrar a cessé son activité. Il a fait les comptes: il travaillait sept jour sur sept, pour 5,3 livres par heure, 30% en dessous du salaire minimum (7,5 livres). "Vous êtes comme une grenouille dans une casserole d'eau qui chauffe", dit-il en référence à la fable où l'animal s'accoutume à une situation qui devient potentiellement dangereuse. "Au début vous pensez que vous aller dégager des bénéfices. Mais vous avez des dettes, pour votre voiture notamment. Et vous finissez par devoir faire énormément d'heures pour gagner votre vie".
Il est l'un des deux chauffeurs ayant porté plainte contre Uber pour exiger le versement d'un salaire horaire minimum, une démarche soutenue par des dizaines de collègues. Il a remporté son procès en première instance mais Uber a fait appel, et une nouvelle décision est attendue à la fin de l'année.
D'ici là, Uber pourrait perdre sa licence à Londres, une perspective qui ne le réjouit pas. "Transport for London (l'autorité de régulation des transports londoniens, ndlr), doit absolument maintenir la licence d'Uber", dit-il, préoccupé par le sort des milliers de chauffeurs qui se sont endettés pour commencer leur activité. "Il faut simplement leur faire respecter la loi".
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