Au restaurant "Le Dictateur" de Tunis, la "liberté" se déguste "grillée"
"Liberté grillée" ou plat "Censuré" ? Bienvenue à la table du restaurant "Le dictateur" à Tunis, un projet inédit qui a valu à son concepteur une certaine notoriété... mais aussi quelques tracas avec les autorités, qui ne l'ont pas trouvé à leur goût.
Six ans après la révolution, point de départ des Printemps arabes, "Le Dictateur" a retenu ce thème insolite pour sa décoration et ses plats, manière de se distinguer des autres restaurateurs de ce quartier huppé de la banlieue de Tunis.
"Il fallait se faire connaître, chercher un nom et un concept qui attire l'attention parce que faire de la bonne nourriture n'est pas suffisant", résume le propriétaire, Seïf Ben Hammouda.
Et "la dictature est un sujet qui est resté tabou durant des décennies, qui est encore très lié à l'actualité en Tunisie", "où les efforts se poursuivent pour instaurer la liberté et la démocratie", ajoute ce trentenaire.
Couleurs sombres, grilles en fer forgé sur un mur orné de caricatures de dictateurs, célèbre photographie de Charlie Chaplin parodiant Adolf Hitler: la tonalité, qui rappelle parfois l'univers carcéral, est rapidement donnée.
Une fois la carte ouverte, les plats ne dépareillent pas, entre "Liberté grillée", "Anarchie", "Opposante" ou "Putsch".
"J'ai voulu profiter pleinement de la liberté d'expression, ce principal acquis de la révolution", plaide le jeune restaurateur, rentré de France en 2008 après des études en management.
S'il affirme que l'idée a germé peu après la chute de la dictature de Zine el Abidine Ben Ali en 2011, il ajoute qu'il lui a fallu patienter de nombreuses années pour lancer son affaire.
Jusqu'en mars dernier précisément, date de l'ouverture de ce restaurant au logo pour le moins surprenant: les traits du dirigeant nord-coréen Kim Jung-Un affublé d'une moustache à la Hitler...
Si chacun sera juge de son bon goût, l'enseigne tape alors dans l'œil des autorités, avant même celui de la potentielle clientèle.
- 'Dictateur culinaire' -
L'initiative a "beaucoup dérangé", affirme à l'AFP Seïf Ben Hammouda, qui décrit un véritable défilé. "On a attiré nombre d’officiels, de la municipalité mais aussi de hauts responsables de l’Etat."
Les visites se font au motif du contrôle des papiers et d'hygiène, ou plus directement pour demander de bien vouloir changer le nom et le logo de l'établissement. Le restaurateur dit même avoir reçu l'appel d'un ministre lui demandant de "laisser tomber pour éviter les problèmes".
"Appeler son restaurant +Le dictateur+, avoir un tel logo, (...) ça a été jugé un petit peu choquant", résume-t-il.
En avril, Seïf Ben Hammouda se résigne, sous les yeux de la police, à retirer l'enseigne controversée.
Entre-temps, ces tracas, relayés par des médias locaux, ont toutefois fini par susciter la curiosité de résidents.
"La première fois que je suis venu, c'était pour voir à quoi pouvait donc ressembler ce +dictateur culinaire+ qui dérangeait tant les autorités", confirme Malek, en pleine commande d'une salade "Citoyenne" et de pâtes "Salazar" en référence à l'ancien dictateur portugais António de Oliveira Salazar.
Fort de cette petite notoriété et au prix d'un compromis -retirer la moustache d'Hitler du "visage" de Kim Jong-Un-, le restaurateur obtient finalement de replacer sa fameuse enseigne.
"Les autorités ont fait de la publicité gratuite à mon restaurant et je les remercie énormément!", s'esclaffe à présent Seïf.
Plus sérieusement, il assure que l'originalité du concept ne se fait pas au détriment de la qualité des plats.
Parmi la clientèle du jour, Chawki attend tout de même de voir. "Lorsqu’on pense que ce sont des dictateurs, ça coupe un peu l'appétit. Mais bon, espérons que la nourriture est bonne", commente-t-il sobrement.
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