Ukraine : quand le mousseux coule à flot sous la ligne de front
La ligne de front n'est qu'à quelques kilomètres mais au fond de cette ancienne mine de l'Est de l'Ukraine, des centaines de milliers de bouteilles de vins mousseux reposent paisiblement dans un labyrinthe de tunnels et de caves.
"C'est un abri anti-bombes naturel de 25 hectares", constate Rafaïl Nassirov, un employé en blouse blanche d'Artwinery, l'un des principaux producteurs de vins pétillants en Europe de l'Est, qui exporte principalement en Allemagne et en Chine.
Les caves sont situées à 25 kilomètres de la ligne de démarcation entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses qui s'affrontent depuis près de trois ans et demi dans l'Est de l'Ukraine. Le conflit a fait plus de 10.000 morts et des heurts ont régulièrement lieu en dépit des accords de paix signés à Minsk en 2015, que les deux parties s'accusent mutuellement de ne pas respecter.
Dès sa fermeture avant la Seconde guerre mondiale, cette ancienne mine a été utilisée pour entreposer du vin. Puis une usine de production de mousseux y a été lancée en 1950. A l'époque, l'entreprise s'appelait Artiomovski et n'a changé de nom qu'en 2016 pour devenir Artwinery.
Pendant un mois à l'été 2014, l'usine a été sous contrôle séparatiste. Elle a également essuyé des tirs d'obus lors de cette période, avant de repasser sous le contrôle de Kiev. Mais jamais Artwinery n'a interrompu la production.
Les tunnels profonds de 72 mètres de l'ancienne mine de gypse -- une roche blanche utilisée pour le plâtre -- offrent un abri aux employés et présentent des conditions parfaites pour produire du mousseux avec des techniques proches des maisons de champagne.
- Microclimat sous terre -
C'est ce microclimat unique sous la terre qui aurait convaincu les autorités soviétiques d'y démarrer une production de vin pétillant dans une région pourtant sans vignoble. "Selon une version, ce serait Joseph Staline qui aurait, après la Seconde guerre mondiale, ordonné par décret de faire du champagne ici", confie Rafaïl Nassirov.
Bien que ses caves soient restées intactes, Artwinery a subi les conséquences commerciales du conflit car les tensions sont extrêmes avec la Russie voisine -auparavant un important client- que Kiev accuse de soutenir les séparatistes.
"Aujourd'hui, nous n'exportons presque plus en Russie. Et nous ne vendons plus de vin dans les régions de Donetsk et de Lougansk, qui ne sont pas contrôlées" par le gouvernement central, explique à l'AFP le directeur de l'usine, Oleg Katchour.
En 2014, avant que ne débute le conflit, Artwinery produisait 19 millions de bouteilles par an de vin pétillant blanc, rosé et rouge. Aujourd'hui, l'entreprise n'en produit plus que 12 millions.
- Raisins de Crimée -
Elle a également dû faire face à l'annexion par Moscou de la péninsule ukrainienne de Crimée en mars 2014 et à la perte des vignobles réputés de cette région où elle se fournissait en raisin.
"Avant la guerre, nous avions de très bonnes récoltes en Crimée, très riches", se souvient Rafaïl Nassirov, en montrant des bouteilles de vin pétillant de Crimée, soigneusement conservées dans la mine. "Nous ne savions pas qu'une guerre aurait lieu et nous avions acheté de quoi produire beaucoup de vin", ajoute-t-il.
Au lieu d'acquérir aujourd'hui des grappes de raisin mûries sous l'ensoleillement généreux de Crimée, l'entreprise se rabat désormais sur celles des régions de Kherson, Odessa et Mikolaïv, situées dans le sud de l'Ukraine.
Elle possède encore des stocks de raisin de Crimée, mais d'ici 2019, ces réserves seront épuisées et Artwinery devra ainsi renoncer à produire plusieurs de ses vins qui étaient réalisés avec ce type de raisin. Le reste de la production ne devrait toutefois pas être affecté.
Malgré le conflit dans l'est du pays et la perte de la Crimée, l'entreprise se démène pour continuer à produire et, dit Rafaïl Nassirov, pour remonter le moral des Ukrainiens: "Le vin pétillant, c'est une boisson de fête. Nos clients ukrainiens ne peuvent pas être privés de joie en ce moment".
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.