Analyse de "La défaite de l'Occident" d'Emmanuel Todd
J’ai lu le récent ouvrage d’Emmanuel Todd, La défaite de l’occident (Gallimard), après avoir écouté l’anthropologue en maintes interventions médiatiques. Sa pensée de l’événement géopolitique principal actuel, la guerre en Ukraine, est solide et argumentée. L’évaluation de la puissance des nations en fonction de caractères démographiques et anthropologiques incontestables comme la mortalité infantile, la fécondité et l’espérance de vie semble très robuste, en plus d’être originale. C’était donc le dynamisme démographique, couplé à l’alphabétisation, qui avaient permis l’expansion des grands Empires. Ce qui explique pourquoi le protestantisme fut le moteur du capitalisme (culte du travail, taux de fécondité important, taux d'alphabétisation élevé car il fallait pouvoir lire les Écritures, etc.), d’abord aux Pays-Bas et en Angleterre, puis en Allemagne, et enfin aux États-Unis.
Ce qui a plus surpris le lecteur que je suis, c’est le dévoilement de la réalité factuelle de l’état de la nation russe et de son économie sous la présidence de Vladimir Poutine : alors qu’en Occident, on aime à se gargariser de la soi-disant zombification de la société russe (voir à ce sujet l’important accueil critique fait à un très dispensable livre d’un transfuge russe, Z comme zombie (P.O.L) de Iegor Gran — accueil auquel je répondis dans un texte paru dans la revue d’esthétique TK-21), parce que cela nous rassure quant à notre propre zombification potentielle (l’éternelle histoire (biblique s’il en est) de la paille et de la poutre…), Todd nous apprend qu’en réalité la Russie a vu son économie se redresser sous le règne de l’horrible « dictateur », ainsi que ses principales statistiques « morales » se stabiliser, puis s’améliorer — que cela plaise ou non aux anti-Russes primaires : taux de décès par alcoolisme, taux d’homicide, taux de suicide, mortalité infantile, espérance de vie : « La tendance qu’illustre la statistique morale est plus régulière, plus profonde, et traduit un état de paix sociale, la redécouverte par les Russes, après le cauchemar des années 1990, qu’une existence stable était possible. » Sans surprise, le fameux (fumeux !) régime de sanctions tant vanté par notre ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, « semble avoir amené la Russie à effectuer des reconversions économiques en chaîne et à reprendre son autonomie par rapport au marché occidental ». Une dédollarisation de l’espace économique et financier des BRICS ne doit donc pas nous étonner…
Mais il y a plus selon Todd : c’est bien une zombification de nos sociétés occidentales (soit le contrepied inverse des théories fumeuses de Iegor Gran, plus écrit vain que jamais) qui semble expliquer le déclin de nos nations, et de leurs économies réelles. Et cette zombification passe par deux phases, que le penseur détaille ainsi :
1/ la phase zombie (chute du taux de baptême, de la pratique religieuse, hausse du taux d’incinération, etc.) ;
2/ l’état zéro, par désintégration totale du protestantisme (mariage pour tous, marchandisation de la procréation, absence totale de pratiques religieuses, etc.), que Todd qualifie d’âge nihiliste intégral (on ne croit plus en rien ; aucune valeur ne fait plus foi ; c’est le règne, dans les milieux culturels, de la postmodernité pour laquelle tout est égal et indifférent — ce qui est drôle et ironique à la fois, c’est que ce nihilisme apparut d’abord en Russie, au milieu du 19e siècle). « Le vide religieux est la vérité ultime du néolibéralisme. » Le protestantisme, c’était une éthique du travail, et « les pays protestants avaient cela en commun, et tous ont réussi économiquement. Sans exception ».
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