La démocratie "participative" au secours de la démocratie ?
TRIBUNE - Depuis quelques années, le concept de démocratie « participative » se développe. Si le phénomène connaît une ampleur inédite, on peut noter qu'il croit parallèlement au désintérêt d'un nombre considérable de citoyens pour la chose publique.
L'affaiblissement des démocraties nationales
S'il n'existe pas de définition juridique établie, le concept de démocratie participative désigne l'ensemble des dispositifs, des démarches et des procédures qui visent à impliquer les citoyens au processus de décision politique.
La démocratie participative trouve son fondement dans le cadre de la démocratie représentative, dont les lacunes ne cessent d'être dénoncées.
Le fait n'est pas nouveau, mais force est de reconnaître que depuis 30 ans, élection après élection, les citoyens, conscients que leur vote ne peut plus changer le cours des choses, se désintéressent un peu plus à chaque élection de la chose publique. Le taux de participation aux différents processus électoraux baisse à chaque élection, comme le niveau de militantisme et d'affiliation à un parti politique.
Ce sentiment de dépossession et tous les dangers qui l'accompagnent, était annoncé par Philippe Séguin en 1992, au moment de l'adoption du traité de Maastricht, qui a entériné le transfert massif des compétences politiques nationales à l'Union européenne. Depuis cette date, les politiques sociales et économiques, la monnaie, la sécurité, l'immigration, autrefois prérogatives nationales, sont désormais confiées à des instances supranationales qui, à l'exception du Parlement européen, ne sont pas élues par le peuple.
La Commission européenne joue un rôle particulièrement important au sein de l'Union européenne. Instituée par le traité de Rome de 1957, gardienne des traités et de l'ensemble de la législation communautaire, elle est la principale instance de l'Union européenne. Elle n'est pas élue au suffrage universel, mais n'en demeure pas moins le principal organe exécutif qui détient le monopole législatif, ce qui lui confère le rôle central de garante de "l'intérêt général". Depuis l'adoption des traités (Maastricht, Lisbonne etc.), son pouvoir n'a cessé de s'étendre. Amenée à prendre des décisions autonomes sur la santé, les libertés publiques, l'immigration ou encore des choix géopolitiques ou stratégiques, sa force réside également dans sa capacité à influencer les gouvernements nationaux.
L'affaiblissement des démocraties nationales ne pouvait que déboucher sur des frustrations qui ne sont que le résultat de l'impuissance des partis de gouvernements et de ceux qui conduisent les politiques publiques qui n'ont eu de cesse d'échouer à répondre aux attentes des Français. Mais, que pouvaient-ils faire alors qu'ils ne disposaient plus d'aucun levier de décision depuis l'instauration des traités, notamment de celui de Maastricht ?
De leurs côtés, les citoyens, dénonçant les promesses jamais tenues et les décisions non concertées, ont peu à peu constaté que leur vote ne pesait en rien sur les grandes décisions, prises désormais sans qu'ils en aient donné mandat. Faute de pouvoir résoudre les problèmes de fond, la démocratie « représentative » dont le pouvoir décisionnaire de ses représentants a été réduit comme peau de chagrin, connaît de ce fait une pratique qui tient de la farce.
Pour pallier cette dépossession de souveraineté avec toutes les conséquences que cela a entraînées depuis 30 ans, l'idée d'une troisième forme de démocratie a peu à peu fait son chemin : c'est la démocratie participative.
Les débuts de la démocratie participative
Si elle a pris de l'ampleur ces dernières années, l'idée de la démocratie participative n'est cependant pas neuve. Après les événements de Mai 68 qui ont interrogé les limites de la démocratie représentative, le concept de démocratie participative a fait son chemin. C'est l'époque où les associations d'usagers et les comités de quartier demandent à dialoguer avec les pouvoirs publics. C'est aussi l'époque où certaines municipalités, pour la plupart de gauche, décident d'inviter les citoyens à des discussions sur la gestion locale.
En 1971, l'idée de la démocratie participative est pour la première fois inscrite dans le programme politique d'un parti, le Parti communiste français :
« À tous les niveaux — communes, départements, régions - l'intervention citoyenne s'exercera, soit pas l'intermédiaire de leurs représentants élus dans les assemblées, soit par celui de différentes organisations et associations, soit sous des formes diverses qui résulteront de leurs initiatives et de l'effort des élus dans les assemblées, soit par celui de différentes organisations et associations, soit sous des formes diverses qui résulteront de leurs initiatives et de l'effort des élus pour associer le plus possible la population à la gestion des affaires. »
Même si la volonté d'impliquer les citoyens est clairement exprimée, on voit, à la lecture de ce texte, à quel point les propositions restent désordonnées et expérimentales.
Dans les années 1990, la crise de la représentation s'accélère. Les politiques sont plus fréquemment accusés de ne pas porter les aspirations des citoyens et d'oublier les promesses de campagne. Pour faire face au mécontentement grandissant, se développent de nombreuses initiatives au niveau local. Le budget participatif, dispositif qui autorise des citoyens non élus à prendre part à l'élaboration et à la répartition des finances publiques de leur collectivité, est créé.
Les villes de Monsang-sur Orge (Essonne) et Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) sont les premières communes de France à instaurer un budget participatif. Cette pratique est cependant peu répandue ; 25 ans plus tard, en 2019, seules 150 collectivités (communes, département, régions ou encore universités) avaient adopté ce système.
En 2007, à l'occasion de l'élection présidentielle, la candidate Ségolène Royal fait de la démocratie participative un thème privilégié de sa campagne.
La démocratie représentative en crise
Depuis 2017, année de l'accession d'Emmanuel Macron à la fonction suprême, les débats citoyens n'ont jamais été aussi nombreux. Le mouvement social spontané des Gilets jaunes en octobre 2018 a révélé au grand jour la panne de la démocratie représentative, qui se trouve contestée dans sa légitimité comme jamais elle ne l'a été au préalable.
Face à cette situation, les tenants du pouvoir peinent à trouver des solutions. Inquiètes d'un mouvement qui ne s'arrête pas, les autorités politiques ont relancé l'idée de la démocratie participative pour désamorcer la crise en cours. Pour tenter de canaliser les mécontentements qui grondent, semaine après semaine, l'idée d'offrir à des citoyens en colère un espace dans lequel ils pourront exprimer leurs idées paraît astucieux à ce moment de tensions. Cela est d'autant plus judicieux que parmi les revendications des Gilets Jaunes, il y a celles qui portent sur la volonté d'obtenir des décisions qui ne sont pas seulement prises par les tenants du pouvoir, mais qui ont été réfléchies, discutées avec les citoyens concernés directement et mises en œuvre en accord avec eux.
Du côté du pouvoir, cela permet de convier des personnes calmes, polis, fières d'avoir été choisies et contentes de pouvoir exprimer leurs idées, surtout lorsque ces débats ont lieu en présence d'un représentant important de la classe politique, voire du président de la République en personne.
Si le chef de l'État avait promis que les différentes consultations influenceraient ses décisions politiques, quatre ans plus tard, les résultats de ces débats sont décevants. À ce jour, aucune proposition n'a été faite à partir des 500 000 doléances et des deux millions de réponses suite à l'enquête lancée par le gouvernement.
Un échec qui n'a pas empêché Emmanuel Macron de poursuivre cette voie en impliquant des citoyens dans de nouveaux choix collectifs. En mars 2022, en campagne pour sa réélection, le président-candidat avait refusé de se prononcer sur la légalisation de l'euthanasie active ou sur celle du suicide assisté. En revanche, il s'était engagé à porter ce sujet en le soumettant à « une convention citoyenne. Et sur la base des conclusions de celle-ci, a-t-il ajouté, je soumettrai à la représentation nationale ou au peuple le choix d'aller au bout du chemin qui sera préconisé ». Connaissant les réticences du Parlement à ce sujet, il avait également laissé entendre qu'il pourrait choisir le référendum, suggéré par les partisans de l'euthanasie.
« Grand débat national », « assises de … », « États généraux de … », « carrefour de …», « conférence sur … », « convention citoyenne pour le climat», les Français ont régulièrement été conviés à donner leur avis sur des sujets aussi divers que le climat, le coût de la vie ou encore le référendum d'initiative populaire. Si les débats ont été nombreux, les propositions des citoyens n'ont guère été prises en compte.
Le 8 septembre dernier, à Marcoussis (Essonne) le chef de l'État a lancé le « Conseil national de la refondation », dont le sigle CNR n'est pas sans rappeler les jours heureux du Conseil national de la résistance fondé en 1943.
En marge du débat des réunions territoriales qui se tiendront un peu partout en France, Emmanuel Macron a lancé : « une consultation nationale très large » en ligne et sur le terrain pour impliquer les citoyens dans les « grands choix de la nation ». Il n'a pas exclu de retenir certaines propositions du CNR pour les soumettre aux Français par référendum.
« Je souhaite qu'il y ait des débats sur le terrain qui puissent être en ligne, qui puissent être ouverts. Tout ça mérite de la transparence, de l'ouverture » a déclaré Emmanuel Macron.
Cette refondation lancée par le président de la République peut-elle aboutir ? Lorsqu'on connaît la marge de manœuvre dont on dispose, on peut en douter. Alain Soupiot, professeur au Collège de France a déclaré : « La refondation de l'Europe ne pourra se faire sans sortir des traités ». Murir la proposition d'Alain Soupiot paraît être la décision la plus sage si l'on veut retrouver les leviers démocratiques de l'action politique et être en mesure de refonder la France avant qu'il ne soit trop tard.
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