Chronique N°52 – « La surprescription des 3 benzodiazépines injectables Rivotril®, Valium® et Tranxène®, a coïncidé avec les pics de décès de résidents dans les EHPADs, ce qui interroge »

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François Pesty pour FranceSoir
Publié le 17 février 2021 - 16:31
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« La surprescription des 3 benzodiazépines injectables Rivotril®, Valium® et Tranxène®, a coïncidé avec les pics de décès de résidents dans les EHPADs, ce qui interroge »
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Tribune : Il m’aura fallu attendre jusqu’à la semaine dernière que l’Assurance maladie daigne mettre en ligne ses données mensuelles de nombres de boites délivrées, bases de remboursement et montants remboursés pour les médicaments sur la totalité de l’année 2020 [1], pour que je puisse enfin actualiser ce que je rapportais avec effroi dans ma chronique N°33 « Combien de morts sur ordonnances dans les EHPADs ou à domicile avec le Rivotril®, à cause du covid et des refus d’hospitaliser ? » (ici)

 

[1] Vous trouverez les données MEDIC’AM mensuelles 2020 au bas de la page ici. Pour réaliser les graphiques que je vais vous présenter, il vous faudra aussi récupérer les données mensuelles depuis janvier 2015 (cliquer en haut de page sur « Medic’AM 2015 » voir la première capture d’écran ci-dessous, puis pour télécharger les fichiers, ceux-ci se trouve en bas de page, voir la seconde capture d’écran ci-dessous), les importer dans une base de données relationnelle (personnellement, j’utilise Microsoft Access), créer les tables et les requêtes. Exporter le résultat de ces requêtes dans un tableur (Microsoft Excel en ce qui me concerne)

 

Le sujet est grave et revêt une indéniable dimension éthique.

 

Suite à la saturation, voire la submersion, des capacités en lits des réanimations, les plus de 75 ans en ont été massivement exclus. Le graphique ci-dessous permet de visualiser l’ampleur du phénomène particulièrement entre le 15 mars (annonce du premier confinement généralisé par Emmanuel Macron) et le 6 avril 2020 (pic de mortalité covid19 à l’hôpital lors de la « première vague »), mais aussi lors de la seconde vague, entre le 20 octobre et le 8 décembre 2020 (le deuxième confinement annoncé, le 28 octobre, est entré en vigueur le 30 octobre 2020).

 

Cette « tension » à l’entrée en réanimation dans nombre d’hôpitaux a conduit les réanimateurs à arbitrer en défaveur de résidents en EHPAD (et très probablement aussi de personnes âgées à leur domicile) qui souffraient de formes sévères de covid19, aggravée d’une détresse respiratoire aigüe, pour prendre en charge des patients covid plus jeunes ou des patients souffrant d’autres pathologies. Toujours est-il, et les témoignages sont vraiment nombreux, que la prise en charge adaptée de ces résidents n’étant pas possible en EHPAD (impossibilité de mise œuvre de l’oxygénothérapie à haut débit, l’intubation, la ventilation mécanique, les gestes de réanimation d’urgence…), il ne leur restait pas d’autre alternative que de mourir sur place.

 

Mais afin d’abréger leur souffrance et celle de leur proches, par voie de décret le 28 mars, pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et publié au Journal Officiel de la République le 29 mars (ici), une dérogation était accordée aux médecins pour qu’ils puissent prescrire la spécialité pharmaceutique Rivotril ® sous forme injectable pouvant faire l'objet d'une dispensation, jusqu'au 15 avril 2020(initialement), par les pharmacies d'officine en vue de la prise en charge des patients atteints ou susceptibles d'être atteints par le virus SARS-CoV-2 dont l'état clinique le justifie sur présentation d'une ordonnance médicale portant la mention « Prescription Hors AMM dans le cadre du covid-19 ».

 

La suite de la dérogation était rédigée ainsi « Lorsqu'il prescrit la spécialité pharmaceutique mentionnée au premier alinéa en dehors du cadre de leur autorisation de mise sur le marché [en clair, vous l’aurez compris, le Rivotril®], le médecin se conforme aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d'une part, à la prise en charge de la dyspnée et, d'autre part, à la prise en charge palliative de la détresse respiratoire, établis par la société française d'accompagnement et de soins palliatifs et mis en ligne sur son site »

 

Depuis lors, cette dérogation fut prorogée maintes fois (11 mai 2020, 31 mai 2020, 10 juillet 2020, 16 octobre 2020, 29 octobre 2020. Elle reste en vigueur. Mais, il faut savoir que le Rivotril ® n’est pas la seule benzodiazépine injectable préconisée dans cette indication par la « Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP), loin s’en faut.

 

Pas faciles à trouver ces protocoles (peut-être est-ce pour se préserver des réactions éventuelles de l’opinion publique ?). Le moteur de recherche en page d’accueil ne donne aucun résultat. Mais, la SFAP propose une page ressource dans le cadre de la covid19, trouvée avec Google (ici). Il faut alors cliquer sur « Fiches dyspnée ou détresse respiratoire pour accéder aux « Propositions thérapeutiques Dyspnée Asphyxie COVID » (ici) ; Puis cliquer (ici) pour consulter la fiche actualisée en octobre 2020.

 

Une fois l’indication de détresse respiratoire asphyxique établie chez un résident, le protocole consiste à associer un morphinique pour soulager la douleur et réduire la sensation de dyspnée (difficultés à respirer) avec une benzodiazépine injectable destinée à endormir le patient (sédation profonde).

Le principe est d’initier le traitement opioïde et par benzodiazépine à l’aide d’un bolus administré en intra-veineuse (IV) ou en sous-cutané (SC) ou en intra-musculaire (IM), puis de prendre le relais avec une perfusion sur 24 heures ou à la seringue électrique (SE)

 

Si nécessaire, les doses sont augmentées, pour obtenir cette sédation profonde (qui peut conduire à la mort…)

Ce protocole qui ne dit pas son nom, est manifestement assimilable à de l’euthanasie. Je ne suis pas certain que dans de nombreux cas, lorsqu’il est appliqué à des résidents en EHPAD ou à des personnes à leur domicile souffrant de détresse respiratoire asphyxique dans le cadre d’une infection covid, il n’aboutisse pas à une « euthanasie active »

 

Les 3 benzodiazépines injectables préconisées sont donc le clonazépam, Rivotril®, le Diazépam, Valium®, et le clorazépate dipotassique, Tranxène® (Le midazolam, Hypnovel®, n’est plus homologué assurés sociaux, seulement homologué collectivités. En clair, seuls les hôpitaux peuvent le prescrire, le délivrer et l’administrer aux patients hospitalisés)

 

Avant l’arrivée du SARS-COV-2, le Rivotril® injectable était indiqué uniquement dans le traitement d'urgence de l'état de mal épileptique de l'adulte et de l'enfant. Le Tranxène® injectable était un traitement d’urgence dans des indications psychiatriques (agitation, crise d’angoisse paroxystique, délirium tremens, sevrage alcoolique). Le Valium® injectable avait les mêmes indications que celles du Rivotril® et du Tranxène® injectables réunis.

 

J’insiste sur un point, les données Medic’AM mensuelles ne concernent que des médicaments délivrés par les pharmacies de ville, et donc prescrits par des médecins, soient libéraux qui interviennent dans des EHPADs ou consultent à leur cabinet ou au domicile de patients, soit beaucoup plus rarement sans-doute, des médecins spécialistes hospitaliers dans leurs prescriptions à des patients ambulatoires (vus en consultation).

 

Par conséquent, ces données ne permettent pas de connaître la délivrance pour ces médicaments dans les EHPADs rattachés à un hôpital et donc à une Pharmacie à usage intérieur (PUI). Ces dernières données, trois fois hélas, sont toujours enfouies dans les coffres-forts de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui prend les prétextes du secret industriel et du secret commercial des laboratoires pharmaceutiques pour ne pas les mettre en « open data ». L’opacité règne en maître à l’ANSM, qui vient de changer de directeur, mais apparemment pas de ligne de conduite en matière de transparence…

 

Il est important d’observer la tendance dans la délivrance des ampoules de nos 3 benzodiazépines injectables qui préexistait depuis janvier 2015, avant le début de la pandémie de covid19. En janvier 2015, la pharmacies officinales (ville) délivraient 58.000 ampoules par mois. En février 2020 la délivrance avait baissé à 47.000 ampoules. Nous assistions donc à une lente érosion des délivrances d’un peu plus de 100 ampoules chaque mois pour ces médicaments.

La pandémie, le décret « Rivotril ® », la saturation des services de soins intensifs et des réanimations, ainsi que le refus d’hospitaliser les résidents en EHPADs (et aussi certainement des patients à leur domicile), allaient entraîner une vive hausse dans la prescription et la délivrance de ces 3 benzodiazépines injectables.

 

 

En avril 2020, lors du premier pic de décès à l’hôpital, trois semaines seulement après le début du confinement dur et généralisé, nous assistions également au premier pic de délivrance en excès de la tendance préexistante. Il s’est produit une brusque envolée des prescriptions de Rivotril® et de Valium® culminant à un total de 73.524 ampoules en avril 2020. En période de déconfinement, nous observons une retombée sur les niveaux de la tendance préexistante des délivrances mensuelles en mai et en août. La « seconde vague » s’accompagne à nouveau d’une envolée des prescriptions entre octobre et décembre, où l’on dépasse une fois de plus les 70.000 ampoules. Cette fois-ci, par ordre d’importance, les trois spécialités Valium®, Tranxène® et Rivotril® ont contribué à la hausse.

 

Au total, entre mars et décembre, l’excès de délivrance des 3 benzodiazépines injectables recommandées par la SFAP dans le traitement de la détresse respiratoire asphyxique chez des résidents (ou patients à domicile) refusés à l’hôpital, sur la tendance pré-covid, se chiffre à plus de 95.000 ampoules.

 

Surtout, il convient d’observer que les pics de délivrance se superposent parfaitement avec ceux des décès déclarés dans les EHPADs (données Santé Publique France) 

 De nombreuses questions éthiques se posent alors :

 

- Pour les personnes en détresse respiratoire asphyxique qui sont inconscientes, ne répondent à aucune stimulation, et ne présentent pas de signe de douleur, quelle est l’utilité, le rapport bénéfice / risque, d’administrer ce protocole ?

 

- Toutes les conditions décrites dans la recommandation de la SFAP pour définir l’indication de « détresse respiratoire asphyxique » étaient-elles réunies lorsque la sédation profonde a été administrée ?

 

- Les patients à qui ces sédations profondes ont été prescrites et administrées, avaient-ils tous donné leur consentement dans des directives anticipées ?

 

- A défaut le médecin prescripteur avait-il recueilli un consentement oral ?

 

- La famille, un tiers de confiance avait-elle (il) été consulté(e) ?

 

- Comment ce consentement a-t-il été obtenu ?

 

- La mort était-elle inéluctable sans sédation profonde ?

 

- La mort a-telle pu être causée ou précipitée par le protocole morphinique associé à une sédation profonde ?

 

Il est très probable que de nombreux résidents ou patients covid+ à leur domicile, atteints de détresse respiratoire asphyxique, sans accès aux traitements de réanimation adaptés à leur état, sont voués à une mort quasi certaine.

 

Mais, qu’en aurait-il été s’ils avaient pu bénéficier d’une prise en charge sans délai en réanimation ?

 

Parmi les 32.689 décès de résidents Covid+ en date du 7 février 2021, dont 23.499 (71,9%) survenus en EHPAD, pour seulement 9.190 intervenus à l’hôpital (chiffres Santé Publique France), combien auraient pu être évités si on avait vraiment isolé strictement nos aînés en perte d’autonomie ?

 

Une très lourde responsabilité pèse sur les propos scandaleux du Ministre Olivier Véran et de la Ministre déléguée, Brigitte Bourguignon, chargée de l’Autonomie, qui avaient déclaré devant les député(e)s à l’Assemblée Nationale, notamment le 13 janvier 2021 : « nous devons protéger nos aînés, mais sans les isoler » (ici). C’est une faute irréparable. Désolé, mais il fallait isoler en chambres individuelles et rompre avec les repas servis 3 fois par jour en salle à manger…

 

A noter lors de cette prise de parole, la réponse « langue de bois » de la Ministre déléguée au député Olivier Falorni qui avait fait remarquer que « la commission d'enquête sur la gestion de la crise a fait état de situations dans lesquelles les infirmiers et les aides-soignants ont dû prendre seuls la décision de déclencher un protocole palliatif, notamment dans les établissements ne disposant pas de médecins coordinateurs »

 

La réponse de Mme Brigitte Bourguignon « En ce qui concerne le fait que certaines infirmières auraient été contraintes d'exécuter des actes de fin de vie, qui sont des actes médicaux, je m'inscris en faux contre cette affirmation : nous avons bien sûr vérifié que ce type d'actes ne leur avait pas été demandé. Pour toutes ces raisons, et pour avoir mené de nombreuses auditions dans le cadre de la commission d'enquête, je peux vous rassurer sur ce sujet ».

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