Israël-Palestine  : savoir garder raison dans la tempête

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Jean-Neige, France-Soir
Publié le 19 octobre 2023 - 16:36
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TRIBUNE - Depuis le début de l’offensive massive du Hamas à partir du territoire de Gaza, samedi 7 octobre, jour de Shabat, et 50e anniversaire de la guerre-éclair de Yom Kippour, on assiste sur les réseaux sociaux à un déferlement d’images de violence. Assassinat de civils israéliens d’un côté et prise d’otages, destruction d’immeubles entiers de l’autre via des frappes aériennes. Un nouveau cycle destructeur a démarré et on craint l’engrenage. On a rapidement évoqué des centaines de morts et des milliers de blessés de part et d’autre, et le bilan s’alourdit de jour en jour.   

Les réactions sur les réseaux sociaux sont le plus souvent des torrents d’indignation. Certains comptes que je suis depuis des années deviennent hystériques. Les appels à une vengeance implacable se multiplient et tout discours qui rappelle la complexité politique de la situation est rejeté dans la case "soutien au terrorisme".  

D’abord, rappelons que la violence contre des civils désarmés est toujours condamnable, quelle que soit la raison. Le Hamas s’avilie à exécuter des civils et ne sert certainement pas sa cause, ni Dieu.  

Mais une fois la condamnation faite, il faut rappeler que cette violence ne sort jamais de nulle part. On ne peut lutter contre de manière efficace sans s’attaquer à ses causes, car tout est cause et conséquences. 

Un historique incontournable 

Après l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale, comment ne pas répondre au souhait ardent des survivants juifs d’avoir un Etat à eux où ils ne seraient pas persécutés ? Ce fut chose faite, dans la douleur déjà, le 14 mai 1948. 

Mais quiconque se renseigne sur la courte histoire de l’Etat d’Israël depuis sa création ne peut ignorer l’injustice fondamentale faite au peuple palestinien, sommé de faire place au nouvel Etat juif. L’ancien Premier ministre israélien Ben Gourion l’avait très bien compris.  

 

Depuis, la situation est toujours demeurée tendue et instable, et les Palestiniens n’ont cessé de perdre du terrain, guerre après guerre. En poursuivant une politique constante de colonisation de la Palestine, contre les résolutions de l’ONU, Israël a fait des territoires palestiniens des confettis, où les habitants vivent dans des enclaves, totalement dépendants du nouvel Etat juif. La succession de cartes ci-dessous vaut mieux qu’un discours.  

La seule solution raisonnable pour tous les observateurs extérieurs, qui puisse garantir sécurité et dignité de chaque côté, semble celle des deux Etats. Les Accords d’Oslo de 1993 devaient aller dans cette voie mais ils semblent avoir été torpillés des deux côtés. Yitzhak Rabin, le Premier ministre israélien signataire des Accords, fut assassiné par un extrémiste juif en 1995. Et Yasser Arafat fut accusé de double discours. Dès l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahou, en 1996, la dynamique était grippée. Les accords échoueront en 2000 sur la question du statut de Jérusalem et sur celle du retour des réfugiés palestiniens de l’étranger.  

Je me souviens aussi très bien comment le gouvernement Sharon décida de bombarder l’autorité palestinienne à chaque attentat du Hamas, mais sans toucher au Hamas. Cela permettait d’affaiblir l’embryon d’Etat palestinien, tout en maintenant en place un parti religieux niant le droit à l’existence d’Israël. Ce faisant, la force du Hamas donnait un prétexte pour justifier de mettre fin au processus de paix. Sharon ne s’attaqua au Hamas qu’en juillet 2002, alors que ce dernier, sous la pression saoudienne, était sur le point de s’engager à ne plus cibler les civils israéliens. Ainsi, le Hamas se radicalisa à nouveau.  

Dans le même esprit, une polémique a resurgi concernant l'autorisation par Netanyahou du transfert d’argent au Hamas par le Qatar, en 2019. La somme devait servir à payer les fonctionnaires de l’organisation islamiste qui nie le droit à l’existence d’Israël.  Selon de multiples sources, le Premier ministre toujours en place aurait justifié cette décision en expliquant que tous ceux qui étaient contre la naissance d’un Etat palestinien devaient soutenir la division des Palestiniens entre le Hamas d’un côté et le Fatah de l’autre, l’un contrôlant Gaza et l’autre les confettis de la Cisjordanie. Voilà qui paraît un calcul politique pour le moins cynique et à haut risque ! 

Le processus de paix étant en panne, les Palestiniens sans perspective politique croupissaient dans des territoires enclavés. La bande de Gaza est devenue une prison surpeuplée à ciel ouvert où ne poussent que la frustration, la haine et le désir de vengeance. La situation ne pouvait qu’exploser à nouveau, tôt ou tard.  

Comment Israël a pu se faire surprendre ainsi ?  

Cette question est soulevée par beaucoup. L’ampleur de l’opération du Hamas qui attaque tous azimuts par terre, par air et par mer, démontre un travail de planification et d’organisation sans précédent. Comment tout cela a-t-il pu passer inaperçu étant donné le nombre de personnes impliquées ?  

Comment cet État qui a construit les services de sécurité et de renseignement réputés comme les plus efficaces au monde, un État qui fabrique des outils de surveillance qu’il exporte, comme le rappelle Edward Snowden, comment cet État surpuissant a-t-il pu se faire surprendre ainsi ?  Une femme en colère présentée comme une ex-soldate de Tsahal déployée à la frontière affirme dans une vidéo que même un cafard serait vu en train de la traverser. Elle se demande comment 400 combattants palestiniens ont pu la franchir sans encombre. Le journaliste Michael Ganoe rappelle que les Israéliens, outre leurs outils de renseignement technique très performants, disposent aussi d’agents de terrain habitués à l’infiltration parlant couramment l’arabe. Comment ont-ils pu ne rien repérer ? C’est incompréhensible. 

Et puis, une source du renseignement égyptien a affirmé que son gouvernement avait transmis à plusieurs reprises au gouvernement israélien des informations à propos de "quelque chose d’important " en préparation de la part du Hamas. Après avoir d’abord nié, le bureau du premier ministre israélien a fini par admettre qu’ils avaient bien été prévenus, d’après des sources israéliennes.  Dès lors, comment peuvent-ils donc ne pas avoir pris les mesures nécessaires ?  

Alors, inévitablement, face à ces questions fondamentales pour l’heure sans réponses, les théories du complot vont bon train. Netanyahou aurait décidé de laisser faire l’attaque pour justifier de régler la question du Hamas une fois pour toutes sous un déluge de bombes, voire pour déclencher un cycle de violences qui impliquerait aussi la Cisjordanie, le Hezbollah au nord, et par ricochet l’Iran. Israël aurait alors le prétexte pour donner une leçon à tous ses ennemis. Ou alors Netanyahou aurait laissé faire pour renforcer sa position précaire en interne. Et puis, quand il déclare le 9 octobre : “Nous allons changer le Moyen-Orient", on ne peut que se rappeler les déclarations similaires des néo-conservateurs américains après le 11-Septembre, et on craint la perspective d’un embrasement régional.  

Dans l’immédiat, selon un sondage du Jerusalem Post, 86% des juifs israéliens jugent leur gouvernement responsable de n’avoir pas su anticiper ou contrer l’attaque du Hamas.  

Beaucoup notent par ailleurs que cette offensive du mouvement islamiste est survenue au moment où le grand allié américain semble au plus mal, étant massivement accaparé par une guerre en Ukraine qui réclame toujours plus de moyens. On dit même que les USA auraient transféré des stocks de munitions réservés à Israël pour les donner à l’Ukraine.  

Par ailleurs, des rumeurs couvrent déjà la toile, faisant état d’armements américains achetés par le Hamas sur le marché noir – et tous les yeux se tournent alors vers l’Ukraine notoirement corrompue. Le Hamas revendiquerait d’ailleurs avoir obtenu des armes du pays de Zelensky. Il serait notamment armé de fusils d’assaut M4s américains. Dès avril dernier, on savait que des tonnes d’armement livrées à l’Ukraine étaient en vente sur le darknet, dont les fameux M4, le Moyen-Orient figurant parmi les clients, avec des diplomates ukrainiens en intermédiaires d’après UKR_leaks. Le 13 octobre, on signalait même qu’un missile Stinger de fabrication américaine - missiles qui furent livrés en masse à l’Ukraine - aurait abattu un F-16 israélien. D’autres sources évoquent un missile sol-air fabriqué par les Palestiniens eux-mêmes. On dit même que des armes américaines abandonnées en Afghanistan seraient utilisées aujourd’hui contre Israël, ce qui serait un signe de plus que l’administration Biden aura semé le chaos.  

Aux États-Unis, on critique aussi la décision de la même administration, le 11 septembre dernier, de dégeler 6 milliards de dollars de fonds iraniens. Certains estiment que cette somme aura pu permettre à Téhéran de financer l’achat d’armes au profit du Hamas. Mais les fonds devaient transiter de la Corée du Sud vers le Qatar. Et, au vu des courts délais, on semble être dans la spéculation à ce stade.  

Au niveau international, la Russie a appelé dès le premier jour toutes les parties à la retenue et au retour à la table des négociations. Au départ, la Chine déclarait rester neutre, avant de déclarer le 15 octobre qu’Israël allait au-delà du droit à se défendre dans son action à Gaza. L’Occident insistait d’abord seulement sur le droit d’Israël à se défendre. La France a fini par marquer une inflexion par rapport à cette position pour demander que le droit humanitaire soit respecté avec des mesures pour protéger la population civile de Gaza.  

Entre faits et propagande ! 

Pour l’heure, on ne peut nier le droit à Israël de récupérer le contrôle de ses territoires tels que garantis par les décisions de l’ONU, ce qui autour de Gaza parait correspondre aux limites du territoire sous contrôle palestinien jusqu’au 6 octobre.  Mais dans le piège de l’émotion, il est à craindre que seules les armes parlent, et que la violence réplique à la violence avec des conséquences imprévisibles. Si les crimes imputés au Hamas sont terribles, les annonces et les actes du gouvernement israélien (blocus total de Gaza, immunité garantie aux soldats de Tsahal, Palestiniens qualifiés “d’animaux humains”, bombardements absolument massifs en apparence indiscriminés) laissent craindre une spirale de violence sans précédent. Déjà, l’UNRWA, l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens a déclaré que 11 de ses employés ont été tués par des frappes israéliennes depuis le 7 octobre. Plusieurs journalistes ont aussi été tués. 

Les opinions publiques sont gonflées à bloc de chaque côté, dégorgeant de haine pour l’autre camp, une haine nourrie par des images d’horreur qui tournent en boucle sur les chaines de télévisions et les réseaux sociaux, mais qui ne sont pas les mêmes suivant le public visé.  

Dans ce contexte de montée aux extrêmes, il apparait on ne peut plus urgent de garder la tête froide. Et de prendre notamment le temps de vérifier les informations qui circulent. Certaines s’avèrent déjà être dénoncées fausses ou non liées au dernier conflit, comme celle des soi-disant enfants israéliens dans des cages, ou celle des bébés israéliens soi-disant décapités dont personne n’a montré la moindre preuve, au point que le gouvernement israélien et même CNN ont fait machine arrière.  L’homme à l’origine de la rumeur est un officier de Tsahal aux vues extrémistes.  

Des forces obscures sont à l’œuvre pour envenimer la situation, choquer le plus possible pour que les gens perdent leur capacité de réflexion, ne soient animés que par le désir de vengeance, et se mettent à soutenir les mesures les plus extrêmes qui impactent les 2 millions d’habitants de Gaza, et pas seulement le Hamas. 

Comment ne pas se souvenir dans des circonstances similaires des bébés koweïtis sous leurs couveuses soi-disant tués par l’armée irakienne en 1990, une histoire qui s’avéra plus tard inventée de toute pièce pour créer le soutien nécessaire de l’opinion pour attaquer l’Irak de Saddam Hussein. Pendant la bataille d’Alep, en 2016, les médias anglo-saxons avaient aussi titré sur l’assassinat d’une centaine d’enfants dans un hôpital de la ville par les soldats d’Assad, une histoire jamais démontrée et vite oubliée. Cette affaire fut mon épiphanie sur la réalité de la manipulation médiatique. Rien de tel qu’inventer des crimes contre les enfants pour chauffer une opinion publique à bloc contre l’ennemi désigné.  

Plus récemment, l’affaire du bombardement de l’hôpital chrétien de Gaza-nord a aussi déchainé les passions, avec des informations contradictoires, que ce soit sur le bilan humain ou les responsabilités, chaque camp ne croyant que les sources qui lui sont proches. L’effort d’objectivité semble avoir disparu des esprits.  

Face à ce flot d’informations choquantes, certaines véridiques, d’autres inventées ou exagérées, si l’indignation est légitime, la haine n’est jamais bonne conseillère. Elle mène toujours à des excès regrettables.  

Mais il demeure que le Hamas a tué de nombreux civils et que cela ne peut être toléré. De plus, ses combattants se cachent au milieu de zones densément peuplées. C’est toute la difficulté de la situation actuelle. Après une campagne de bombardement massive qui a tué des centaines de civils, les Israéliens ont semblé prendre en compte les critiques pour la première fois, ont donné 24 heures à 1,1 million d’habitants, dont près de la moitié sont des mineurs, pour évacuer le nord de la bande de Gaza avant l’assaut terrestre de Tsahal. 423 000 personnes avaient déjà fui leur domicile au 13 octobre. Et l’assaut n’a toujours pas eu lieu.  

Le Hamas perçoit l’ordre d’évacuation israélien comme une volonté de nettoyage ethnique du territoire. Parallèlement, un convoi de réfugiés a été attaqué, et l’Egypte, malgré la pression, a fermé sa frontière, anticipant que le franchissement des habitants de Gaza pourrait être sans retour. La crise humanitaire est énorme. L’UNRWA s’indigne néanmoins que l’évacuation des hôpitaux du nord de Gaza exigée par Israël est une sentence de mort pour les blessés.  

Un bilan humain qui dépasse largement la guerre en Ukraine tant décriée  

Un bilan chiffré des victimes arrêté au 12 octobre est cité par l’UNICEF révèle que le nombre de morts palestiniens a dépassé celui des Israéliens (1417 contre plus de 1300). En termes de blessés, c’est même près du double (6268 contre 3297). 447 enfants palestiniens ont été tués à cette date, le nombre d’enfants israéliens tués n’est pas indiqué. 

Le 14 octobre, BFM donnait le chiffre de 2215 morts, dont 724 enfants, à Gaza. Combien de combattants du Hamas parmi eux ?  

A titre de comparaison, en août 2023, on comptait en Ukraine 545 enfants tués depuis le début de l’intervention russe de février 2022. En 19 mois de conflit, l’ONU avait émis un bilan de 7481 tués et 14 460 blessés du côté ukrainien.  

Cette comparaison des chiffres donne une idée de la violence extrême de cette nouvelle guerre israélo-palestinienne. Sur les réseaux, certains s’indignent que l’on compare les victimes, le Hamas ayant exécuté des civils directement au sol, quand les victimes des Israéliens ne seraient dues qu’à des dommages collatéraux. On a rarement entendu la même indulgence pour les Russes.  

Au nord d’Israël, après quelques clashs avec le Hezbollah, Tsahal bombarde des aéroports syriens, pendant que l’Iran menace et que le reste du monde musulman gronde, du Pakistan à l’Afghanistan en passant par l’Irak, jusqu'à nos banlieues.  

Où cela s’arrêtera-t-il ? Où s’arrêtera le cercle vicieux de la vengeance ? Combien de victimes des deux côtés avant que la paix puisse revenir ? Est-on à la veille d’une conflagration régionale majeure, dont se mêlerait l’Occident, vu que les Américains ont envoyé sur zone deux groupes aéronavals, plus un renfort d’avions de guerre en Jordanie, et que le Royaume-Uni s’apprête à suivre ? Simple dissuasion ? Et Vladimir Poutine signale que ses chasseurs-bombardiers patrouilleront dorénavant en mer noire, équipés de missiles hypersoniques Kinzhal, réputés impossibles à intercepter, et qui peuvent couler un porte-avions. Le Proche-Orient est prêt à exploser en entrainant une conflagration bien plus large. Rappelons également qu’Israël possède l’arme atomique...  

L’Etat juif ne sera jamais en sécurité en continuant d’humilier les Palestiniens. C’est mécanique. Seul un retour sans arrière-pensées à la table des négociations pourra permettre un jour la stabilité de cette région. Hélas, on en est aujourd’hui très loin. Nous n’avons plus qu’à prier pour que, dans la tourmente, les dirigeants des principales nations concernées gardent la tête froide. 

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