La nomination du gouvernement … revue et corrigée par Macron ?

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Marcel Monin pour France-Soir
Publié le 05 septembre 2024 - 17:15
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Joseph Laniel, chargé de former le Gouvernement, prononce sa déclaration devant l'Assemblée Nationale pour solliciter l'investiture le 26 juin 1953.
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TRIBUNE - Les rédacteurs du texte de 1958 avaient, en prévision de l’arrivée du général de Gaulle à la présidence de la République, imaginé des dispositions qui étaient de nature à éviter que la « fabrication » du gouvernement soit un enjeu personnel pour les membres de la classe politique et dépende de paramètres qui n’étaient pas l’intérêt des Français ou celui de la France. Et qui visaient à ce que le gouvernement soit une équipe de personnes, marchant dans la même logique et dans la même éthique que le général de Gaulle. Lequel avait pour ce faire une légitimité tirée de son comportement passé et du nouveau système de désignation du président de la République, qui devait désormais échapper aux tractations des seuls parlementaires. 

L’article 8 de la constitution exclut que l’existence et la composition du gouvernement soient dépendants de l’accord de la classe politique. L’article 49 traite d'autre chose : il organise la responsabilité politique du gouvernement avec des mécanismes qui peuvent être utilisés à tout moment par le gouvernement, y compris au moment de sa nomination. Gouvernement qui, après qu’il a été nommé, peut, ou pas, engager sa responsabilité sur son programme ou faire une déclaration de politique générale (1). Point de possibilité n’est offerte aux membres de la classe politique de négocier des postes de ministres ou de transformer la table du conseil des ministres en table de négociation d’intérêts divers qui ne sont ni l’intérêt général, ni l’intérêt du pays. 

Or, qu’observe-t-on aujourd’hui ? Les leaders des partis politiques proposent des noms pour le poste de Premier Ministre ; racontent, les uns qu’ils se verraient bien ministres, les autres qu’ils ne voudraient pas que certains personnages le soient. Le tout en étalant leurs ambitions sur la place publique. Le tout avec comme chef d’orchestre l’actuel président de la République qui reçoit à grand renfort de publicité divers politiciens candidats. Et fait savoir qu’il ne nommera pas tel ou tel, et qu’il attendra encore pour user de la compétence qui a été inscrite jadis pour ce faire dans le texte constitutionnel. 

Et ce, alors que sa personne, son comportement, ses décisions ont fait l’objet de votes de rejet à répétition y compris après une dissolution… et qu’il reste en place. 

Ces péripéties rappellent qu’un texte est fait pour atteindre un but, mais n’a jamais empêché les individus, en fonction de leur personnalité, de leurs intérêts, … de faire le contraire. Ainsi en va-t-il comme on le sait avec le droit pénal. Qui voudrait que les gens se comportent bien, mais qui n’empêche pas les rebelles, les abrutis … de tuer, de voler, d’escroquer. Ainsi en va-t-il pareillement avec le texte constitutionnel (2) de 1958 qui était fait pour un personnage historique et pour permettre à ce dernier de veiller, sous un certain rapport, à une forme d’éthique en politique.   

Texte qui n’a pas empêché E. Macron (après certains autres) d’occuper la place. Et d’y faire ce que l’on a observé qu’il a fait : … Le contraire de de Gaulle sur l’essentiel (3). En profitant nécessairement d’une passivité, voire d’une acceptation de fait, au moins momentanée (4), de la classe politique prise dans son ensemble. 

Marcel-M. MONIN

Maitre de conférence honoraire des universités

(1) C’est la raison pour laquelle il a été inscrit dans la constitution que le Premier Ministre était choisi par le Président de la République ( en fonction de la tâche à accomplir et de la personnalité de l’individu) sans les anciennes « consultations d’usage » et sans accord (politique) préalable de la classe politique via un vote « d’investiture » . Et que les ministres étaient nommés par le président de la République, sur la proposition du Premier Ministre, sans marchandes entre les membres de la classe politique, et sans un deuxième vote consacrant l’accord des leaders de la classe politique sur la distribution des portefeuilles. 

Certes, le Premier ministre pouvait-il aller se présenter avec les ministres devant les députés. Ce n’était plus obligatoire. Et quand cela avait lieu, c’était après et non avant la constitution du gouvernement. Pour lire aux députés une déclaration de politique générale sans leur demander de l’approuver ; ou pour demander aux députés d’approuver son programme , si le gouvernement en décidait ainsi. 

Si les députés sont en désaccord avec la déclaration de politique générale, la possibilité leur est donnée par le texte de 1958 de renverser le gouvernement, mais à condition d’arriver à atteindre la difficile majorité de la motion de censure ( majorité des députés « composant » l’assemblée). Si le gouvernement engage sa responsabilité sur son programme ( et toujours pas sur sa composition) , les députés pouvaient le renverser plus facilement ( en n’adoptant pas le programme à la majorité des « votants »). Mais le gouvernement n’y était pas obligé et le faisait s’il y avait intérêt. 

Sur ces questions, lire les articles 8 et 49 de la constitution. Et v. notre analyse de la constitution : « Textes et documents constitutionnels depuis 1958. Analyses et commentaires ».  Dalloz – Armand Colin. 

(2) On se rappelle aussi que les rédacteurs de la constitution de 1946 avaient prévu un vote d’investiture sur le nom du président du conseil, mais pas sur les noms des ministres du gouvernement ; gouvernement  que le président du conseil devait, selon les prévisions du texte,  composer librement. Le premier homme politique  à être nommé président du conseil ( P. Ramadier) , une fois son investiture votée,  accepta – en marge du texte constitutionnel et malgré les exhortations contraires du président de la République ( V. Auriol) – une discussion sur une interpellation portant sur la composition du gouvernement. 

(3) Les institutions sont-elles utilisées en vue de l’intérêt général et pour éviter que la politique ne se fasse » à la corbeille »  (de la bourse) ? Que nenni ! : La politique est décidée par les marchés financiers selon les techniques mises en place par divers traités et par des organes décisionnels qui ne sont plus les organes français contrôlés par les citoyens. E. Macron suit la ligne inaugurée par Mitterrand qui a «  donné »  la France aux marchés financiers avec le traité de Maastricht. 

Les institutions sont-elles utilisées par le président de la République pour assurer à la France son indépendance par rapport à l’étranger ? Que nenni ! : E. Macron accepte que les troupes françaises soient sous commandement américain ( initiative initiale de Sarkozy) et a décidé lui même d’en faire un peu plus en faisant la guerre ( sans la déclarer  officiellement) à la Russie, dans une alliance militaire de fait avec les USA. 

Les institutions françaises qui fondent les prérogatives du président de la République sur le soutien de ce dernier par la majorité des Français, fonctionnent-elles sur la base de cette légitimité ? Que nenni ! : E. Macron ( sa personne, son comportement, son action) vient d’être rejeté deux fois par le peuple, et il reste en place ! Il suit sous un certain rapport le comportement de Mitterrand et de Chirac qui ont décidé de conserver leur poste de président de la République alors que le camp qu’ils incarnaient, venait de perdre les élections. 

(4)  Il est probable que les êtres humains ont le sens des rapports de force, et par voie de conséquence, de leurs intérêts à un moment donné. Ce qui expliquerait qu’il leur faille attendre un basculement du rapport de force pour que le sens de la décence puisse se concrétiser (collectivement), sans (trop de) risques  pour leur carrière, leur liberté ou leur vie (au moins à certaines époques) . Et qu’en attendant … Se rappeler à cet égard l’attitude de beaucoup pendant l’occupation. Comportement  qui s’est transformé à la faveur du débarquement qui préparait à l’évidence   la chute des dirigeants collaborationnistes et annonçait la transformation du rapport de force. S’agissant du président en exercice, il est possible (disent certains juristes)  qu’il ait à terme des soucis à se faire. Les juges, les politiques, ont en effet des instruments qui permettent, sans qu’ils ne risquent plus rien à les mettre en œuvre … plus tard, de mettre en cause, pour certaines des décisions cependant prises dans le cadre de l’exercice des fonctions,  jusqu’à la responsabilité personnelle de celui qui…  ne sera plus aux affaires. Et qui n’aura plus la possibilité de décider (ou de faire décider par les institutions précédemment dociles et timorées) quoi que ce soit contre les auteurs de poursuites ou de décisions pouvant le priver de ses biens ou de tels de ses droits ou libertés. 

 

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