Le CNR : source d’inspiration ou mystification politique  ?

Auteur(s)
Laurence Waki
Publié le 07 novembre 2023 - 13:03
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Georges Bidault
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Pictorial Press / Collection Anefo / Nationaal Archief
Georges Bidault, successeur de Jean Moulin à la tête du Conseil national de la Résistance. Ici en juin 1946 alors qu'il vient d'être nommé chef du Gouvernement provisoire.
Pictorial Press / Collection Anefo / Nationaal Archief

TRIBUNE/OPINION - Le CNR, le Conseil national de la Résistance est-il une source d’inspiration ou une mystification politique ? Les deux mon capitaine ! Comme souvent, c’est le "et" qui colle à la réalité, plus que le "ou".

Le CNR, comité français fondé en mai 1943, regroupait les différents mouvements de la résistance française, toutes tendances politiques confondues. Il a permis l’élaboration d’un programme en mars 1944, composé en deux parties, un plan d’action immédiat et une série de réformes sociales et économiques à mettre en place dès la Libération de la France.

La première mission a été celle confiée à Jean Moulin, d’unifier les différents mouvements de résistance, puis d’installer un comité d’experts afin de penser les projets politiques d’après-guerre. Suivirent, ce que l’on a retenu pour nombreuses de ces personnes, des arrestations, des tortures, déportations, ou exécutions. S’est pourtant poursuivie la volonté de l’établissement du programme. De ces "jours heureux" espérés pour résister moralement, lors d’une période les plus noires de notre histoire, quand c’est le propre gouvernement de la France – le régime de Vichy – qui était devenu l’adversaire intérieur de la France, et l’ennemi redoutable des Français qui voulaient, eux, remettre le pays sur le chemin du rétablissement de la démocratie.

Sécurité sociale, retraites, allocations chômage

Là est évidemment la source d’inspiration quand notre pays part à la dérive, d’un gouvernement mû par des forces de destruction (2) contre la population. Mais aussi quand, d’année en année, sont retirés tous les acquis sociaux mis en place après la guerre. Le CNR, ce sont des mesures qui aboutissent à la Sécurité sociale, aux retraites, aux allocations chômage, synthèse de l’idée d’assurer à tous les citoyens des moyens d’existence. Mais aussi des mesures pour l’école afin que tous les enfants français puissent "bénéficier de l’instruction la plus développée". Également d’autres mesures, au niveau économique, qui ont décidé de la place des grandes entreprises, des secteurs de l’énergie, des assurances et des banques, en les nationalisant.

Restent des mesures moins exprimées (sic !), culturelles, avec des subventions des artistes, mais aussi l’indépendance de la presse, de l’information ; l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) crée en 1964, parfois surnommé "la voix de son maître", celle du président de la République Charles de Gaulle, n’étant pas le modèle d’indépendance que voulait le CNR ; quant aux subventions des artistes, tout reste à faire encore aujourd’hui…

N’empêche que les réformes mises en œuvre ont été pérennes et allaient dans le sens du rétablissement de la démocratie.

Ce refus de la défaite qui animait les membres du CNR, de lutter contre un gouvernement considéré comme non-légitime, au regard des valeurs défendues par ce Conseil, à s’opposer au pillage, à la destruction de la production française, aux restrictions matérielles et psychologiques, cette vision à long terme, à la recherche d’un ordre social plus juste, cet engagement de tous dans la lutte, ne peuvent que nous inspirer.

Si la première partie du programme concernant le plan d’action immédiat, en somme l’insurrection armée, n’a pu être mise en place car la Libération de Paris en août 44 a rendu caduque son exécution, la seconde, celle de "préparer une plateforme politique pour la France d’après la Libération " a marqué durablement nos esprits et notre mode de vie.

L’on pourra s’interroger sur la raison d’attendre mars 1944 avant que ne soit établi un programme visant à la résistance, quand la guerre avait commencé en septembre 39, et que les ententes zélées du gouvernement avec l’envahisseur nazi, ont démarré dès l’armistice en juin 40. Mais que savait-on de ce qui allait se produire ensuite ? N’était-il pas raisonnable de penser qu’il fallait s’adapter à ce qui était inexorablement le nouvel état de la France, que la négociation épargnait le pays ?

Mystification politique

Il est si facile avec le recul de voir ce qu’il aurait fallu faire, et ne pas accepter. Quand aujourd’hui, de nouveau, nous faisons des compromis, ne nous retrouvons-nous pas comme ces Français qui mettent du temps à se rencontrer, à s’organiser pour échanger, à apprendre à considérer leurs intérêts communs ? Quand en plus, et là nous abordons la mystification politique, les différents protagonistes du CNR étaient loin de faire union ; comprendre que chacun y va de ses propres intérêts, quand ce ne sont pas aussi ceux des partis et organisations syndicales dont ils se réclamaient. La concertation est compliquée, les points d’accord fluctuants… Telle est la première mystification, quand nous sommes loin d’un idéal de partage, de ces gens unis dans la résistance, ce symbole fort pourtant, qui est parvenu jusqu’à nos jours, car l’histoire en a gommé les aspérités. N’est-il pas préférable de garder en mémoire des moments héroïques, se rappeler notre histoire avec ses dates où l’ennemi a été vaincu, prédisant que demain, nous saurons vaincre...

Mais bien pire est cette deuxième mystification, faites par ceux qui prétendent s’en revendiquer, et font l’exact opposé, en détruisant sans vergogne de surcroît tout ce qui a été mis en place depuis 1945, en piétinant l’âme sous-jacente de notre exception française. Messieurs Sarkozy, Hollande et Macron ne se sont pas gênés pour s’en faire les chantres, tout en crachant dessus à coups de réformes et de mesures coercitives et liberticides.

Le CNR est devenu surtout désormais un symbole de résistance. Pourtant dès 1946, les comités composés de résistants créés par le CNR ont disparu. De 1947 à 1994, son programme s’est volatilisé, seulement remis sur le devant de la scène politique lors d’une commémoration par Jacques Chirac, l’associant à un symbole de service public fort…

ATTAC et Hessel

A suivi, en 2004, le 60e anniversaire du CNR, célébré notamment par le mouvement ATTAC afin de dénoncer les puissances d’argent, mais aussi par des signataires qui lancèrent un appel, tel Stéphane Hessel, l’auteur de ce livre de quelques pages qui a connu un succès planétaire intitulé Indignez-vous ! Nombreux de par le monde se sont retrouvés dans cette exhortation. C’était en 2010… Hessel a été aussi l’un des co-auteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Que je vous invite à relire ; rappelant ces droits à la dignité pour tout un chacun.

Stéphane Hessel soutenait que le programme a d'ailleurs bien été remis solennellement au Général de Gaulle par le CNR le 25 août 1944, à l’Hôtel de Ville de Paris. Est-ce d’ailleurs important ? Quand l’essentiel, le fondamental est ailleurs. Ces valeurs françaises Liberté-Égalité-Fraternité qui ressurgissent quand il s’agit de libérer son pays. Cette lutte contre l’indifférence, "la pire des attitudes". Quand de nouveau est bradée la souveraineté française…

S’il est question aussi d’un récit embelli par les années, il est aussi ce motif de fierté, offrant la nécessité de soigner notre pays, de guérir sa démocratie malade. Source d’inspiration qui permet de maintenir la flamme face aux tornades de la corruption et les velléités de domination et d’asservissement de certains qui se veulent élites. 

Avec cet héritage, nous comprenons notre désir impérieux du renouveau des "jours heureux". Qu’il est temps de remettre en place.

(1) Le programme était initialement intitulé « Les Jours heureux ».

(2) Rappelons ces exemples de phrases sorties des discours d'Emmanuel Macron qui illustrent une volonté destructrice : " déconstruire l’histoire de France ", "les Gaulois réfractaires", "emmerder les Français"…

Une première version de ce texte a été publiée sur le site Internet de Laurence Waki, écrivain et philosophe, le 20/05/2022.

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