Le Grand Effacement

Auteur(s)
Yannick Rolandeau pour France-Soir
Publié le 25 février 2023 - 21:20
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Le grand effacement
Crédits
France-Soir
Le grand effacement, la cancel culture.
France-Soir

OPINION - Le terme de Grand remplacement popularisé par l’écrivain Renaud Camus veut simplement dire qu’une catégorie de personnes en remplace une autre dans notre pays. A priori, il se veut être le constat d’une évidence, mais il se trompe de cible comme on va le voir.

Renaud Camus est issu d'une famille bourgeoise de province, et comme beaucoup de jeunes de cette époque, il se trouve des sympathies pour la gauche de Mai 68 et sous le slogan « Envoyez-vous en l'air » avec cette idéologie du plaisir en vogue.

Il fréquente Roland Barthes, Louis Aragon, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, est chroniqueur pour la revue Le Gai pied où il évoque ses rencontres sexuelles dans la lignée des Journaux de Gabriel Matzneff qu’il admire. Dans les années 1970-1980, il écrit plusieurs livres signés « Tony Duparc » et « Denis Duvert », pseudonymes évoquant l'écrivain pédocriminel et ami Tony Duvert.

À l’instar de nombreux intellectuels dits progressistes, il s’inscrit dans ce mouvement de « libération intégrale » des désirs avec un obsessionnel exhibitionnisme sexuel si à la mode avec en arrière-plan constant, tel un arc-en-ciel rieur et paradisiaque, une sexualité épurée de ses moindres ambiguïtés pour finir aussi plate qu’une planche d’anatomie où tout le monde copulerait innocemment, totalement déculpabilisé comme dans un backroom.

Dans Notes achriennes (1982), il écrit par exemple : « La prostitution enfantine ne m’inspire pas tout à fait la confortable horreur avec laquelle il est coutumier de l’envisager[1]. » Après avoir affirmé que les enfants ont des désirs sexuels notamment pour des adultes, il en déduit qu’ils sont légitimes : « Car les enfants et les très jeunes adolescents, moins soumis encore aux codes esthétiques ou aux lois de la vanité, observent un certain pragmatisme du plaisir et je crois bien qu’il n’est pas trop rare qu’un garçon de treize ou quatorze ans revienne volontiers près du gros vieux monsieur qui l’a branlé avec art. De tels épisodes seraient traumatisants. Quelle foutaise ![2] »

Camus ajoute pour finir : « J’espère que, bientôt, de jeter en prison pendant des années qui n’est coupable que d’avoir partagé du plaisir avec des enfants paraîtra aussi stupide et aussi abusif que les interventions policières pour empêcher les copulations d’arrière-salle, aussi monstrueux que la castration médiévale des sodomites. [3] » C’est l’inverse qui a eu lieu. En bon orthodoxe de cette idéologie, Renaud Camus devient membre du Parti socialiste, vote pour François Mitterrand en 1981 et pour l'écologiste Noël Mamère en 2002 puis pour Chevènement.

Premier constat : ce qu’il dénonce aujourd’hui, il y a participé activement. Renaud Camus, en tant qu’homosexuel revendiqué, fait une erreur majeure dans le sens où il croit qu’être homosexuel est une identité (« grande chance morale de ma vie ») comme si l’activité biologique et banale du bas-ventre, chose privée, pouvait être dominante par rapport à la vie spirituelle, la pensée, qui caractérise précisément un être humain.

De fait, même dans ses écrits de graphomane et autocentré (ses Journaux), il ne cesse de répertorier les moindres anecdotes de sa vie comme étant dignes d’intérêt (petit-déjeuner compris) sinon de croire et de se persuader que la coucher sur le papier lui donne une valeur existentielle inédite. Cela devient si grotesque qu’il s’ingénie à distinguer de grands auteurs, non par leur talent, mais par leur préférence sexuelle. Même façon de voir que d’enfermer Kafka et tant d’autres non en faisant valoir leur génie littéraire, mais en les encerclant dans une quelconque attribution religieuse, patriotique, idéologique, etc.

C’est bien ce qui a été institué depuis les années 1980 comme exhibition de soi de l’égoïsme contemporain dans la sphère publique, ce qui est bien sûr favorable au système narcissique du marketing de soi. S’il est entendu qu’un individu n’a pas à être discriminé pour sa préférence sexuelle minoritaire (Renaud Camus ne cesse d’en faire état comme étant pire que le racisme habituel sans fournir aucune source et parle même de « dictature hétérosexuelle », symptôme de la victimisation actuelle), il oublie que les personnes ouvertement discriminées sont les gens populaires de tous bords, ce que disait Pier Paolo Pasolini, lui-même homosexuel comme on sait, mais avant tout écrivain, poète et cinéaste.

Cette revendication est précisément le processus déguisant non seulement cette lamination des classes populaires, mais symptôme de l’impudeur et de l’indiscrétion contemporaines comme volonté de contrôle à travers l’intimité et la transparence du corps social.

Dans son parcours, Renaud Camus change d’inflexion politique et appelle à voter Marine Le Pen en 2012. Oublions les étiquettes faciles qui ne veulent rien dire, car ce n’est pas de cette théorie dont il faut parler comme les innombrables commentateurs le font évoquant le conspirationnisme, la xénophobie ou le racisme pour encercler le débat sur ce terrain précis. Non, ce dont il faut parler est ce qu’elle cache.

C'est dans l'Abécédaire de l'in-nocence qu’il mentionne, en 2010, la thèse du grand remplacement, puis y revient avec Le Grand remplacement (2011) et Le Changement de peuple (2013). Dans Le Grand remplacement, il évoque d’emblée que la population de la France a beaucoup changé. Il en réfère aux problèmes des banlieues périurbaines où se concentrent « les maux du chômage et de l’échec scolaire, ceux de la violence et de la délinquance ». Il y parle des « naturalisations précipitées », de la situation catastrophique de l’école, de la Grande Déculturation. Il écrit : « Je disais qu’un des facteurs du Grand Remplacement était bien sûr l’afflux permanent de nouveaux venus, d’immigrés, de non-citoyens, et leur présence massive sur le territoire »[4]. Sa cible quasiment unique est l’immigration massive.

Il fonde le parti de l’in-nocence pour s’opposer à ce qu’il appelle la nocence, la nuisance. Elle n’a pas qu’un sens écologique, mais est aussi atteinte aux personnes : la crise de la transmission, l’effondrement du système scolaire, la crise du logement, la surpopulation carcérale, la délinquance, la violence, l’insécurité. En bref, dans ce fourre-tout, en créant un néologisme (comme pour qualifier les homosexuels par le néologisme achriens), il vise l’islamisation de la France, même s’il concède qu’elle n’est pas responsable de tout. Vague précaution oratoire.

Pourtant, il n’hésite pas à parler de « nettoyage ethnique » à ce propos, de nouveaux colonisateurs et d’une volonté islamique de coloniser le monde. Qu’il fasse référence à Israël en prenant fait et cause pour la politique de ce pays n’est pas dû au hasard en oubliant que les Palestiniens ont été historiquement remplacés par des Juifs. C’est le moins qu’on puisse dire.

Renaud Camus est un bon bourgeois bien de sa classe. Après avoir frayé avec les milieux populaires de gauche dans sa tendre jeunesse libidinale, il a décidé de changer d’optique, reclus dans son château. Le problème est qu’en portant la majorité des responsabilités sur les immigrés et les antiracistes qui les soutiennent, il n’explique pas le processus, d’autant que s’y loge un ressentiment sexuel.

Dans un texte[5], il pourfend les Nord-africains de posséder une sexualité désastreuse : « Et personne ne me fera croire que cette sexualité-là, la sienne, la leur, est une sexualité heureuse ou souhaitable : elle est pauvre, elle est avare, elle est égoïste, elle est insupportablement vaniteuse, étriquée, machiste, expéditive, fruste. Elle est aux antipodes de tout ce que je peux aimer, de tout ce qui est aimable. Et les femmes, d’après ce que je comprends, ne sont pas, avec ces amants-là, bien mieux loties ». Comme on le constate, la référence est toujours la « sexualité heureuse ».

Reprenons. Guy Debord, dans un texte de 1985 que beaucoup de gens devraient relire[6], faisait remarquer que les Français avaient été radicalement américanisés, lentement et sûrement et qu’il était normal « que nous trouvions ici tous les misérables problèmes des USA, de la drogue à la Mafia, du fast-food à la prolifération des ethnies ». Il fait un constat très juste : « Ici, nous ne sommes plus rien : des colonisés qui n’ont pas su se révolter, les béni-oui-oui de l’aliénation spectaculaire ». Ce qui jette un regard bien différent sur la situation dont Renaud Camus ne parle nullement.

Guy Debord écrit aussi : « Le ghetto du nouvel apartheid spectaculaire (pas la version locale, folklorique, d’Afrique du Sud), il est déjà là, dans la France actuelle : l’immense majorité de la population y est enfermée et abrutie ; et tout se serait passé de même s’il n’y avait pas eu un seul immigré. Qui a décidé de construire Sarcelles et les Minguettes, de détruire Paris ou Lyon ? » Effectivement, s’il n’y avait pas d’immigrés, que resterait-il du français parlé, de la culture et même du raisonnement ? Et même, que reste-t-il en France de Français ? Que l’on voit et revoit Playtime (1967) de Jacques Tati qui montrait le marketing américain rampant dans la société d’alors, ce qui n’offusque que peu de monde aujourd’hui. Au contraire. Les Français l’adoptent dans leur majorité.

Second constat : il est entendu pour ma part, et j’y reviendrai, que s’il y a autant d’immigrés, c’est bien pour faire oublier cette « américanisation » de la France (et d’ailleurs).

Guy Debord trace d’autres idées dérangeantes dans son constat dont ne parle nullement Renaud Camus. Il y évoque que la contraception est acceptée, que l’avortement est libre, ce qui explique de la part de nos élites à la fois une politique de dénatalisation promue et acceptée par les citoyens pour le plaisir d’un coït sans risque et une volonté d’importer des flux d’immigrés.

Pour lui, les immigrés « sont les représentants de la dépossession », dépossession partout présente en France et ailleurs. Les immigrés ont été aussi dépossédés de leur culture, de leurs racines, donc américanisés à l’égal des Français, et c’est sans doute pour cette raison que ces derniers en veulent autant aux immigrés. C’est-à-dire que les Français sont des immigrés dans leur propre pays.

Conclusion cinglante de Guy Debord : « Avec l’égalisation de toute la planète dans la misère, d’un environnement nouveau et d’une intelligence purement mensongère de tout, les Français qui ont accepté cela sans beaucoup de révoltes (sauf en 1968) sont malvenus à dire qu’ils ne se sentent plus chez eux à cause des immigrés ! Ils ont tout lieu de ne plus se sentir chez eux, c’est très vrai. C’est parce qu’il n’y a plus personne d’autre, dans cet horrible nouveau monde de l’aliénation, que des immigrés ».

Le constat de Renaud Camus paraît irréaliste. Il a beau déplorer la déculturation ou la nuisance écologique ou autres, celles-ci ne sont pas dues aux immigrés ou du moins, elles ne sont qu’une partie de ce qui est arrivé en France et ailleurs. Alors, parlons un peu de ce dont Renaud Camus ne parle pas.

Cette immigration massive n’est pas due aux immigrés. Ces derniers ne sont pas arrivés les mains dans les poches pour nous remplacer en forçant les frontières. Karl Marx disait que l’immigration était une arme du Capital, donc en France du CNPF, tout à fait en accord avec les « gauchistes » par ailleurs. Cette politique a pris corps dans les années 1970 avec Pompidou et Giscard concernant le regroupement familial. Mitterrand a accéléré le processus à la même époque que le multiculturalisme des publicités Benetton et à sa suite tous les gouvernements.

En clair, nos élites ont avalisé le phénomène et en avaient besoin. La « fricaille » a besoin de la racaille comme le disait encore Karl Marx quand il évoquait le lumpenprolétariat, à son époque, bien français, pour tétaniser les soulèvements populaires. Le terme de Lumpenprolétariat veut dire sous-prolétariat, désignant une population située sous le prolétariat, du point de vue des conditions de travail et de vie. Au chapitre V de son livre Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852), Marx écrit que Louis-Napoléon avait formé une force d'intervention qui lui était dévouée (rebuts et laissés-pour-compte, vagabonds, soldats renvoyés de l'armée, échappés des casernes, escrocs, voleurs, saltimbanques, escamoteurs et pickpockets, joueurs, maquereaux, patrons de bordels, écrivassiers, chiffonniers, rémouleurs, rétameurs, mendiants) « en un mot toute cette masse errante, fluctuante et allant de-ci de-là que les Français appellent  "la bohème" ».

Bref, actuellement, entre autres, la promotion des assistés des banlieues comme l’indique Intouchables (2011) réalisé par Olivier Nakache et Éric Toledano classé numéro 1 au box-office français pendant neuf semaines d'affilée. Ce pour quoi le barbu rouge défendait les travailleurs réellement exploités et non ce lumpenprolétariat prêt à collaborer avec le pouvoir.

Avec l’arrivée de la mondialisation, le remplacement de la classe ouvrière ou populaire a été sciemment orchestré par nos élites (d’où l’idée de faire disparaître un PCF hostile à l’immigration et à l’Europe pour le remplacer par un Le Pen, un bourgeois que l’on pouvait maudire à bon escient). À l’époque de la Révolution industrielle, ce sont les provinciaux qui ont été déplacés pour remplir les grandes banlieues afin d’y être drastiquement exploités. Depuis, le lumpenprolétariat français a été remplacé par un lumpenprolétariat ethnicisé. De nos jours, étant donné l’internationalisation des échanges, on les importe de plus loin pour qu’ils fassent ou le sale travail ou pour être ubérisés.

Quand les Gilets Jaunes ont protesté, la Police est intervenue manu militari, mais les banlieues n’ont pas bougé, inféodées à l’esprit du merchandising américain. On ne les a pas entendus fomenter une nouvelle Commune ou chanter l’International. Ruse de la ruse, en fausse opposition contestataire, Jean-Luc Mélenchon adopte le wokisme et la théorie du genre tout en délaissant les classes populaires. Les bourgeois ou petits-bourgeois ne viennent pas défendre la classe ouvrière, mais défendent ces immigrés sous des prétextes faussement humanistes. Ils en permettent non seulement l’importation et l’exploitation. Brouillage de classes comme disait Christophe Guilluy.

Renaud Camus reste abstrait et désigne des boucs émissaires faciles. En fait, il est le meilleur allié du multiculturalisme, du moins, il n’est que l’autre visage du libéralisme qui a laissé s’installer ces immigrés et les a faits même venir en masse. Ce qu’il y a de singulier en passant, c’est qu’il ne parle nullement des Asiatiques ou autres ethnies, mais seulement des Arabes, Noirs ou musulmans. Pourtant, dans sa logique, avec ses yeux perchés au loin, dans les donjons de son château, il devrait remarquer que les Chinois ont « remplacé » les anciens Auvergnats dans les bars-tabacs. Certes, ils font moins parler d’eux, mais tout de même, ils ont bel et bien remplacé des Français.

Si, dans son essai, il évoque le remplacement métaphysique opéré par l’industrialisation et il y a longtemps, par la taylorisation, il n’en parle plus pour axer sa lubie sur l’islamisation ou les immigrés. Car cela l’aurait obligé d’abandonner sa fixation pour considérer le problème d’un peu plus haut que les tours de son domaine où il ne craint rien. S’il parle tant du « remplacement » du peuple français à cause de l’islam, des Maghrébins, etc., c’est pour faire oublier un autre remplacement, le vrai : la nouvelle flexibilité identitaire, ce qu’on appelle le wokisme ou autre théorie du genre, promulguée par les bourgeois et petits bourgeois des médias ou des grandes entreprises. La même classe sociale que lui.

Voilà quelque chose de bien plus redoutable, sournois, ce que Jean Baudrillard appelait le « world processing », qui opère chaque jour quasi silencieusement. Remarquez l’anglophilie partout présente quand on n’emploie pas des termes techniques et informatiques pour évoquer une façon de penser (« booster »). Ce remplacement a lieu dans les comportements, dans le langage parlé, dans les attitudes (les trottinettes, les gens casqués, les informatisés, les gamers, etc.) qui, d’une façon en apparence innocente, balayent tout ce qu’il y avait de « français ».

Pas seulement en France, direz-vous, car cela a lieu à l’échelle mondiale. Est-ce que les Français de bonne souche s’indignent qu’Amazon leur livre d’un clic leur produit préféré à l’insu de leur plein gré ? Nullement. Ils y collaborent activement tout en sachant par ailleurs que cela détruit des milliers d’emplois (sans parler des conditions de travail dignes des ouvriers robotisés de Métropolis de Fritz Lang) et occasionne des désastres économiques et culturels. Qui leur livre leurs chers produits ? Des Français de souche comme eux ou des immigrés ? Pensons à la pornographie qui, par sa diffusion massive et gratuite, dévaste toutes les autres cultures et toutes les autres traditions en les violant de l’intérieur.

Pensons au tourisme qui opère d’une autre façon en assujettissant tous ces pays à s’aligner sur un mode de vie petit-bourgeois accueillant nos colonisateurs en bermuda au train de vie confortable. On critique le tourisme sexuel pour faire oublier le tourisme tout court qui dévaste les autres cultures en assujettissant celles-ci à une emprise symbolique. Ou plus proche de nous, la gentrification des littoraux en Province où les bourgeois de la mondialisation y installent des résidences secondaires vides hors saison, mais qui font grimper les prix de l’immobilier, obligeant les plus modestes à s’exiler hors de la région où ils sont nés sans même parler de la destruction de l’École !

Voilà maintenant une époque de dépossession généralisée en plein essor pour basculer vers une autre société où les Français vont se retrouver avec des immigrés aussi pauvres qu’eux sur lesquels ils pourront se rabattre à défaut de pouvoir s’en prendre aux élites qui leur ont concocté un melting-pot aux petits oignons.

Un autre aspect est le wokisme. Venant des États-Unis (dans lequel on peut mettre le néoféminisme, le LGBTisme, etc., tous ces dérangés et secoués de l’identité), financé et entretenu entre autres par l’État et par George Soros dans le monde, et à terme le transhumanisme, il est bien plus redoutable que l’importation d’immigrés dans la manière d’effacer (la culture de l’effacement ou cancel culture) toutes les cultures et singularités humaines locales et spontanées tout en vantant une « diversité » Netflix, c’est-à-dire un ectoplasme spectral et universel, un individu flexible et unidimensionnel dans ce monde devenu un Truman show généralisé où tout un chacun pourra se croire femme s’il est né homme, Noir s’il est né avec la peau blanche, se greffer une puce dans les fesses pour parler à son prochain, pardon, à son lointain. 

Car avec son idéologie du Bien intégral, de la compassion généralisée, de l’amour de l’autre à tout prix, ce « remplacement » passe comme évident, moderne et humaniste. Ce qui nous vaut l’effacement progressif de ce qui avait été installé en France où les Français se voient dépossédés au même moment de leur souveraineté nationale, de leur culture, de leurs droits, de leur langue, lentement, mais sûrement à plus ou moins long terme. On pourrait multiplier les exemples de ce « world processing » implacable avec Tinder et toutes les applications qui remplaceront les rapports réels pour une interface numérisée détruisant les conditions existentielles et locales des échanges humains.

Dans toute cette histoire, et ce, depuis des siècles, les gouvernements occidentaux sont pleinement responsables, tout d'abord, d’avoir pillé les autres pays et de les avoir mis à feu et à sang (au hasard massacre des Aztèques par les Conquistadors espagnols, génocide des Indiens, etc.), puis d'avoir accaparé leurs ressources avec une rapacité sans égale, afin de devenir la vitrine du monde (en somme d’avoir gagné la bataille pour l’hégémonie) qui, d’une façon ou d’une autre, allait attirer une bonne partie des peuples de la Terre, ce dont Montaigne s’indignait déjà dans ses Essais [7]. 

Alors, on vise maintenant avec un parti pris extravagant un vieux texte ou une vieille religion, le Coran ou l’islam (qui posaient des problèmes lointains jusqu’alors) et on y cherche à la loupe des versets horrifiques expliquant une quelconque colonisation ou comportement particulier sans même noter que l’hégémonie est notre fait et qu’avec nos droits de l’homme, on se permet d’asperger de bombes le Moyen-Orient occasionnant des millions de morts[8]. N’y aurait-il pas là aussi un lien direct et une justification notable ?

Ce n’est pas un hasard si des Zemmour et autres trublions médiatiques susurrent la même rengaine, au début, doucement après la rengaine du multiculturalisme bienfaiteur, et maintenant, à cor et à cri en dénonçant le Grand Remplacement et la disparition de la vieille France (qui ne reviendra jamais avec le wokisme, promu au sommet de l’État avec Macron et sa fête de la musique à l’Élysée). Il s’agit de marketing politique pour faire oublier l’objectif principal. Le paradoxe est que ceux qui prétendent sauver la France accomplissent son anéantissement. Mais, de nos jours, faire de la généalogie ou de la géopolitique n’est plus notre apanage, on veut rester le nez collé sur l’actualité.

Et pourtant, depuis 1990, date de la Première Guerre du Golfe, à la disparition de l’URSS, les gouvernements américains ont décidé par des guerres préventives à coups de bombes de changer d’ennemis comme on change de fusil d’épaule. Ce n'étaient plus les Rouges, les Soviétiques, mais les musulmans qu’il fallait abattre et entraîner sur le terrain de la dépossession, quitte à fomenter moult guerres et à entretenir le terrorisme à cette fin, occasionnant des millions de morts pour assurer l’hégémonie de l’Empire au nom de nos « sourates humanistes ». Ce qui faisait dire à Guy Debord dans Commentaires sur la société du spectacle : « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ».

Renaud Camus est leur allié objectif au fond en ressuscitant la plus vieille pulsion humaine, le bouc émissaire. Car dans son constat, il en réfère à des ennemis importés par ce système au même moment pour faire passer en douce un changement anthropologique plus radical encore. Si l’on retire un instant les immigrés de l’horizon, cette culture de l’effacement paraîtra trop à découvert pour passer en fraude. Il fallait bien créer en doublure ce Grand Remplacement de toutes pièces pour ne pas avoir de doutes visuellement, ce pour quoi nos élites n’ont strictement rien fait depuis des dizaines d’années en abolissant les frontières ou ont laissé faire ce qu’on appelle la « racaille » entretenue à cette occasion.

La méthode est habile, car en important des flux d’immigrés, exilés de leur propre pays, ravagés par les guerres, avec la connivence des ONG et le prétexte d’un humanisme en carton-pâte ou en peluche, on n’allait pas créer une harmonie du vivre-ensemble comme ce qui se passe aux États-Unis. C’est l’aspect le plus vicieux et le plus cynique d’un tel projet que de faire porter la responsabilité intrinsèque sur de pauvres types instrumentalisés jusqu’à la gorge et inféodés aux gadgets technologiques, sachant que n’importe quelle peuplade du monde entier se comporterait de la même façon plongée dans des conditions similaires.

Ce qu’il y a de littéralement obscène est d’avoir accepté et justifié cette intrusion brutale puis de s’offusquer d’immigrés et de migrants alors qu’ils ont été importés volontairement et en masse par les descendants de ses colonisateurs afin d’éradiquer la civilisation d’opulence préalablement installée par le sang et l’exploitation. C’est le baiser du vampire.

Dans son essai Les Dépossédés, Christophe Guilluy a tout à fait raison d’affirmer : « Autrement dit, l’Occident se charge seul de son anéantissement. En réalité, l’Occident n’a besoin ni de la Chine, ni de l’islam, ni du réchauffement climatique pour disparaître. Il s’en charge tout seul. Ce sont moins des puissances, des idéologies ou des religions extérieures qui détruisent les pays occidentaux qu’un processus d’autodestruction qui les prive de leurs ressorts vitaux et de leurs défenses. Cette autodestruction de l’économie, des valeurs communes, du mode de vie n’a pas grand-chose à voir avec l’Inde, le Moyen-Orient ou le vieillissement de la population, mais tout à voir avec l’abandon de la société ordinaire, l’erreur-système ultime ». Il y a là une hypocrisie faramineuse de cette démocratie libérale et de ses consommateurs gavés et repus afin de poursuivre leur train de vie tranquille et confortable dans la nouvelle société numérique qui survient de nos jours tout en masquant son incessant pillage.

Et sans parler de la violence inouïe de l’intégrisme sanitaire avec ses soignants suspendus ou ses effets secondaires, des personnes jetées dans la misère, des fermetures d’entreprises et de magasins, des multiples lois qui dépossèdent les citoyens de leurs droits, de la censure des GAFAM et maintenant de la guerre en Ukraine pour ruiner la France afin de basculer de gré ou de force dans la nouvelle société quitte à leur proposer en guise de boucherie une nouvelle guerre mondiale.

Le wokisme ou la cancel culture, comme son nom l’indique si bien, parachève le processus en opérant un fracas symbolique de ce qui sous-tend une culture et faire accepter une démolition contrôlée de toute l’anthropologie humaine prompte à se greffer par un saut de puce sur le transhumanisme et le contrôle intégral par l’intelligence artificielle. Le cinéaste Pasolini avait raison, et ce, dès 1973.

Renaud Camus et ceux qui promeuvent cette idéologie, consciemment ou inconsciemment, savent bien que porter l’accent sur les immigrés importés en masse ne pouvait, vu leurs conditions misérables entretenues par la République à coups de drogues diverses et variées et de rap violent, qu’occasionner du tumulte, de la nuisance, de la nocence comme dit l’autre. C’était précisément l’opération espérée pour que les Français de souche un jour ou l’autre se rabattent sur eux afin de créer un plus grand chaos, sans viser évidemment ceux d’en haut dans leurs tours de Babel aux vitres fumées. Alors, les pauvres s’entredévoreront entre pauvres.

Un dernier mot : il n’y a pour ma part qu’un seul Camus, il s’agit d’Albert et non de Renaud. Au moins pour une raison quand il écrit : « Chaque fois que l’on a considéré un homme comme ennemi, on le rend abstrait.[9] »

[1] Renaud Camus, Notes achriennes, Hachette P.O.L, 1982, p. 233.

[2] Ibid., p. 234.

[3] Ibid., p. 235.

[4] Renaud Camus, Le Grand remplacement, autoédité, p. 16.

[5] Renaud Camus, Autres sons de hautbois in Chroniques achriennes, P.O.L, 1984, p. 211

[6] http://guerredeclasse.fr/2018/11/20/notes-sur-la-question-des-immigres/

[7] « Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples, passés au fil de l’épée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée, pour la négociation des perles et du poivre : Mécaniques victoires. » Montaigne, Essais, tome III, Des coches, p. 171, Folio.

[8] https://www.les-crises.fr/quatre-millions-de-musulmans-tues-dans-les-guerres-occidentales-depuis-1990/

[9] Albert Camus, Carnet 38-48, Bibliothèque de la Pléiade, tome 2, Gallimard, p. 1106.

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