Le secret de la prodigieuse capacité de travail de Mohamed Sifaoui : une méthode particulière
TRIBUNE - Mohamed Sifaoui revendique une énorme capacité de travail. Mais il ne révèle pas son secret : sa méthode !
"Ceux qui ont travaillé avec moi vont bien comprendre ce que je vais dire : j’ai une capacité de travail bien supérieure à la normale, (…)", répond Mohamed Sifaoui au sénateur Claude Raynal, président de la commission des finances, lors de son audition jeudi dernier devant la commission d’enquête sénatoriale sur le Fonds Marianne.
L’élu vient de demander au journaliste comment il a pu honorer le contrat à plein temps, signé avec l’association USEPPM (Union des sociétés d’éducation physique et de préparation au service militaire) dans le cadre du Fonds Marianne, et dans le même temps, assurer une mission rémunérée de consultant pour le CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation).
De l'importance de la méthode...
Une capacité exceptionnelle décidément, puisque La Lettre A vient de dévoiler, dans un article signé par Alexandre Berteau et Maël Jourdan, que Mohamed Sifaoui a, durant la même période, signé aussi une dizaine de piges pour le Journal du Dimanche, comme "spécialiste de Beauvau".
Mais au-delà de la capacité de travail, cette prolificité trouve peut-être son explication dans la méthode de travail. On ne soulignera jamais assez l’importance de la méthode.
Mohamed Sifaoui fustige la médiocrité de certains collègues journalistes et/ou attribue certaines critiques à de vieilles rancœurs. Il pourra difficilement arguer de rancœur ancienne me concernant : il serait bien ingrat de ma part de lui en vouloir, d’une certaine façon, grâce à lui, j’ai eu du travail. L'accusation de médiocrité par contre me pend au nez : je suis beaucoup plus lente à la tâche, ne peux travailler que pour un employeur après l’autre, je manque de méthode ! Enfin, nous n’avons pas la même ! Je perds un temps considérable à faire des recherches, interviewer des gens, construire mes articles et tout écrire moi-même !
En parlant d’écrire, en 2009, la députée UMP Chantal Brunel a une idée de livre. Elle veut en publier un qui s’intitulera "Pour en finir avec les violences faites aux femmes" et signe un contrat avec les éditions du Cherche-Midi. Mais écrire un livre, quand ce n’est pas son métier, n’est pas chose aisée, même si on a des choses à raconter. De surcroît, ça prend beaucoup de temps. Un temps difficile à concilier avec celui qu’exige un mandat politique si on veut le faire correctement. Il semblerait que certains ministres le puissent ; ils doivent être eux aussi dotés d’une capacité de travail surhumaine. Mais Chantal Brunel n’a qu’une capacité de travail importante et le désir d’être utile à ses administrés. Elle a donc besoin d’un coup de main, et les éditions du Cherche-Midi lui recommandent un de ses auteurs, Mohamed Sifaoui.
Copiés-collés
Seulement, la collaboration tourne court le jour où l’attachée parlementaire de la députée découvre que des pages que Mohamed Sifaoui leur a envoyées sont le fruit de plagiats. Comment je le sais ? Parce que le Cherche-Midi, qui est aussi mon éditeur, m’appelle en catastrophe pour le remplacer au pied levé et qu’on m’explique le problème. J’interromps donc l’écriture du livre sur lequel je travaille, et commence à collaborer avec Chantal Brunel, et sa très sympathique attachée parlementaire, Paola. Je refuse cependant d’écrire son livre en totalité, l’élue en écrit finalement une bonne partie. Par chance, la découverte de la "méthode Sifaoui" tombe au début des vacances d’été et le livre sortira plus tard que prévu. Inutile de vous dire que Mohamed Sifaoui a dû trouver un autre éditeur pour ses ouvrages suivants.
Devant la commission d’enquête sénatoriale sur le Fonds Marianne, Mohamed Sifaoui insiste bien sur le fait que c’est lui que les services de Marlène Schiappa voulaient. C’est sa "production intellectuelle" qui justifiait la dotation très importante accordée à l’USEPPM, l’association ne servant que d’intermédiaire à sa rémunération.
On peut donc se demander avec quel sérieux les ministères se renseignent sur quelqu’un avant de le charger de missions rémunérées par l’argent du contribuable. Certes la mésaventure de Chantal Brunel n’a pas fait grand bruit, mais elle a néanmoins été rendue publique. La députée a confié ses déboires à Michaël Moreau, qui préparait un article intitulé "Les nègres des politiques tombent le masque", publié le 7 février 2011 dans Les Inrocks, et toujours disponible sur internet.
La députée y explique notamment "Il n’y a pas une ligne de Sifaoui dans mon livre, car mon assistante parlementaire a découvert qu’il avait fait des copier-coller d’articles sur internet".
Il est certain qu’ainsi, on travaille beaucoup plus vite ! Se calquer sur le travail d’un autre, en enlevant certains passages, et en remaniant des phrases de temps en temps, ou faire un patchwork d’extraits d’articles pompés à droite à gauche, ça permet une grande productivité ! Pas aussi efficace que ChatGPT, mais quand même !
Quand j’ai appris que Mohamed Sifaoui avait largement bénéficié du Fonds Marianne, tout en cumulant les emplois, je me suis souvenue de cette histoire, et il m’a traversé l’esprit que l’habitude a la vie dure. 25 ans de journalisme, ça vous rend suspicieux, enfin suspicieuse en ce qui me concerne, sur plein de trucs ! Alors j’ai été sur le site "iLAÏC", subventionné à prix d’or par ledit Fonds Marianne, et j’ai jeté un œil sur les huit articles non signés qui y sont publiés.
J’ai commencé à m’intéresser au premier, titré "Pourquoi le féminisme a-t-il besoin de laïcité ?"
Le paragraphe "1" commence ainsi : "Selon Henri Pena Ruiz, la laïcité 'consiste à affranchir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière'. Autrement dit, la laïcité émancipe. Or, c’est précisément parce que le féminisme est une idéologie émancipatrice selon laquelle il ne devrait pas exister de différences, juridiques et sociales tout du moins, entre les deux sexes, qu’il suppose d’affirmer, à ses côtés, la laïcité."
Je l’ai copié sur Duckduckgo (le moteur de recherche des utilisateurs "fatigués d’être suivis en ligne" auquel je fais une petite pub reconnaissante) et j’ai lancé une recherche. Je suis alors tombée sur un article de Theresa Lopez Pardina, intitulé "Féminisme et laïcité", publié en 2007 par la revue "Chimères" et repris sur Cairn.Info. Je précise que le site Cairn.info donne, comme il se doit, l’origine de l’article, l’auteur, la date…
L’article de Theresa Lopez Pardina commence ainsi : "La laïcité qui, selon Henri Peña Ruiz, 'consiste à affranchir l’ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée au nom d’une religion ou d’une idéologie particulière' suppose une émancipation simultanée des personnes, de l’État, et des institutions publiques. Le terme 'laïcité' fait aussi référence à l’idéal universaliste du peuple souverain dont l’unité exclut tout type de privilège, tant des groupes que des individus."
Vous voyez la similarité, littérale ou de sens ? Il y en a d’autres !
Autre passage de l’article sur "iLAÏC" : "La laïcité et le féminisme ont chacun été des revendications de liberté et d’égalité. Ils sont, à ce titre, des fruits de la pensée moderne qui souhaitait faire de la Raison le moyen exclusif du Savoir. (…)"
Autre passage de l’article de Theresa Lopez Pardina (qui est beaucoup plus long et développé) : "La pensée féministe, dès qu’elle est apparue avec la Modernité, a été une revendication de liberté et d’égalité pour les femmes dans les mêmes termes que ceux du cadre de la laïcité. Car féminisme et laïcité sont, tous les deux, fruits de la pensée moderne. Une pensée qui fait de la raison l’instrument exclusif du savoir (…)".
Vocation pédagogique
Bon, j’arrête, je laisse ceux qui en ont envie de jouer à traquer, dans "iLAÏC", les copiés/collés et reformulations d’extraits d’articles pompés sur internet, le faire ! Spoiler alert : il y en a d’autres !
Je précise cependant que je ne connais pas l’auteur des articles de "iLAÏC" : ils ne sont pas signés. Il n’est pas exclu que Mohamed Sifaoui, ayant précisé aux sénateurs que sa mission de consultant pour le CIPDR a rapidement été recentrée sur la formation, ait formé d’autres rédacteurs à sa méthode pour augmenter leur capacité de travail !
D’ailleurs l’homme a une vocation pédagogique ! J’apprends, par mes excellents confrères de "Off investigation" (vous savez, ceux qui ont sorti le "Rotschild gate" et dont les révélations sont presque aussi "shadowbanned", "cancelcultured", bref, ignorées par les médias "mainstreams" que des infos révélées par France-Soir), que Mohamed Sifaoui fut sollicité par une des rares écoles nationales de journalisme de France, le CFJ ! À la bonne heure ! Les futurs journalistes auraient ainsi pu apprendre les méthodes pour avoir "une capacité de travail bien supérieure à la normale"…
Mais j’accorde à Mohamed Sifaoui le droit de m’accuser d’une jalousie inconsciente. Quand je l’entends parler, devant la commission d’enquête sénatoriale sur le Fonds Marianne, d’un "pathétique contrat à 4422 euros brut" (par mois, ndlr), pour un seul de ses contrats, "pour toucher au final 3200 euros net", et qu’il surenchérit "à un moment, le ridicule, il ne faut pas qu’il tue", ben moi, avec le mal que je me donne à aller chercher l’information sur le terrain, à la vérifier, à éplucher des tonnes de paperasses, à parler à plein de gens, à réfléchir ensuite à la structure de l’article ou du livre, je me dis que j’ai encore beaucoup à apprendre pour pouvoir bénéficier de fonds publics ! Je n’ai pas la méthode !
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