Les Suisses votent aujourd'hui sur cinq sujets : une inspiration pour la France ?
TRIBUNE - Les Suisses votent tous les trois mois sur des sujets nationaux. Cela pourrait-il inspirer le système politique français ? Mais d’abord : sur quels types de sujets les Suisses votent-ils ? La votation du jour peut servir d’illustration.
Les Suisses votent tous les trois mois
La dernière votation a eu lieu le 7 mars 2021 et portait sur trois sujets :
– interdiction de se dissimuler le visage ;
– identification électronique ;
– et accord de partenariat économique avec l’Indonésie.
La décision du peuple sur les deux premiers sujets a été contraire aux recommandations du gouvernement et du Parlement (le peuple a accepté le premier et refusé le second), ce qui montre que, même dans un pays où les élus sont disciplinés par le fait que leurs décisions restent sous le contrôle des citoyens, il peut subsister un décalage entre les autorités et les citoyens. Comme il convient dans une démocratie, c’est le demos qui a le dernier mot : la volonté populaire exprimée lors du référendum est bien sûr une décision qui s’impose aux élus.
Cinq sujets soumis en votation le 13 juin
La votation suivante a lieu ce 13 juin 2021. Le nombre de sujets nationaux est inhabituellement élevé avec cinq sujets :
– initiative populaire « Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l’utilisation de pesticides et l’utilisation d’antibiotiques à titre prophylactique » ;
– initiative populaire « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse » ;
– loi Covid-19 ;
– loi sur le CO2 ;
– et loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme.
Comme pour chaque votation, les citoyens ont reçu une brochure décrivant les différents sujets. Pour se faire une opinion, ils suivent les campagnes et les débats.
• Les deux premiers sujets de votation sont des « initiatives populaires ». Dans la terminologie française, ce sont des RIC (référendums d’initiative citoyenne) constituants. Des citoyens ont réuni le nombre requis de signatures papier (100 000, soit environ 2 % des citoyens) dans les délais impartis (18 mois) pour soumettre en votation populaire le texte de leur proposition d’amendement de la Constitution sur un point précis.
Ces deux propositions sont relativement proches. La première initiative prévoit que les subventions aux paysans (paiements directs) ne seront versées plus qu’aux conditions suivantes : les exploitations agricoles devront produire en se passant de pesticides, bannir l’utilisation préventive ou régulière d’antibiotiques dans l’élevage et être en mesure de nourrir leurs animaux exclusivement avec le fourrage qu’elles produisent elles-mêmes.
Les paysans seraient donc autorisés à ne pas respecter ces principes s’ils renoncent aux subventions. La seconde initiative se restreint aux pesticides, mais en préconisant des moyens plus contraignants : les pesticides de synthèse ne pourraient plus être utilisés en Suisse et l’importation de denrées alimentaires produites à l’étranger à l’aide de pesticides de synthèse ou contenant de tels pesticides serait interdite. Pour le gouvernement et le Parlement, ces initiatives vont trop loin. Les initiants les jugent au contraire nécessaires.
Les citoyens pourront accepter ces deux initiatives, les rejeter toutes deux, ou en accepter une et refuser l’autre. Même s’ils ne peuvent que voter oui ou non, la présence de ces deux initiatives connexes permet donc finalement un choix relativement fin. Il aurait été encore plus fin si le Parlement avait proposé un contre-projet, qui aurait alors été soumis simultanément en votation populaire (avec une question subsidiaire pour déterminer quelle version entre l’initiative et le contre-projet doit entrer en vigueur si elles sont toutes deux acceptées).
Les trois autres sujets de votation sont ce que les Suisses nomment des « référendums facultatifs ». Dans la terminologie française, on parlerait de RIC « veto » contre une loi nouvellement adoptée par le Parlement. Des citoyens ont réuni le nombre requis de signatures papier (50 000, soit environ 1 % des citoyens) dans les délais impartis après l’adoption d’une loi par le Parlement (100 jours à partir de la publication de la loi dans la Feuille fédérale) pour soumettre leur veto en votation populaire.
• La loi Covid-19 est une loi adoptée par le Parlement pour prolonger des mesures limitées dans le temps prises par le gouvernement dans le cadre du droit d’urgence. Cette loi complète la loi sur les épidémies et contient essentiellement des aides financières transitoires, mais aussi d’autres éléments tels que l’instauration du « Passeport Covid ». Pour les autorités, cette loi vise surtout à prolonger des aides économiques nécessaires, alors que les opposants y voient d’abord une occasion de s’opposer à la politique sanitaire face au Covid.
• Suite à l’Accord de Paris, la loi sur le CO2 est révisée pour diminuer davantage les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse : les réduire de moitié d’ici 2030 par rapport à 1990. Elle comprend différentes mesures. La réglementation deviendra plus stricte sur les véhicules et les bâtiments, avec notamment l’interdiction du chauffage aux énergies fossiles dans les nouveaux bâtiments. Le plafond de la taxe CO2 sur les combustibles passera de 120 francs par tonne de CO2 à 210 francs, mais la possibilité d’être exempté de cette taxe CO2 sera étendue à toutes les entreprises qui s’engagent à réduire leurs émissions.
Une taxe de 30 à 120 francs sur les billets d’avion sera introduite. Les subventions pour promouvoir les investissements respectueux du climat et soutenir les entreprises novatrices seront augmentées. Une minorité du revenu de ces taxes sera versée dans le Fonds pour le climat qui financera ces subventions, le reste étant redistribué à la population (par tête) et aux entreprises. Le Fonds pour le climat viendra aussi en aide pour faire face aux conséquences des changements climatiques. Le prix des carburants pourrait augmenter : le plafond du supplément que perçoivent les importateurs d’essence et de diesel afin de financer les investissements supplémentaires qu’ils devront effectuer pour la protection du climat passera de 5 à 12 centimes par litre.
Face au changement climatique, les autorités estiment ces mesures nécessaires pour respecter les engagements internationaux de la Suisse. Deux comités référendaires se sont opposés à cette loi, l’un trouvant qu’elle en fait trop et l’autre pas assez. Le comité qui a réuni le plus de signatures estime que la loi n’est d’aucune utilité pour le climat, coûte cher et touche surtout les petits et moyens revenus. Le second comité estime que cette loi antisociale va dans la mauvaise direction et renforce les structures climaticides.
• La loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme donne aux autorités la possibilité d’user de mesures limitées dans le temps à titre préventif contre les personnes représentant une menace terroriste. Ces mesures peuvent consister en : obligation de se présenter régulièrement auprès d’un service de l’État ; interdiction de contacter certaines personnes ou d’entrer dans un certain périmètre. Toutes les mesures peuvent faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Moyennant l’approbation d’un tribunal, un terroriste potentiel peut aussi être assigné à résidence pour une durée pouvant aller jusqu’à neuf mois. Pour le gouvernement et le Parlement, la police a besoin de davantage de moyens pour prévenir efficacement les attentats. Les comités référendaires jugent par contre la loi inefficace et contraire aux droits de l’homme. Ils critiquent aussi la définition de l’activité terroriste qu’ils jugent trop ambiguë.
Une inspiration pour la France ?
Un tel système pourrait-il fonctionner en France ? Bien sûr, en adaptant le nombre requis de signatures pour tenir compte de la taille du pays. L’instauration du RIC est une revendication centrale des Gilets-Jaunes.
Des militants tentent actuellement d’instaurer le RIC en France. Ainsi, le mouvement Espoir RIC 2022 veut utiliser la prochaine présidentielle pour instaurer le RIC le plus important : le RIC Constituant. C’est le RIC qui permet aux citoyens de fixer les règles du jeu politique, ces règles qui actuellement ôtent tout pouvoir aux citoyens entre deux élections. Ce RIC Constituant permettra aussi l’instauration d’autres RIC, tels que le RIC « veto ».
Le RIC Constituant change radicalement la vie d’un pays, si bien que son introduction en France serait une révolution bien plus grande que le programme de n’importe quel parti politique. Ce changement de règles constitue un dégagisme plus profond que le remplacement d’élus par de nouvelles figures. Clara Egger, la candidate d’Espoir RIC à la présidentielle de 2022, s’engage à lancer un référendum dès son élection pour instaurer le RIC Constituant.
Peut-être un jour les Français pourront-ils aussi décider sur de grands sujets tels que des mesures contre une pandémie, le terrorisme, le changement climatique ou l’utilisation de pesticides.
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