Quid du tirage au sort ?
TRIBUNE - Le fond et l’objet des décisions prises - qui échappent au peuple - et le comportement des élites dirigeantes face au peuple, spécialement depuis 5 ans, font parfois douter que l’on soit encore, dans les faits, en démocratie. Qui veut que le gouvernement soit celui du peuple, par le peuple pour le peuple. Alors même que lesdites élites procèdent de l’élection.
Les considérations qui ont été émises il y a 2 500 ans en Grèce sur les mérites respectifs du tirage au sort et de l’élection et sur leur pratique, sont à nouveau à la mode. Et certains militent pour la substitution du tirage au sort à l’élection.
Le tirage au sort, a, en apparence, des avantages :
D’un point de vue technique :
- Il supprime le professionnalisme, donc la soumission des députés aux règles internes du milieu pour l’investiture et le renouvellement de l’investiture (avec ce que ça implique sur la relation élus – électeurs).
- Il supprime la dépendance d’avant élection aux groupes financiers qui financent les campagnes électorales et qui conditionnent les esprits des électeurs avec leurs médias (voir la fabrication et idéale typique à cet égard, celle du candidat Macron).
- Il pallie l’obstacle de l’argent nécessaire pour faire campagne et qui éloigne (un peu comme au temps du suffrage censitaire) les plus modestes de la possibilité matérielle de faire acte de candidature (exemple caricatural de l’élection à la présidence de la République).
- D’un point de vue statistique, les gens modestes auraient moins de chances d’être sous-«représentés».
Mais, toujours d’un point de vue technique (et entre autres) :
- Il n’exclut pas les divergences d’intérêts personnels entre les tirés au sort.
- Il n’interdit pas les marchandages entre les tirés au sort pour la distribution des postes entre eux et les luttes pour la conquête de l’influence au sein de l’État.
- Il n’interdit pas la prise en main par les financiers après le tirage au sort (lobbying et campagnes médiatiques pour provoquer la révocation - si la révocation est prévue - des tirés au sort non obéissants).
- Il ne garantit pas un meilleur recrutement des dirigeants, la proportion d’imbéciles ne variant pas en fonction de l’endroit où on les trouve. À moins de prévoir des ateliers de rééducation ou l’installation de chaînes de reconditionnement des tirés au sort, qui seraient alors à même de savoir ce qui est bon pour leurs congénères. N’étant pas sortis d’un « klèrôtérion » (machine à tirer au sort des Grecs reconstituée par des archéologues – salon de l’innovation, Marseille, 17 et 18 mai 2017), ils resteraient dans leur jus.
- Il porte en lui l’affaiblissement ou la suppression des partis politiques, qui sont quand même bien utiles à ceux qui, traditionnellement, ont besoin de se regrouper pour organiser la défense du contenu de leur assiette. Et qui sont bien commodes pour mettre à la disposition des citoyens une information et des argumentaires qui ne sont pas ceux des lobbys financiers et économiques.
Et puis, tirage au sort, c’est le remède du vétérinaire appliqué à l’élection : « La bête est malade ? On la pique ! »
La moitié des citoyens ne participe plus aux élections ? Avec le tirage au sort, la moitié qui vote n’aura plus besoin de se déplacer…
Alors, faut-il céder à la mode, en sublimant au passage la Grèce antique comme le font certains ?
NB : Grèce antique au sein de laquelle aucun d’entre nous n’a cependant vécu, il y a plus de 2500 ans, pour pouvoir connaître, autrement que par de rares écrits à forte connotation dogmatique ou par les déductions des archéologues, donc… sans pouvoir connaître sérieusement le mode de fonctionnement de la société de l’époque. Ni pour porter un jugement éclairé sur ce dernier.
Le tout en oubliant au passage de se demander pourquoi les Grecs du tirage au sort se sont mis à l’élection.
Faut-il prétendre que le tirage au sort, parce qu’il est utilisé ailleurs (souvent pour des activités circonscrites et des territoires limités) serait transposable dans la France tout entière et pour la désignation des membres de l’assemblée décisionnelle ?
Ou, pour aller dans la même logique, pourrait-on soutenir que les « griots » puisqu’ils sont bien utiles et bien respectés dans les sociétés africaines, pourraient remplacer le porte-parole du gouvernement ou les laudateurs d’Emmanuel Macron ?
La réponse est évidemment négative ! (Encore que pour les griots…)
L’élection permet aux citoyens, à travers le choix de personnes, de se déterminer sur le contenu futur des règles qui leur seront imposées. Pas le tirage au sort.
C’est ça le « mandat » issu de l’élection, qu’il soit impératif ou, pour des raisons de commodité, représentatif (comme l’avait perçu Louis XVI dans ses lettres de convocation des États généraux).
Dans les siècles qui nous ont précédés, l’élection des « représentants » appelés à décider, a été une grande conquête.
Bourgeois qui élisent leurs représentants à la Révolution en vue de gouverner à la place du roi.
Droit de vote étendu à tout le monde en 1848. À quelques années par ailleurs de la fameuse phrase de Lincoln prononcée à Gettysburg (1863) : « Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Si une fois élus, les représentants ont un mandat représentatif, lequel leur « permet » techniquement s’ils font ce choix personnel :
- d’adopter des mesures stupides ou scandaleuses,
- de distinguer au sein du peuple, « la populace » qu’on méprise, dont on a peur et dont on se protège (ce n’est pas les gens du Medef ou du Forum de Davos que l’on éborgne),
- de se mettre au service des lobbys,
- de suivre comme des sots ou des cyniques, tout ce que leur fait « avaler » le gouvernement, qu’il s’agisse du fond des décisions, de leur objectif réel, ou de la manière de les prendre,
- de faire principalement carrière pour profiter des avantages directs que ladite carrière procure ou indirects dont elle fournit l’opportunité,
… il faut alors encadrer
- l’élection
et
- les élus.
... mais pas supprimer l’élection.
Car alors les citoyens seraient privés de la souveraineté dont ils sont en principe propriétaires (principe que l’on n’a pas encore osé enlever de l’article 3 de la constitution). Mais comme François Mitterrand en a fait perdre l’usage aux citoyens en signant Maastricht (et comme Nicolas Sarkozy et la classe politique du moment ont renouvelé l’affaire). Et en ajoutant, pour que les juges ne l’ignorent pas, un titre XV nouveau à la Constitution. Qui transfère les compétences des institutions de la France à des organismes spéciaux fabriqués sur mesure, chargés de mettre en œuvre un programme de réformes sur lequel les citoyens n’ont désormais pas prise...
Le tirage au sort priverait les citoyens de se déterminer ce sur quoi ils ont encore l’autorisation de se déterminer.
Le tirage au sort est une solution qui nous paraît devoir être rejetée.
Et ce d’autant plus que rien ne dit que le peuple, de plus en plus excédé, ne recouvrira pas un jour sa souveraineté
- en la reprenant aux institutions de Bruxelles (et redonnera ce faisant un sens et une utilité à l’usage du bulletin de vote).
- et en disant aux Américains : « Ça suffit ! ». Comme aux dirigeants français : « Ça suffit de nous entraîner dans les guerres conduites par les Américains ou les « coups tordus » fomentés par ces derniers ».
Puisque le processus électoral est organisé de manière à ce que la partie du peuple, la plus modeste et la plus nombreuse, soit toujours dirigée par l’élite économico-financière qui gère la société à son profit, il faut agir sur les « truquages » de l’élection
- qui font que les élections reproduisent sous une forme politique les inégalités sociales,
- et donnent une légitimité « hypocrite » à la politique qui est menée lorsque cette dernière est manifestement injuste pour une partie des citoyens, ne fussent-ils « rien », ou aux décisions lorsqu’elles sont à l’évidence contraires à l’intérêt de la Nation.
Circonscriptions électorales, mode de scrutin, manipulation des esprits par les médias aux ordres de ceux qui disposent de la puissance financière économique et qui « tiennent » l’État et ses dirigeants, conflits d’intérêts et corruption, etc…
C’est là-dessus qu’il faut à l’évidence agir. Après avoir acquis des connaissances techniques sur ces questions. Ce qui n’est pas bien « sorcier », surtout qu’il existe des études, des rapports parlementaires, qui sont immédiatement exploitables.
« À nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre. » (Lincoln à Gettysburg).
La France, c’est sur la terre.
Marcel-M. MONIN est maître de conférence honoraire des universités.
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