Ukraine  : une situation militaire sur le terrain qui inquiète l’Occident

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Jean Neige, pour France-Soir
Publié le 07 mars 2024 - 18:02
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Guerre Ukraine Tribune Jean Neige 07032024
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Aris Messinis / AFP
Le manque de munitions et de soldats dans l’armée ukrainienne devient criant. Certains militaires n’ont pas quitté la ligne de front depuis deux ans.
Aris Messinis / AFP

TRIBUNE - Après l’échec retentissant de la grande offensive ukrainienne de l’été dernier, une période de stabilité du front a suivi. Mais depuis quelques semaines, la situation est en train de basculer en faveur de la Russie en plusieurs endroits du front. Doucement mais sûrement, les troupes russes ont commencé à grapiller du terrain en divers endroits. C’est notamment le cas du côté de Donetsk - qui connait des bombardements réguliers depuis dix ans, il faut toujours le rappeler - où les troupes russes desserrent progressivement l’étau de l’armée ukrainienne autour de la ville. Après la prise de Marinka à l’ouest le 25 décembre dernier, c’est surtout la conquête du bastion ukrainien d’Avdiivka au nord, le 17 février, qui a marqué les esprits.  

Même la brigade Azov aurait refusé de monter au front 

A y regarder de plus près, la chute brutale d’Avdiivka ne doit pas manquer d’inquiéter les pro-Ukrainiens et leurs soutiens, non seulement pour son résultat, mais aussi à cause de la manière dont cela s’est déroulé sur la fin. On parle sur Telegram, mais aussi dans la presse américaine, de troupes ukrainiennes qui ont commencé à fuir leurs positions avant d’en avoir reçu l’ordre, de soldats abandonnés sur place n’ayant pas reçu l’ordre d’évacuation, mais aussi de la Troisième brigade d’assaut (autrement dit la Brigade Azov, historiquement composée de quelques néo-nazis assumés) qui, envoyée sur place pour tenter d’arrêter la débâcle annoncée, aurait refusé de s’engager plus dans la ville, après ses premières pertes dans des combats rapprochés. Cette unité n’a sans doute pas voulu revivre le traumatisme de Marioupol, avec l’encerclement complet de milliers de soldats.  Ce refus de monter au front de la part de troupes dites d’élite, couplé à la perte d’une ville symbole, a de quoi plomber le moral de toute une armée, et notamment celui du nouveau chef d’état-major ukrainien, le général Syrsky, qu’on dit mal-aimé par les soldats et dont la principale qualité serait une obéissance aveugle à Zelensky. Il aurait finalement donné l’ordre d’évacuer la ville alors que nombre de soldats avaient déjà déguerpi. Entre 850 et 1 000 soldats auraient disparu pendant la chaotique évacuation, tués ou prisonniers.  

Depuis, les Russes ont commencé à progresser à l’ouest de la ville comme jamais depuis le début de l’été 2022. Ils ont conquis six villages en moins de deux semaines sur un front de sept kilomètres de large. Les Ukrainiens ont dû alors engager pour la première fois les chars Abrams pour les stopper dans de furieux combats, perdant au passage au moins cinq 5 blindés sur châssis Abrams. 

De plus, le manque de munitions et de soldats dans l’armée ukrainienne devient criant. Certains militaires n’ont pas quitté la ligne de front depuis deux ans, notamment à l’ouest de Donetsk, et auraient menacé de se rebeller. Zelensky s’est vu contraint de signer un ordre de démobilisation, tout en cherchant à mobiliser de nouveaux soldats, alors qu’il n’y a plus de volontaires. Alors, on cherche à l’étranger. Et c’est un Français, Philippe Leclerc, en charge de l’Europe pour le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU qui vient de déclarer que l’Ukraine a le droit légitime de demander le retour au pays des réfugiés ukrainiens aptes au service. On peut se douter que l’homme aura subi des pressions de la part de l’Occident, voire de la France, pour émettre un tel avis.  

Il s’agit de voir les choses en face : la démographie, comme la puissance industrielle, sont à l’avantage de la Russie, qui produit plus d’obus que toute l’Alliance atlantique réunie. Certains prévoient même un effondrement de l’Ukraine, faute de munitions, au printemps. Les Ukrainiens eux-mêmes alertent sur le risque d’une percée russe d’ici l’été.   

Et les sanctions économiques qui devaient mettre l’économie russe à genoux pénalisent surtout l’Europe, quand la Russie dépasse les 3 % de croissance en 2023. Comme Emmanuel Todd l’a analysé dans son dernier ouvrage, l’Occident s’est tellement désindustrialisé avec la mondialisation, qu’il n’a pas les moyens de tenir ses objectifs de production de munitions. Aux Etats-Unis, même les ingénieurs américains manquent.  

Bref, les choses ne se passent pas comme les va-t-en-guerre de l’OTAN l’avaient naïvement espéré. L’hubris fait des ravages.  

Notre Président ne manque jamais de rendre service aux intérêts de l’Etat profond américain 

Par ailleurs, toujours du côté américain, le dernier projet d’aide à l’Ukraine d’un montant de 60 milliards de dollars est encore bloqué par les républicains de la Chambre des représentants. Le Pentagone en est réduit à envisager de puiser encore directement dans les réserves de l’armée américaine pour aider l’Ukraine.  

On peut aisément imaginer que nos parrains américains aient pu demander aux Européens de prendre le relais. D’où la réunion du 26 février dernier, initiée par notre Président, qui ne manque jamais de rendre service aux intérêts de l’Etat profond américain (General Electric, McKinsey, Microsoft, Pfizer, Blackrock, etc.). Les PDG des multinationales américaines ont presque tous leur rond de serviette à l’Elysée.  

Même si l’aide américaine était débloquée dans les semaines qui viennent, il faudra probablement des mois avant qu’elle n’ait un impact sur le terrain. La destruction des premiers Abrams en Ukraine, ne devrait pas inciter à trop d’optimisme. Les chars américains qui brûlent ne font pas une bonne publicité au lobby militaro-industriel, même si les médias occidentaux restent très discrets sur le sujet (on ne doit pas déplaire à ses maitres). Mais les images font le tour de Telegram. Les gens sensés aux Etats-Unis – et on peut espérer qu’il y en ait, apparemment bien plus qu’en Europe ou en France – pourraient se demander à quoi bon envoyer toujours plus d’argent et de moyens, pour un résultat négatif sur le terrain. 

Et la possible élection de Donald Trump inquiète profondément l’oligarchie occidentale, qui craint qu’il ne mette ses promesses à exécution de terminer la guerre en Ukraine en 24 heures, voire de laisser tomber l’OTAN.  

Quelles conséquences pour l’Otan ? 

Quand Manuel Valls déclare qu’une “victoire de la Russie en Ukraine” serait une “défaite stratégique, militaire, politique et morale pour l’Occident”, il résume assez bien la pensée des élites atlantistes.   

Pour Lloyd Austin, le secrétaire américain à la Défense, si l’Ukraine perd la guerre contre les Russes, l’OTAN sera entrainée dans une guerre avec la Russie. Carrément ! 

Sur le fond, ils cherchent à empêcher la fin de la pertinence de l’Otan, la fin de sa force de dissuasion ; c’est-à-dire la fin de la domination sans partage de l’Occident qui, seul, se réserve le droit de bombarder qui il veut en toute impunité selon ses intérêts depuis la guerre du Golfe de 1991. Une victoire russe en Ukraine signalerait la fin de l’Empire américain. Et cela est inacceptable pour ceux qui dominent le monde sans partage depuis des décennies.  

Mais nous, le peuple, doit-on s’en plaindre ? Pourquoi aurait-on encore besoin de l’Otan, cet instrument de mise au pas des Européens ? Comme cela n’est pas assez connu, il ne faut pas cesser de rappeler que les Etats-Unis sont les principaux responsables du désastre ukrainien, comme démontré ici 

Concrètement, la fin de l’OTAN pourrait juste signifier un monde multipolaire, plus juste et plus équilibré, où chaque pays européen pourrait retrouver sa souveraineté perdue. Emmanuel Todd résume cela tout simplement : “On sera en paix. La meilleure chose qui pourrait arriver à l’Europe, c’est la disparition des Etats-Unis.” Des Etats-Unis qui cessent d’imposer leurs vues au reste du monde, c’est tout ce qu’on demande.  

En résumé, c’est donc la panique dans les rangs des parrains de l’Ukraine, qui réalisent que la Russie est en passe de gagner cette guerre. C’est une question d’arithmétique. Et cela leur est insupportable.  

Et plus les troupes russes progresseront sur le terrain, et plus nos gouvernements risquent de devenir belliqueux, à l’image de Macron, et de prendre des mesures extrêmes pour tenter désespérément d’enrayer la dynamique.  

Une bête acculée est dangereuse.  

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