A Paris, des sans-abris dans l'ombre de la Ville Lumière
Plus de sans-abris dans les rues fin 2017, avait promis Emmanuel Macron à son arrivée au pouvoir. Quelques mois plus tard, un recensement sans précédent organisé dans la nuit de jeudi à vendredi à Paris montre que cet objectif reste un horizon lointain.
De premières estimations seront publiées la semaine prochaine, avant les résultats complets attendus le mois prochain.
Les visiteurs se disent souvent choqués par les poches de pauvreté qu'ils découvrent aux détours de la Ville Lumière, les mendiants du métro, les tentes de migrants plantées le long du poétique Canal Saint-Martin.
Les associations qui viennent en aide à ces personnes "sans domicile fixe", souvent désignés par l'acronyme SDF, estiment leur nombre à environ 3.000 à Paris. Beaucoup d'entre eux viennent de loin, souvent d'Europe de l'Est.
Mais il n'existe pas de statistiques officielles - un manque que la mairie de Paris a décidé de combler en organisant le premier recensement de sans-abris jamais mené dans la capitale.
Quelque 2.000 fonctionnaires et bénévoles ont arpenté les rues jusqu'à une heure du matin, comptant les corps blottis dans les renfoncements d'immeubles et interrogeant ceux qui voulaient bien répondre sur leurs problèmes de logement et de santé. Les cheminots ont dénombré les personnes réfugiées dans les stations de métro.
L'idée est d'avoir "une photographie de la réalité" des personnes à la rue, afin de pouvoir ensuite adapter les dispositifs d'assistance et d'hébergement, a expliqué la maire, Anne Hidalgo, qui s'est inspirée d'initiatives similaires à New York, Bruxelles et Athènes.
- La misère derrière les chiffres -
La misère humaine cachée derrière les chiffres est bien là.
"Welcome to the hotel California", grince un homme trapu depuis son matelas trempé, installé à deux pas du bucolique parc des Buttes Chaumont.
Pieds-nus, blotti sur une bouche d'air chaud, Danilo, un Serbe de Croatie qui a combattu dans les années 90 lors de la guerre des Balkans, dit avoir 44 ans. Il en fait dix de plus. A ses côtés, un ami au visage tuméfié semble abruti par l'alcool.
L'histoire de Danilo est celle d'un dérapage incontrôlé. Ancien électricien, un temps employé par Siemens en Allemagne, il a déménagé en France il y a deux ans, après un divorce difficile.
Les petits boulots devenant de plus en plus difficiles à trouver, il passe ses journées à boire sur son matelas et à interpeller jovialement les passants.
"Le printemps va arriver, je vais changer ma vie, j'espère", dit-il, en sortant une croix d'argent cachée sous son pull. "Je lui ai demandé un petit coup de main", ajoute-t-il, les yeux levés au ciel.
- 'Déconnectées des réalités' -
Le nombre de gens à la rue s'est envolé à Paris depuis la crise financière de 2007-2008, un phénomène également observé dans d'autres capitales européennes, telles Londres, Dublin ou Athènes, souligne Ruth Owen, représentant de la fédération européenne des organisations de défense des sans-abris (FEANTSA).
"C'est notamment dû au fait que les prix de l'immobilier ont augmenté plus vite que les revenus", explique-t-elle.
Le gouvernement d'Emmanuel Macron a fait valoir que 13.000 places d'hébergement d'urgence avaient été créées cet hiver, sans convaincre qu'il avait pris la mesure des difficultés.
Le secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires Julien Denormandie a ainsi été accusé de minimiser l'ampleur du problème, après qu'il a assuré que seuls "une cinquantaine d'hommes isolés" dormait dans la rue dans la région parisienne.
"Même dans les cas de grand froid, certains SDF ne souhaitent pas être mis à l'abri", a renchéri un député parisien Sylvain Maillard, membre du parti présidentiel.
Des déclarations "complètement déconnectées des réalités de terrain", a déploré Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité.
Le chiffre de 50 se déferrait en fait à ceux qui n'avait pas pu obtenir de lit pour la nuit auprès de services d'hébergement totalement saturés. Beaucoup de sans-abris n'appellent même plus, découragés.
Pour Danilo, qui a jeté l'éponge depuis longtemps, "il y a toujours beaucoup de problèmes, des bagarres, c'est sale". Certains migrants en situation irrégulière évitent aussi ces centres de peur d'être signalés.
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