« Durant ses longues années de présidence, en raison de son envergure et de sa culture, il a fini par symboliser aux yeux du reste du monde une partie de l’essence de la France », c'est ainsi que Margaret Thatcher, l’ancienne « partenaire » de François Mitterrand, le décrivait. Avec le mandat le plus long de la Vème République, François Mitterrand est devenu l’incarnation du monarque républicain, lui qui avait tant fustigé ce régime notamment via son pamphlet "Le Coup d'État permanent". Sa victoire le 10 mai 1981 offre à la gauche la première alternance de l'histoire de la Vème République après 23 ans de règne de la droite. Le soir de cette élection inattendue, c'est la fête dans les rues partout en France. Aujourdui, 40 ans après cette victoire, qu'en est-il de la gauche ?
La victoire de François Mitterrand, un espoir de changement pour les classes laborieuses
Le 10 mai 1981, c’est « La force tranquille » qui est élue. Place de la Bastille, une scène de liesse se déroule : les classes laborieuses voient dans cette élection un espoir de changement et des possibilités de réformes sociales. Cette victoire n’était pourtant pas gagnée d’avance puisqu’au premier tour des élections présidentielles, François Mitterrand avait réalisé 25,85% des voix contre 28,32% pour le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing. Celui-ci devançait alors Mitterrand (25,8%), Jacques Chirac (18,0%), le communiste Georges Marchais (15,3%) et six autres candidats.
Au deuxième tour, le candidat socialiste est élu avec près de 52% des voix face au président sortant, qui a cru jusqu’au bout à sa réélection. Cette victoire exceptionnelle est d'une part liée à la crise économique et d'autre part liée à la capacité de François Mitterrand de se rallier les votes de la gauche, y compris ceux des communistes.
A Paris, 200 000 personnes environ convergent vers la place de la Bastille, où Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, a appelé les partisans à venir faire la fête. La foule qui s’est rassemblée scande inlassablement « On a gagné, on a gagné » ou encore « Elkabbach à l’usine », réclamant une justice envers les responsables de l’information télévisée, qu’ils jugent verrouillée par la droite.
Les mêmes scènes de liesse se déroulent dans toutes les grandes villes du pays et peu après 22h, François Mitterrand fait sa première apparition officielle en tant que président. Il déclare alors : « J’agirai avec résolution pour que, dans la fidélité à mes engagements, la France trouve le chemin des réconciliations nécessaires. Nous avons tant à faire ».
Un échec pour la droite
Le soir de l’élection de François Mitterrand, Jacques Chirac réagit en affirmant que « cette situation nouvelle risque d’ouvrir une période d’incertitude ». Le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing ne commente pas la victoire de François Mitterrand. Il rumine sans doute ce qu'il vivra comme une trahison de son ancien Premier ministre. La droite apparaît de fait divisée notamment dans ses réactions, suite à cette première élection d’un président socialiste. Le président sortant a subi l’usure de ses sept années au pouvoir, ("l'homme du passif", a lâché, cinglant, François Mitterrand lors du débat d'entre-deux-tours) mais aussi la concurrence du Rassemblement pour la République (RPR). En effet, dès le lendemain du premier tour, le 26 avril 1981, Jacques Chirac s’était refusé à appeler ses partisans à voter pour Valéry Giscard d’Estaing, en se contentant de déclarer que, "personnellement", il voterait pour le présidant sortant. De là à y voir un soutien déguisé au candidat socialiste, il n’y a qu’un pas.
Qu'en est-il de la gauche aujourd'hui ?
Il y a dix ans, pour le trentième anniversaire de l’accession de François Mitterrand à l’Élysée, le PS avait sorti le grand jeu : dans un interview accordé à
L’Opinion, Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences en histoire à l’Université Paris Est-Créteil, se souvient d’un « colloque de l’historien Jean-Fraçois Sirinelli, avec plein de témoins de l’époque », ainsi que d’une réunion au sein du « siège du parti, rue de Solférino » et d’un « grand concert place de la Bastille ».
Dix ans plus tard, l’anniversaire n’a plus le même lustre. Les socialistes célèbrent sans éclat et en ordre dispersé la victoire de François Mitterrand, signant le morcellement de "ce grand cadavre à la renverse", comme disait Bernard-Henri Lévy reprenant la célèbre formule de Jean-Paul Sartre. L’ex-président François Hollande a rendu hommage dimanche à son prédécesseur depuis la ville du Creusot, en présence de son ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, de la maire de Paris Anne Hidalgo, et d’anciennes figures du parti comme Lionel Jospin, Pierre Joxe ou encore Jean Glavany. Le patron du PS Olivier Faure, ne s'est cependant pas rendu au Creusot ce dimanche, et y a préféré la Marche pour le climat à Paris. Ce choix est symbolique de la transformation qu'il opère au sein de son parti en faveur de l'environnement et de l'ouveture aux écologistes, avec qui il espère construire une alliance en 2022.
Olivier Faure en convient : « Oui, aujourd’hui la gauche ne part pas favorite à l’élection présidentielle », mais il ajoute également que « le cycle ouvert par François Mitterrand à Epinay s’est achevé il y a longtemps, il faut à l’évidence repenser les choses et opérer une synthèse entre les questions sociale, écologique et démocratique sans se replier sur nos seuls acquis, il faut être aveugle pour ne pas le voir ».
La Cinquième république aura-t-elle un nouveau président de gauche dans un an ? Jack Lang célèbrera-t-il un nouveau passage "de l'ombre à la lumière" ? Il est permis d'en douter fortement aujourd'hui. Mais l'histoire montre que rien n'est jamais écrit d'avance.