Corrida : vers la fin des courses de taureaux ?
Le débat est relancé. Le 21 mars 2018, deux propositions de loi relevant du domaine des courses de taureaux[1] ont été enregistrées à l'Assemblée nationale. La première a pour objectif de mettre fin à la corrida[2] alors que la seconde proposition vise à interdire l'accès aux courses de taureaux aux mineurs de moins de 14 ans[3]. Ce sont les premières propositions sur les courses de taureaux de la XVe législature.
A noter que celles proposées antérieurement n'ont jamais abouti[4]. Pour autant, cela ne signifie pas que le même sort est réservé aux nouvelles propositions d'autant que leur approche est moins militante puisque le mot "abolition" n'est plus utilisé[5]. L'expression "mettre fin" et le mot "interdiction", beaucoup plus neutres, ont été choisis. Ce choix tend à démontrer qu'il s'agit d'une demande sociétale et non plus uniquement d'une volonté des associations de protection des animaux de mettre fin à une pratique barbare. Néanmoins, les chances d'aboutissement ne sont pas les mêmes pour les deux propositions. Il semblerait que celle concernant l'interdiction de l'accès aux courses de taureaux aux mineurs de moins de 14 ans[6] ait plus de chance d'aboutir.
En effet, la présence de "mineurs qui assistent aux spectacles tauromachiques sanglants [7]" est fortement décriée par les psychiatres et les psychologues réunis dans le collectif "PROTégeons les Enfants des Corridas[8]" (PROTEC). Ils sont opposés à l'accès des enfants de moins de 16 ans aux corridas. Ainsi une différence de deux ans est à prendre en compte entre le collectif "PROTEC" et l'âge de référence de la proposition de loi. De plus, si l'on se réfère à la question écrite n° 5078 du député Michel Larive[9] (FI), qui indique la même limite d'âge que le comité des droits de l'enfant de l'ONU[10] à savoir 18 ans, cette fois-ci une différence de quatre ans est à noter.
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Certes, un mineur a en principe moins de 18 ans et c'est sans doute la raison pour laquelle le collectif "PROTEC[11]" utilise le mot "enfant" et non celui de "mineur". Le premier est également utilisé dans l'exposé des motifs de la proposition qui met l'accent sur la problématique de la présence des enfants de moins de 14 ans aux courses de taureaux: "Les corridas ne sont pas des spectacles à proprement parler. Mettre à mort un animal à l’aide de sévices et d’actes de cruauté, est de nature à heurter, particulièrement les enfants". Le professeur Montagner, docteur en sciences et spécialiste de la relation homme-animal atteste que "le spectacle de la corrida avec les banderilles et la pique plantées dans le corps de l’animal, le sang qui coule, les tentatives désespérées du taureau pour échapper à des tortures et souffrances qu’il ne peut fuir, et sa mise à mort sanglante a une forte probabilité de nourrir et renforcer l’insécurité affective des enfants, notamment les plus vulnérables".
La proposition a pour fondement les observations finales du comité des droits de l'enfant de l'ONU[12]. Ces dernières années, il s'est prononcé pour l'interdiction de la présence des mineurs aux courses de taureaux à l'encontre de plusieurs Etats[13]. Si les recommandations du comité des droits de l'enfant n'ont aucune valeur juridique, elles renvoient néanmoins à la population mondiale une mauvaise image du pays qui n'appliquerait pas ses recommandations[14]. La question se pose donc de connaître la direction que la France va prendre.
Un point d'interrogation demeure également quant à l'interdiction de la corrida en France. L'exposé des motifs de la proposition n°801 se résume en la phrase suivante: "sans qu'il soit utile d'en dire plus[15]" et propose ensuite la suppression du septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal. Cette démarche peut se comprendre en raison de sa légitimité mais elle ne peut pas suffire. Une argumentation juridique solide est nécessaire[16]. D'autant que les pro-corrida ont toujours le même argument à savoir celui de l'existence d'une tradition[17], sans aucune considération pour le taureau[18] qui est un être vivant doué de sensibilité[19].
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La tradition[20] est selon ces derniers indétrônable. Pour autant, ils n'hésitent pas à utiliser les grands moyens afin de continuer d'exister. En effet, il ne faut pas oublier qu'il y a quelques années le travail de lobbying effectué par certaines personnes aurait pu aboutir à l'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel de l'humanité[21]. Il a pu être déjoué notamment par les interventions du Comité Radicalement Anti Corrida pour la protection de l'enfance, CRAC Europe[22] et de l'Association Droits des Animaux[23].
Par conséquent, l'interdiction ne va pas être donnée. Puisqu'il s'agit plus d'une question politique que juridique, des citoyens[24] et des associations préparent des actions[25] et commandent des sondages[26] pour tenter de démontrer ce qu'ils considèrent comme une nécessité: l'abolition définitive et sans exception de la corrida.
[1]La corrida fait partie des courses de taureaux cf. le dossier thématique La corrida, Revue Semestrielle de Droit Animalier p. 117 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf
[2]Proposition de loi n° 801 du 21 mars 2018 visant à mettre fin à la corrida en France n°801 du 21 mars 2018, présentée par Philippe MICHEL-KLEISBAUER.
[3]Proposition de loi n° 804 du 21 mars 2018 visant à interdire l'accès aux courses de taureaux aux mineurs de moins de 14 ans, présentée par Michel LARIVE, Caroline FIAT, Jean-Hugues RATENON, Sabine RUBIN, Clémentine AUTAIN, Loïc PRUD’HOMME, Bastien LACHAUD, Muriel RESSIGUIER, François RUFFIN, Danièle OBONO, Adrien QUATENNENS, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Mathilde PANOT, Patricia GALLERNEAU, Michel ZUMKELLER, Émilie GUEREL, Nadia RAMASSAMY, Frédérique TUFFNELL, M’jid EL GUERRAB, Éric DIARD, Agnès FIRMIN LE BODO, Maud PETIT, Typhanie DEGOIS, Frédérique LARDET, Nicolas TURQUOIS. Il est néanmoins regrettable de constater que seul "l'enfant spectateur" est pris en compte. En effet, aucune mention ne concerne "l'enfant acteur" et les écoles taurines. Le tribunal administratif de Nîmes et celui de Montpelier ont déjà eu l'occasion de se prononcer dans ce sens. Cf. TA Nîmes, 19 décembre 2016 et TA Montpellier, 24 janvier 2017. Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2016 p.146 http://www.unilim.fr/omij/files/2017/06/RSDA_2_2016.pdf
[4]Quelques propositions de l'ancienne législature:
Proposition de loi n° 1448 du 10 octobre 2013 relative à la suppression de l'autorisation exceptionnelle de sévices et d'actes de cruauté sur les animaux des corridas, présentée par Laurence ABEILLE et Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Sergio CORONADO, Barbara POMPILI, François de RUGY, Eva SAS, Véronique BESSE, Arlette GROSSKOST, Brigitte ALLAIN
Proposition de loi n° 1480 du 23 octobre 2013 visant à abolir la corrida présentée par Damien MESLOT.
Proposition de loi n° 1525 du 6 novembre 2013 visant à abolir la corrida, présentée par Damien MESLOT, Nicole AMELINE et Jean-Louis CHRIST et Marc-Philippe DAUDRESSE, Dominique DORD, Hervé GAYMARD, Anne GROMMERCH, Arlette GROSSKOST, Valérie LACROUTE, Lionnel LUCA, Alain MARSAUD, Bérengère POLETTI, Eric STRAUMANN, Rémi DELATTE, François ROCHEBLOINE, Pierre MORANGE, Jacques LAMBLIN.
[5]C'était d'ailleurs déjà le cas dans la proposition n° 1448 du 10 octobre 2013 relative à la suppression de l'autorisation exceptionnelle de sévices et d'actes de cruauté sur les animaux des corridas.
[6]Texte de l'article unique de la proposition de loi n°804: Après la première phrase du septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal sont insérées deux phrases ainsi rédigées: "Toutefois, l'accès aux arènes, ou à tout autre lieu où est organisée une course de taureaux comportant la mort d'au moins un animal, est interdit aux mineurs de moins de quatorze ans. Est puni des peines prévues au présent article, le fait, pour le gestionnaire du lieu où se déroule la course de taureaux et pour son organisateur, d'enfreindre cette interdiction".
[10]Le comité des droits de l'enfant est l'organe chargé de vérifier l'application de la convention internationale des droits de l'enfant. http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/CRC/Pages/CRCIndex.aspx
[11]Il est à noter que le collectif PROTEC va plus loin que la simple demande d'interdiction puisqu'il refuse également toute forme de prosélytisme auprès des enfants. Le 10 décembre 2017 un courrier, demandant l'interdiction de prosélytisme, a été envoyé au ministre de l'Education nationale. Ce courrier a été signé par Jean-Paul RICHIER et les associations suivantes: Education Ethique Animale, L'Alliance Anticorrida, La Fédération des Luttes pour l'Abolition des Corridas (FLAC) et No Corrida. http://www.collectif-protec.fr/2017/12/lettre-au-ministre-de-l-education-nationale.html
[12]Il convient d'indiquer que l'UNICEF France va également dans ce sens cf. https://www.unicef.fr/article/unicef-france-en-reponse-aux-questions-sur-la-corrida
[13]Le Portugal (observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques du Portugal, adoptées par le comité à sa 65e session (13-31 janvier 2014) CRC/C/PRT/CO/4-5° et la Colombie (observations finales concernant les quatrième et cinquième rapports périodiques de la Colombie, adoptées par le comité à sa soixante-huitième session (12-30 janvier 2015) CRC/C/COL/4-5), le Mexique (observations finales concernant les quatrième et cinquième rapports périodiques du Mexique, adoptées par le comité à sa soixante-neuvième session (18 mai- 5 juin 2015), CRC/C/MEX/CO/4-5), le Pérou (concluding observations on the combined fourth and fifth periodic reports of Peru, adopted bu the committee at its seventy-first session (11-29 january 2016), CRC/C/PER/CO/4-5) et la France (concluding observations on the fifth periodic report of France, adopted by the committee at its seventy-first session (11-29 january 2016), CRC/C/FRA/CO/5). In Claire VIAL, "La corrida et l'enfant, A propos des observations finales du Comité des droits de l'enfant concernant la France (et le Portugal, la Colombie, le Mexique, le Pérou)". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2015 p. 133 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2016/11/RSDA_2_2015.pdf
Jean-Pierre MARGUENAUD, "Le semestre de toutes les promesses", Revue Semestrielle de Droit Animalier 1/2014 p. 201 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2014/11/RSDA-1-2014.pdf
[14]Claire VIAL, "La corrida et l'enfant, A propos des observations finales du Comité des droits de l'enfant concernant la France (et le Portugal, la Colombie, le Mexique, le Pérou)". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2015 p. 133 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2016/11/RSDA_2_2015.pdf
[15]Proposition de loi n° 801 du 21 mars 2018 visant à mettre fin à la corrida en France n° 801 du 21 mars 2018, présentée par Philippe MICHEL-KLEISBAUER.
[16]Claire VIAL, "La corrida aux abois", Revue Semestrielle de Droit Animalier, 2/2016 p. 99 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2017/06/RSDA_2_2016.pdf
Claire VIAL, "La disparition programmée de l'indéfendable corrida". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2 / 2012, p157 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/99_RSDA_2-2012.pdf
[17]Hubert DELZANGLES, "Les animaux objets de tradition locales interrompues, l'exemple de la corrida". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2012 p. 455 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/99_RSDA_2-2012.pdf
[18]Elisabeth HARDOUIN-FUGIER, La corrida de A à Z. "Taureau. L'acteur qu'on tue". p.101 à 106. Eric BARATAY, "Mort dans l'après-midi, la corrida du côté des animaux", Revue Semestrielle de Droit animalier 2/2012 p. 303 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/99_RSDA_2-2012.pdf
[19]Jean-Pierre MARGUENAUD, "L'entrée en vigueur de "l'amendement Glavany": un grand pas de plus vers la personnalité juridique des animaux". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2014, p. 15 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2015/04/RSDA-2-2014.pdf
Jean-Pierre MARGUENAUD, "Une révolution théorique: l'extraction masquée des animaux de la catégorie des biens", la Semaine Juridique Edition Générale n° 10-11, 9 mars 2015, doctrine 305. Jean-Pierre MARGUENAUD, Article 515-14- Fasc. unique: Biens. Les animaux, êtres vivants doués de sensibilité, 15 Février 2016.
[20]Xavier PERROT, "Du spectacle à la tradition. Pénétration et fixation de la corrida en France (1852-1972)". Revue Semestrielle de Droit Animalier, 2/2009 p. 165 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/59_RSDA_2-2009.pdf
[21]Jean-Pierre MARGUENAUD, La corrida aux portes du patrimoine culturel immatériel de l'humanité ? Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2012 p. 29 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/96_RSDA_1-20111.pdf Claire VIAL, De l'inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel à son inscription immatérielle au patrimoine culturel. Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2013 p. 97 et s. http://www.unilim.fr/omij/files/2014/03/RSDA-2-2013.pdf
[24]Un rassemblement citoyen anti-corrida va avoir lieu le 19 mai à 17 heures devant les arènes de Nîmes.
[25]http://www.anticorrida.com/carte-evenements-corrida/ http://www.allianceanticorrida.fr/actions/actions.php http://nocorrida.com/category/actions/ http://flac-anticorrida.org/http://www.colbac.fr/ http://www.sauvons-un-taureau-de-corrida.com/
[26]Lesquels ont parfois été cités dans la proposition de loi: "(...) selon un sondage IFOP/Alliance Anticorrida réalisé du 4 au 13 février 2015, 83 % des Français souhaitent que l'accès aux arènes soit interdit aux mineurs de moins de quatorze ans. Même dans les départements dits "de tradition taurine", la tauromachie rencontre plus d'opposants que de partisans, puisque, selon un deuxième sondage IFOP/Alliance Anticorrida de mars 2017, 75 % des habitants sont contre la corrida. De plus, 84 % d'entre eux approuvent l'idée que l'accès aux corridas soit interdit aux moins de quatorze ans". De plus, selon un sondage Fondation 30 Millions d'Amis (IFOP Février 2018) 74 % des Français réclament l'interdiction de la corrida. Cf. "La corrida à l' agonie" http://www.30millionsdamis.fr/actualites/article/13441-la-corrida-a-lagonie/
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