Georges Floyd, les violences policières et les colères déconfinées

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FranceSoir
Publié le 10 juin 2020 - 13:29
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Manifestation en mémoire de George Floyd, place de la République à Paris, le 9 juin 2020
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© Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Le premier conflit d'après-crise sanitaire, la dénonciation des violences policières
© Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Les premières tensions de l’après-crise sanitaire auraient pu être sociales. Elles se focalisent sur les violences policières et plus profondément encore sur la question du racisme dans la police et dans la société. 

« Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde. Ce sera le même, en un peu pire ». Ce court extrait du texte Lettres d’intérieur de Michel Houellebecq, écrit début mai, décrit-il ce fameux monde d’après qui ne s’éveille à priori pas sous les meilleurs auspices ? 

 

L’inévitable conflit

Après 80 jours de quasi-paralysie du pays nourrie de peurs du virus comme du lendemain [1], alimentée par la confusion et les injonctions paradoxales [2], un conflit de sortie de crise paraissait par nature inévitable. A plus forte raison parce qu’à la crise sanitaire succédera immanquablement, nous annonce-t-on haut et fort, une crise économique d’une ampleur – et d’une violence - inédite [3]. 

Ce conflit, donc, on l’aurait cru social. Il y aura d’ailleurs certainement beaucoup de monde dans la rue le 16 juin derrière les personnels hospitaliers. Avec la mort de George Floyd aux Etats-Unis, il prend en France une tournure sociétale, contre les violences policières et le racisme. Il met le pouvoir sous pression, au point de forcer l'exécutif à changer de discours, à prendre des décisions dans l’urgence, à commettre des impairs – fallait-il inviter la famille d’Adama Traoré au ministère de la Justice alors que la procédure judiciaire est encore en cours ? [4]  - et au final à autoriser l’interdit. 

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, le 9 juin, à propos de la tenue de manifestations interdites à la fois par le décret limitant à dix personnes les regroupements dans l’espace public et par certaines préfectures : 

« Je crois que l’émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s’appliquent »

 

Des colères multiples

Si l’on élargit notre angle de vue, une constatation s’impose : il n’y a pas qu’en France que le couvercle de la bouillonnante marmite est en train de sauter, libérant des colères populaires nourries pendant les confinements et cette pause forcée par la crise sanitaire. De fait, la vague d’indignations est mondiale, mais elle ne concerne pas que le décès de George Floyd, pas que les violences policières, pas que le racisme. 

Tout d’abord, le décès de George Floyd agit comme un élément déclencheur dans des pays qui ont leurs propres victimes de violences policières : c’est Mike Ben Peter en Suisse, décédé des suites d’un plaquage ventral en février 2018, Regis Korchinski-Paquet au Canada, qui a chuté du 24e étage de son immeuble lors d’une intervention de la police le 27 mai dernier, ou encore Giovanni Lopez, un maçon mexicain retrouvé mort début mai au lendemain de son arrestation.

Ensuite, il y a ces nations qui font face à leurs propres démons. Ainsi l’Australie, où les manifestations en hommage à George Floyd s’accompagnent de slogans de défense de la population aborigène. Ou bien l’Afrique du Sud, où le suprématisme blanc n’a pas tout à fait dit son dernier mot.

Enfin, certains soulèvements populaires, que leur origine soit économique et/ou politique, regagnent la rue, avec souvent, en prime, une critique de la gestion de la crise sanitaire. Au Liban, les manifestations contre l’effondrement économique ont repris sitôt le confinement levé. En Equateur, la protestation de l’hiver 2019 contre l’explosion du prix de l’essence laisse place aujourd’hui à des manifestations contre les bas salaires et les coupes budgétaires décidées durant la pandémie. A Hong-Kong, le mouvement pro-démocratie a changé de tactique, mais les jeunes continuent de défier Pékin, un an après les premières manifestations monstres. 

 

En France, les violences policières

En France aussi, c’est un peu comme si l’on reprenait le film là où on l’avait laissé avant le confinement, mais pas tout à fait. Bien que n’engendrant pas de manifestations d’ampleur, rappelez-vous que les violences policières étaient au coeur du débat public en tout début d’année. 

Le décès de Cédric Chouviat, le 4 janvier à Paris, avait sorti de dessous le tapis cette expression jusqu’alors déniée par l’exécutif.  Emmanuel Macron, mars 2019 :  

« Ne parlez pas de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit »

Cédric Chouviat [5] était un « monsieur tout le monde », un livreur de 42 ans qui a rencontré la mort par asphyxie durant un simple contrôle de police. Il n’était pas l’un de ces « jeunes de banlieue » pour qui la violence, même lorsque l’on a 14 ans et que l’on se retrouve à l’hôpital après son interpellation lors d’une tentative de vol de scooter [6], arrive toujours à trouver des justifications et des défenseurs. Il n’était pas, non plus, l’un de ces gilets jaunes dépeints comme « séditieux et violents » qui, à la limite, « aurait bien cherché » l’éborgnement par LBD à force de s’en prendre à l’Arc de Triomphe. 

 

Un climat de défiance

En début d’année donc, le décès de Cédric Chouviat, comme auparavant celui de Steve Maia Caniço mort dans la Loire à Nantes une nuit de fête de la musique après une charge des forces de l’ordre [7], avaient forcé l’exécutif à sortir du silence, par la voix d’un Christophe Castaner ou d’un Edouard Philippe promettant « la lumière sur l’affaire » et « toute la transparence ». 

La répression des mouvements sociaux depuis le changement de doctrine du maintien de l’ordre de décembre 2018, incitant des gendarmes et policiers pas toujours formés à aller au contact, avec les conséquences que l’on connaît, nourrissait aussi, en janvier, ce climat de défiance. C’était ainsi résumé sur RTL par le sociologue Michel Wieviorka : 

« Ce qui se passe depuis un an, en particulier avec la façon dont les gilets jaunes ont été réprimés, c’est le sentiment assez partagé dans la population que l’État n’est pas tout à fait légitime dans la façon dont il réprime »

Et ce n’est certainement pas l’indignation d’un ministre de l’Intérieur devant la vidéo du croche-pied d’un policier toulousain à une manifestante [8] qui aurait pu y changer quelque chose. 

 

L’heure du face à face ?

Tout cela, c’était il y a seulement six mois. Avant la pandémie de coronavirus, avant la mise sous cloche du pays, et avant la liberté conditionnelle du déconfinement, périodes durant lesquelles les colères ont eu largement le temps de se nourrir, des contrôles permanents et des amendes parfois injustifiées, de « l’argent magique » mis sur la table sans contrepartie, du creusement des inégalités, de ce sentiment de vivre dans une société de surveillance, avec ses drones et son traçage numérique. 

Dès la mi-mai, scrutant les réseaux sociaux, les services de renseignements disaient craindre une recrudescence des mouvements sociaux et des modes d’actions plus violents de mouvances contestataires et de « gilets jaunes radicalisés ». 

Ils n’avaient évidemment pas imaginé le destin tragique de George Floyd aux Etats-Unis et la jonction en France de colères qui n’avaient jusqu’à fait présent jamais (ou presque) fait cause commune, bien que toutes deux nourries par un sentiment d’injustice et par la dénonciation des violences policières : celle des jeunes des cités et celle des gilets jaunes. 

Dans une émission sur France Culture consacrée à l’usage légitime ou illégitime de la violence dans le maintien de l’ordre, le sociologue Cédric Moreau de Bellaing, avait parlé de

la « tentation du face-à-face ». On y est, peut-être, dans ce même monde un peu pire. 

 

[1] http://www.francesoir.fr/la-peur-pouvait-eviter-le-danger 

[2] http://www.francesoir.fr/confinement-total-et-ou-confusion-generale 

[3] http://www.francesoir.fr/une-crise-economique-aux-consequences-sans-pareil-pour-lemploi-un-dur-reveil 

[4] https://www.20minutes.fr/justice/2795735-20200609-affaire-adama-traore-regarde-nicole-belloubet-tacle-union-syndicale-magistrats 

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_C%C3%A9dric_Chouviat 

[6] https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-saint-denis/interpellation-violente-gabriel-bondy-son-avocat-demande-suspension-4-policiers-1839244.html 

[7] https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/fete-de-la-musique/mort-de-steve-maia-canico-a-nantes-un-fetard-tombe-a-l-eau-temoigne_3652981.html 

[8] https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/toulouse-policier-fait-croche-pied-manifestante-christophe-castaner-reagit-1773719.html 

[9] https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/maintien-de-lordre-la-doctrine-a-t-elle-change-0 

 

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