Loi Travail 2017 - Du barème des indemnités aux ordonnances globales : une réforme pour rien ?
La communication gouvernementale de ce matin au sujet des ordonnances est importante mais elle n'emporte pas d'effets juridiques. Le verbe ne vaut pas texte juridique formel.
> Aujourd'hui on nous parle, demain on décide vraiment!
Seule comptera, dans un premier temps, l'adoption des ordonnances en Conseil des ministres avant que celles-ci ne fassent l'objet d'une loi de ratification qui sera alors soumise à promulgation présidentielle (on se souvient du refus de François Mitterrand de "signer" les ordonnances de privatisation de mi-juillet 1986).
La photographie est cadrée mais tout n'est peut-être pas encore dans la boîte.
Ainsi, des pressions notamment syndicales pourraient conduire le gouvernement à modifier tel ou tel segment de ces centaines d'articles. S'il devait y avoir des manifestations ultra-imposantes en septembre, l'exécutif serait bien contraint d'en tenir compte. De plus, même une fois votée la loi de ratification (probablement d'ici un mois), le sort final des ordonnances découlera de l'analyse minutieuse du Conseil constitutionnel qui ne manquera pas d'être saisi.
> Barème et continuité de l'aléa judiciaire!
Bien des personnes estiment que les difficultés et le coût du licenciement sont un frein à l'embauche. Aucune étude économique disposant d'une vraie dose d'objectivité n'est venue confirmer ou démentir ce point. Prenons-le pour exact par hypothèse de travail et constatons alors que le gouvernement a réalisé un bel ouvrage en édictant un barème pour les dommages-intérêts en cas de licenciement abusif.
Mais à ce stade, il faut crier gare. Tout d'abord, rien ne concerne la définition de la cause réelle et sérieuse du licenciement. Plus celle-ci aurait été précisée dans les ordonnances, moins de contentieux interprétatifs il y aurait eu demain. L'aléa judiciaire va donc se poursuivre dans un pays où plus de 2.000 pages (sur les 3.200) du code du travail concernent des jurisprudences et mille les textes normatifs. Puis, cerise sur un gâteau bien indigeste pour certains employeurs, le barème, c'est-à-dire le plafonnement des dommages-intérêts, ne concerne pas les cas de harcèlement ou de discrimination. Autant dire que la loterie judiciaire va continuer à tourner comme dans une fête foraine où le plus modeste des avocats ne manquera pas de conseiller à son client (ou à sa cliente) de "monter" un dossier harcèlement ou discrimination.
Or, nous sommes là dans des matières sérieuses quand il y a réellement eu discrimination ou harcèlement mais dans des cas où le droit de la preuve est parfois bien difficile à asseoir. Bien des magistrats sont contraints de s'en remettre à leur intime conviction à partir d'indices concordants davantage que de faits clairement établis. Bref, pour l'employeur, rien n'est véritablement sécurisé dans un pays où bien des magistrats se prennent, en leur for intérieur, pour de futurs doyens Waquet dont les travaux auront parfois fait sombrer des entreprises tant certaines jurisprudences de la chambre sociale de la Cour de cassation étaient éloignées des contraintes économiques tangibles du terrain.
En matière de licenciement, rappelons que le recours à un imprimé unique de type Cerfa peut évidemment être un mieux mais il faut garder à l'esprit que la rédaction de la lettre de licenciement comme l'invocation des motifs de rupture pourront être complétés et précisés lors de la procédure ce qui introduit un aléa pour les parties et une potentielle complexité "réelle et sérieuse".
> La place renforcée des accords de branche: ouf!
Le gouvernement avait, au départ de sa réflexion, envie de miser sur les accords d'entreprise et d'introduire une véritable inversion des normes. La CPME et d'autres ont rapidement montré le risque de moins-disant qui pouvait découler d'une telle ligne législative. En effet, tel ou tel concurrent suicidaire ou mercenaire aurait tôt fait de tirer les conditions sociales vers le bas et d'obliger, peu ou prou, les entreprises du secteur à s'aligner sur ces pratiques plus ou moins léonines.
En plaçant bien des thèmes de négociations au niveau de la branche –et notamment la délicate question des contrats courts-, le gouvernement Philippe fait acte de raison et donne corps à une relance du dialogue social à condition que notre pays ait l'intelligence de confirmer la concentration du nombre de branches (passage de 700 à 180?) évoquée par Edouard Philippe ce jeudi.
> Le conseil social et économique: palabres ou proactivité?
La fusion des institutions représentatives du personnel est probablement une future source d'efficacité collective à condition que le conseil social et économique ne devienne pas un lieu de superposition de monologues, donc le siège de palabres, à l'opposé de la proactivité que l'évolution des entreprises exige: digitalisation, robotisation, sécurité au travail, etc.
Le seuil de 300 salariés semble cependant excessif. Il est vrai que les ordonnances ne répondent pas à la question des seuils sociaux qui est pourtant un vrai sujet franco-français…
> A part cela, on parle formation?
La flexisécurité des pays du nord de l'Europe repose beaucoup sur des mécanismes de formation autant pertinents qu'efficaces. La France, malgré un budget de 32 milliards d'euros, est loin de présenter un bilan aussi favorable. Les populations les plus éloignées de l'emploi ne font pas l'objet d'assez d'attention, de "bienveillance" pour prendre un mot-valise en vigueur dans l'esprit de certains participants de l'université du Medef. Et de l'esprit aux actes, il peut y avoir un vrai fossé.
Après lecture des ordonnances, je ne comprends toujours pas que celles-ci ne portent pas réforme de la loi quasi-stérile du 5 mars 2014 et de la loi Travail en matière de formation professionnelle. Là, il y avait tout aussi urgence qu'ailleurs. Surtout si des employeurs opportunistes tirent parti de ces ordonnances pour alléger leurs effectifs: il est en effet établi que ce risque existe lorsqu'une dose de flexibilité est introduite dans les rapports sociaux.
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