Projet de loi sur les dérives sectaires : le Sénat garde le cap
FRANCE - Mardi 19 décembre, le projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires a été examiné par le Sénat en première lecture. Le gouvernement a souhaité réintroduire le délit de provocation à abandonner ou s’abstenir de poursuivre un traitement, mais les Sénateurs s’y sont opposés.
L’examen de ce projet de loi s’est opéré tard la nuit, à la suite du vote sur la très controversée loi Immigration et intégration. Pour rappel, la commission des lois avait adopté un texte fortement modifié par rapport au projet initial le 13 décembre. Elle avait notamment rejeté l’article 4.
Tentative de réintroduire l’article 4 dans le texte
“Les Français ont massivement adopté les pratiques dites non conventionnelles en santé. Soixante-dix pour cent d’entre eux ont une image positive de ces pratiques. Il faut réprimer les dérives les plus dangereuses”, a dénoncé la nouvelle ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, en présentant le projet de loi devant l’hémicycle. La ministre compte réintroduire l’article 4 dans le projet de loi, celui qui entend punir d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le délit de “provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical”.
Le rapporteur de la commission des lois, Lauriane Josende (LR), n’a cependant pas changé d’avis depuis le 13 décembre. Elle salue la volonté de vouloir lutter contre les dérives sectaires dans le domaine de la santé et, pour ce faire, elle a une idée simple : appliquer la loi, notamment la condamnation pour exercice illégal de la médecine.
Mais pour la ministre de la Santé, le droit existant ne suffit pas. La jurisprudence en la matière considère que l’exercice illégal de la médecine condamne des pratiques individuelles entre une victime et un auteur. Cela ne s’applique pas pour “les gourous en ligne” qui s’adressent à une large audience. Agnès Firmin Le Bodo rassure, il existe des garde-fous à l’instauration de ce nouveau délit de provocation à abandonner ou à s’abstenir de suivre un traitement médical.
Déjà, le texte sera écarté en cas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Et ne pourront être condamnées que les personnes qui forcent des malades qui souffrent d’une pathologie avérée à abandonner un traitement bénéfique pour leur santé, au regard de l’état des connaissances médicales.
Un mélange des genres entre dérives sectaires et débat scientifique
“Lesquelles (i.e. connaissances médicales) ?”, bondit la sénatrice Sylviane Noël (LR), “celles des laboratoires pharmaceutiques ? Souvenez-vous des péripéties du vaccin AstraZeneca. À travers cet exemple, on voit là toutes les difficultés de demander au juge pénal de condamner des prises de position scientifiques !”
Et le sénateur Alain Houpert (LR) d’ajouter : “La science évolue et la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain”, tout en rappelant que “si cette loi avait existé à l’époque du scandale du Mediator, la lanceuse d’alerte Irène Frachon aurait été accusée de dissuader les médecins de prescrire le Benfluorex”.
“Vous ne trouverez personne dans cet hémicycle qui puisse s’opposer d’une quelconque manière à la lutte contre les véritables dérives sectaires”, poursuit Sylviane Noël, “mais la perversité de ce texte est qu’il mélange volontairement les genres en traitant à la fois des dérives sectaires et du débat scientifique”. Ce mélange des genres dérange aussi d’autres parlementaires.
Pour sa part, la sénatrice Laurence Muller-Bronn (LR) dénonce les attaques contre les praticiens tels que les acupuncteurs, ostéopathes et hypnotiseurs. Lauriane Josende rappelle quant à elle que « la rédaction de l’article 4 est trop large et peut punir le discours tenu dans un cadre privé ou familial ».
L’article 4 n’est pas réintroduit, mais ce n’est pas pour autant que le projet de loi ne pose pas d’autres difficultés.
Un projet de loi qui reste controversé
Par exemple, selon Alain Houpert, le contenu de l'article 5 du projet de loi vise à systématiser la transmission d'informations aux ordres professionnels par les parquets lorsqu'un personnel de santé est condamné ou placé sous contrôle judiciaire pour des faits de dérives sectaires. Cet article est maintenu dans la version adoptée par le Sénat.
Et sur la forme, pour la sénatrice Laurence Muller-Bronn (LR), “ce texte constitue l’exemple même des dérives législatives auxquelles nous avons été confrontés durant toute la crise sanitaire : excessif, liberticide et imposé aux parlementaires en procédure d’urgence, la nuit, alors que rien ne le justifie.”
D’ailleurs, la sénatrice Nathalie Goulet (UC) a exprimé son regret quant à la manière dont le texte a été élaboré, le qualifiant de "bricolé" et déplorant l'usage de la procédure d'urgence. Elle appelle la ministre Le Bodo à revenir à une procédure classique afin de débattre sereinement des enjeux soulevés par cette loi. Elle n’a vraisemblablement pas été entendue par l’exécutif.
Le projet a été transmis à l'Assemblée nationale le 20 décembre et la date de la deuxième lecture n’est pas encore connue. Il ne fait pas mystère que le gouvernement tentera de convaincre les députés d’ajouter l’article 4 dans la loi.
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