Requête en annulation des élections legislatives : une décision équivoque du Conseil constitutionnel
Les élections législatives se sont tenues les 12 et 19 juin 2022. Un certain nombre de machines électroniques sont utilisées pour tenir ces élections. Or, cet usage a rencontré de nombreuses objections ces dernières années, tant en France qu’à l’étranger, et il ne s’est donc pas généralisé. Plusieurs arguments vont en faveur des machines à voter, notamment pour faciliter la remontée des informations et la rapidité. A l’ère de l’information électronique, cela semble un usage logique. Cependant, les machines à voter ont de véritables objecteurs, qui y voient un mécanisme permettant un détournement des élections par usage frauduleux. Il suffit de voir les nombreuses plaintes aux Etats-Unis, pour la dernière élection présidentielle. C’est dans le cadre des dernières élections législatives que Madame Marie-Françoise Baptiste, candidate aux élections législatives dans la 3ème circonscription du Val de Marne, a décidé de saisir le Conseil Constitutionnel, avec son avocate Me Protat, et avec comme objet de faire annuler les élections législatives, selon elle entachées d’irrégularités.
Dans sa séance du 4 août 2022, le Conseil constitutionnel, où siégeaient M. Alain JUPPÉ, Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS, a rejeté la requête de Madame Baptiste au motif que selon l’article 35 de la même ordonnance : « Les requêtes doivent contenir les moyens d’annulation invoqués. Le requérant doit annexer à la requête les pièces produites au soutien de ses moyens ».
À l’appui de sa requête, Madame BAPTISTE fait valoir que des irrégularités relatives aux machines à voter utilisées dans l’une des communes de la circonscription auraient été de nature à affecter la sincérité du scrutin. Toutefois, ces allégations ne sont pas assorties des précisions et justifications permettant d’en apprécier la portée. Une décision surprenante, puisque le mémoire déposé par Me Protat comportait bien un constat d’huissier montrant certaines irrégularités, et cette dernière s’était attachée à mettre avant les précisions et justifications.
Le rôle et la responsabilité du Conseil constitutionnel est engagé, puisque ce dernier ne donne pas considération à une requête complète, entrainant ainsi un réel questionnement sur le respect de l’état de droit.
En voilà les détails.
Les faits
Madame Baptiste a déposé un mémoire complet, accompagné d’un constat d’huissier sur les machines à voter disponible dans la commune de Villeneuve-le-Roi. Les principaux éléments sont décrits ci-après :
- Madame Baptise a été convoquée par le maire de la ville de Villeneuve le Roi (lui-même candidat à la députation dans cette circonscription) les vendredi 10 et 17 juin 2022, pour assister conformément à la circulaire du ministère de l'intérieur en date du 23 mars 2022, relative à l'utilisation des machines à voter à l'occasion de l'élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022 et des élections législatives des 12 et 19 juin 2022, les représentants de tous les groupes politiques du conseil municipal sont convoqués lors de l'opération de configuration des machines et de pose des scellés, en présence d'un huissier de justice.
- Elle s'est faite représentée par son avocat Me Protat, assistée de Maître Lieurade, huissier de justice, lors de ces deux réunions de configuration des machines à voter.
- C’est ainsi que Me Lieurade sommait le maire de Villeneuve-le-Roi de répondre à ses questions.
1/ Quelles sont les identités des personnes qui programmeront les machines à voter lors de la réunion du 10 juin prochain ? De quelles sociétés sont-elles les représentants ou les salariés ?
« Maître JOUTOITE procède à la programmation des machines à voter sous le contrôle de moi-même, Madame Manuela LEGENDRE, Directrice des Affaires générales et de Madame Hasna RAMI, responsable du services élections. »
2/ Quelle est l'identité de l'Huissier de Justice constatant ? Par qui a-t-il été mandaté ?
« Maître Fabien JOUITOTE, Huissier de Justice de la SCP MARTINEZ à Champigny sur Marne, mandaté par la Mairie de Villeneuve-le-Roi. »
3/ Est-ce bien des machines NEDAP ESF1 qui seront programmées pour le premier tour des élections législatives qui se dérouleront le 12 juin prochain ? Par quelles sociétés ces machines sont-elles commercialisées en France ?
« Ce sont bien des machines agrées NEDAP ESF1. Ces machines sont commercialisées par la Société « FRANCE ELECTION », située 9, Avenue de la République à ARPAJON - 91290. »
4/ Existe-t-il un cahier des charges relatif aux exigences techniques que doivent respecter les machines à voter ? Si oui, Madame Marie-Françoise BAPTISTE demande que lui en soit remis copie.
« Je me propose de vous remettre le cahier des charges communiqué par la Société FRANCE ELECTION ».
5/ Les machines NEDAP ESF1 ont-elles bien reçu leur agrément du ministère de l'Intérieur ensuite d'une inspection réalisée par le Bureau Véritas ? Si oui, Madame BAPTISTE demande que lui soit remis copie du rapport d'audit du Bureau Véritas, lequel doit comprendre les éventuelles réserves émises lors de la livraison des machines.
« Ces machines ont bien reçu un agrément par le bureau VERITAS. Nous ne sommes pas détenteur de ce rapport. Seuls les tiers accrédités sont en mesure de l'obtenir auprès du ministère de l'Intérieur ».
6/ Est-il possible de changer l'EPROM des machines à voter ? Si oui, en combien de temps ?
« Des scellés sont apposés par le bureau VERITAS et ne permettent pas de changer l’EPROM. La date d'apposition des scellés est différente en fonction des machines et dans leur grande majorité datent de 2005, 2006 et 2007. »
7/ Où la ville de Villeneuve-le-Roi conserve-t-elle les machines à voter lorsqu'elles ne sont pas utilisées, et dans quelles conditions de sécurité ?
« Je ne suis pas en mesure de vous communiquer le lieu de stockage pour des questions de sécurité. Ce lieu est fermé à clé comme demandé dans la circulaire ministérielle. »
8/ Quelles sont les dernières opérations de maintenance effectuées sur les machines à voter avant leur programmation en vue des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 ? Par quelles sociétés ces opérations ont-elles été effectuées ?
« Sur 15 machines, seule une défectueuse a été changée cette semaine, le 9 juin 2022. »
9/ Existe-t-il une procédure de tests des machines à voter préalable à leur utilisation le jour des élections ? Si oui, quelles sont les sociétés qui réalisent ces tests ? Quelles sont les qualifications professionnelles des personnels de ces sociétés pour effectuer lesdits tests ?
« Le test des machines est effectué par Maître JOUTOTTE, Huissier de Justice, assisté de moi-même Madame LEGENDRE et de Madame RAMI. »
Par lettre du 27 juin 2022, Maître LIEURADE a confirmé « que Madame LEGENDRE m'a indiqué m'avoir remis le cahier des charges mais qu'il s'agit en réalité du "règlement technique fixant les conditions d'agréement des machines à voter" ».
Le 16 juin 2022, en vue de la programmation des machines à voter pour le second tour des élections législatives, une liste de question était adressée au maire de Villeneuve le Roi, aux personnes en charge de la programmation des dites machines ainsi qu'à l'huissier constatant.
Lors du premier constat en date du 10 juin, et sur sommation interpellative de Maître LIEURADE, le maire de Villeneuve-le-Roi avait affirmé que :
- La ville de Villeneuve le Roi disposait d'un parc de 15 machines à voter,
- Que ces 15 machines ont été acquises au cours des années 2005, 2006 et 2007.
- Sur 15 machines, seule une défectueuse a été changée au cours de la semaine du 9 juin 2022.
Or, dans un reportage de la chaîne France 3, du 18 avril 2021, réalisé à l'occasion des élections régionales, la ville de Villeneuve le Roi ne disposait que de 12 machines à voter. Ce reportage rappelait qu'il existe aujourd'hui un moratoire de l'Etat empêchant depuis l'année 2008 l'acquisition par les villes de nouvelles machines à voter.
Dans la continuité, Me Protat posait de nouvelles questions au maire, et réclamait le constat d’huissier de la mairie. Elle ne l’a toujours pas reçu à ce jour. De plus, elle s’étonne que la mairie de Villeneuve-le-Roi ne soit pas en mesure de répondre à des questions simples : « Le silence de la mairie de Villeneuve-le-Roi sur cette question est édifiant ».
Plus encore, en violation des principes de sécurité, le conseil de Madame Baptiste a pu constater qu'une intervention avait eu lieu sur une des machines à vote,r le 2 juin 2022, par la société France Election, titulaire du contrat.
Conclusions et demande :
Le fondamental du droit électoral est la sincérité du scrutin et il importe donc que les organisateurs, ici la ville de Villeneuve le Roi, garantissent cette sincérité.
Me Protat explique pour conclure : « Dans la mesure où cette commune est organisatrice du scrutin, elle doit respecter scrupuleusement les dispositions de l'instruction en date du 23 mars 2022, relative à l'utilisation des machines à voter… Or, il a été démontré qu'à l'évidence tel n'est pas le cas. [...] En effet, l'on ne sait pas combien de machines à voter détient la ville de Villeneuve le Roi ! Mais l'on sait en revanche qu'elle laisse sans surveillance particulière les clés des machines à voter (entre et pendant les élections...) dans le tiroir de bureau de la directrice des affaires générales de la ville. Egalement, la ville ne détient pas le livret des interventions qui peuvent être faites sur celles-ci et permet donc leur accès au tout venant. Enfin, la requérante rappelle n'avoir jamais reçu les constats d'huissier de la mairie de Villeneuve-le-Roi des 10 et 17 juin 2022 malgré ses relances. »
D’après elle, « les failles de sécurité humaine mises en évidence dans la présente requête démontrent que la sincérité du scrutin n'a pas pu être sérieusement garantie. » Et d'ajouter : « Ceci est d'autant plus grave que les mécanismes des machines à voter ne permettent pas de recompter les voix ! Et que I'on aboutit à élection dans la 3e circonscription du Val de Marne d'un jeune homme de 21 ans ayant affirmé sur les réseaux sociaux avoir "dealé" de la drogue... »
C’est sur cette base que la requérante a demandé l’annulation de scrutin. Une requête qui parait motivée et étayée de faits concrets. Pour mieux comprendre, Madame Baptise (ci-après MFB) a répondu à nos questions.
Vous avez fait une procédure contre les élections législatives. Pouvez-vous expliquer ce qui a motivé votre action ?
MFB : Mes motivations étaient nombreuses :
- Le non-respect de « l’instruction du 23 mars 2022 relative à l’utilisation des machines à voter à l’occasion des élections législatives des 12 et 19 juin 2022 » dans le cadre des opérations de programmation des machines à voter et de la pose des scellés à la mairie de Villeneuve-le-Roi.
- Des machines à voter semble avoir été acquise par la ville de Villeneuve-le-Roi en 2021 alors que depuis 2008 l’Etat n’agrée plus aucune machine.
- La manière dont s’est passée les opérations de dépouillement dans une ville.
Qu'avez-vous constaté sur le terrain ?
MFB : Mon avocat, Maître PROTAT, et l’huissier que j’avais mandaté n’ont pas obtenu de réponses les 10 et 17 juin 2022 à de nombreuses questions posées dans le cadre d’une sommation interpellative. Et certaines réponses étaient très vagues, notamment en ce qui concerne le lieu de conservation des machines à voter et des clés de ces machines, ainsi que les conditions d’acquisition des nouvelles machines à voter. Aucun justificatif d’achat ne nous a été transmis !
Lors de ces opérations de programmation des machines à voter, l’huissier de justice mandaté par la mairie de Villeneuve-le-Roi n’a pas demandé la signature sur les PV de constat à mon avocat, en sa qualité de ma représentante, or sa signature était nécessaire.
De plus, malgré les relances de mon avocat et de l’huissier, ces deux PV de constat ne nous ont jamais été transmis.
Par ailleurs, j’ai constaté que les résultats des élections législative n’étaient pas affichés ou étaient non accessibles dans beaucoup de bureaux de vote de Villeneuve-le-Roi, en infraction à l’article R67 du code électoral qui impose l’affichage des résultats pour chaque bureau de vote.
Enfin, j’ai assisté au dépouillement d’un bureau de vote qui était le bureau centralisateur d’une des villes de ma circonscription, beaucoup d’éléments m’ayant mis un gros doute sur le futur déroulement du dépouillement. Les opérations de dépouillement ont été très longues, très obscures et les résultats définitifs ont été difficilement établis.
Qu'est ce qui a été de nature à vous pousser à faire cette action ?
MFB : L’existence potentielle d’une fraude sur les machines à voter dans la ville de Villeneuve le Roi suite à la constatation de plusieurs éléments troublants, et notamment sur le fait que nous ne connaissons pas le nombre exact des machines à voter et qui est en possession des clés des machines à voter.
En effet, une déclaration faite lors de la convocation du 10 juin 2022 à l’huissier que j’avais mandaté selon laquelle la ville de Villeneuve-le-Roi dispose de 15 machines à voter, était contradictoire à un rapport d’information du Sénat de 2014 et à une information rendue publique lors d’un reportage sur France 3 du 18 avril 2021 réalisé à l’occasion des élections régionales où il était précisé que la ville disposait de 12 machines à voter.
De plus, depuis 2008, un moratoire de l’Etat interdit toute acquisition de nouvelles machines.
Quelles étaient les bases juridiques de votre action devant le Conseil constitutionnel ?
MFB : Ma requête tendant à l’annulation des opérations électorales se base sur le principe de sincérité des opérations de vote et sur la transparence des élections.
En effet, il existe une fraude potentielle compte tenu que la ville a acquis 3 nouvelles machines depuis 2021, que nous ne connaissons pas les conditions dans lesquelles ces nouvelles machines à voter ont été acquises malgré le moratoire de 2008, que les clés des machines à voter sont gardées dans un bureau de la Mairie donc dans un lieu non sécurisé, compte tenu également de la non transmission des deux Procès-Verbaux de constat de l’opération de configuration des machines et de pose des scellés par l’huissier de la Mairie de Villeneuve-le-Roi malgré nos nombreuses demandes.
En conséquence, l’existence de machines à voter supplémentaires depuis 2021 nuit gravement au bon déroulement des opérations électorales et porte atteinte au principe de sincérité du scrutin.
Le Conseil rejette votre requête en expliquant que vous n'avez pas amené les éléments probants. Vos commentaires ?
MFB : Le Conseil Constitutionnel a rejeté ma requête de manière très laconique. Je trouve la décision scandaleuse. Cette décision du 5 août 2022 n’est pas motivée juridiquement : aucune base juridique ni argument ne sont donnés pour rejeter ma requête alors que j’ai apporté de nombreuses pièces en preuves à l’appui de mes allégations sur les irrégularités constatés dans le cadre de l’utilisation des machines à voter dans la ville de Villeneuve-le-Roi telles que des PV d’huissier, des relances auprès de l’huissier mandaté par la Mairie de Villeneuve-le-Roi pour obtenir le PV de constat, etc..
Le Conseil constitutionnel rejette le recours sans avoir fixé d’audience pour plaider l’affaire alors que selon mon avocat l’affaire nécessitait un contradictoire. Je me demande vraiment si le Conseil constitutionnel lit les requêtes et les pièces annexées qui lui sont transmises, ou si toutes les requêtes sont rejetées d’office sans étude.
Que comptez-vous faire ?
MFB : S’agissant des opérations électorales en France, la compétence du Conseil constitutionnel est très large puisqu’il est à la fois le juge du déroulement matériel du scrutin, du dépouillement et du décompte des voix. Ceci peut le conduire, lorsqu’il constate une irrégularité ou une fraude susceptible d’avoir une incidence significative sur l’issue du scrutin, à réformer les résultats et, le cas échéant, à annuler l’élection.
Or dans le cas présent, il existe plusieurs irrégularités flagrantes susceptible d’avoir une incidence significative sur l’issue du scrutin : des machines à voter mystères acquises en 2021 qui peuvent modifier à grande échelle le résultat du scrutin.
En droit français, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas susceptibles de recours. Ainsi, le Conseil constitutionnel décide ce qu’il souhaite et aucun appel n’est possible, il a tous les droits et aucun devoir !
Compte tenu de ce rejet, j’envisage de porter ce contentieux au niveau européen et je m’interroge sur la responsabilité personnelle des membres du Conseil constitutionnel, qui refusent de juger l’affaire et de convoquer les parties à une audience.
ANNEXES
1 - Procédure de contestation et compétence
Il est prévu que « L'élection d'un député ou d'un sénateur peut être contestée devant le Conseil constitutionnel jusqu'au dixième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection, au plus tard à dix-huit heures. [...] Le droit de contester une élection appartient à toutes les personnes inscrites sur les listes électorales ou les listes électorales consulaires de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l'élection ainsi qu'aux personnes qui ont fait acte de candidature ». (article 33 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958).
En cas de contestation sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs, il revient au Conseil constitutionnel de statuer.
2 – Décision du Conseil constitutionnel
3 – Requête complète
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