Syrie : les djihadistes d'Hayat Tahrir al-Cham mettent en scène leurs combats au nord d'Hama

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 13 avril 2017 - 17:44
Mis à jour le 14 avril 2017 - 20:58
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Hayat Tahrir al-Cham coalition djihadistes syrie al-nosra combats hama regime de damas
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©Omar Haj Kadour/AFP
Hayat Tahrir al-Cham continue au mois de mars à mener des opérations offensives, comme ici contre le village de Maardes près d'Hama.
©Omar Haj Kadour/AFP
Formée fin janvier, la nouvelle coalition de la rébellion syrienne Hayat Tahrir al-Cham (HTC), qui comprend des groupes djihadistes et salafistes, a lancé plusieurs offensives de grande ampleur sur différents fronts du territoire syrien en appui de l'Armée syrienne libre (ASL) à la mi-mars. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, présente, en partenariat avec "FranceSoir", une vidéo de propagande du groupe djihadiste qui met en scène ses combats au nord d'Hama en Syrie.

Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est la nouvelle coalition bâtie en janvier 2017 autour de l’ex-branche d’al-Qaïda en Syrie, le front al-Nosra, qui en est en théorie "sorti" pour devenir Jabhat Fateh al-Cham en juillet 2016. La coalition regroupe autour de cette dernière organisation la faction la plus dure du groupe salafiste Ahrar al-Cham, qui a fait défection pour rejoindre HTC (qui est d’ailleurs commandé par son chef Abou Jaber, et non par Abou Jolani, le chef de l’ex-front al-Nosra), par des groupes djihadistes gravitant autour de Jabhat Fateh al-Cham, mais aussi par d’autres groupes rebelles opérant depuis plus ou moins longtemps de concert avec la branche syrienne d’al-Qaïda. Ce nouveau groupe djihadiste devient donc un des acteurs les plus puissants de l’insurrection syrienne.

Dès le mois de février, HTC, pour redresser le moral des rebelles abasourdis par la chute d’Alep en décembre 2016, lance plusieurs opérations spectaculaires qui fournissent également l’occasion de doper sa propagande et de promouvoir son lancement comme nouvelle coalition sur le terrain. Le 12 février, le groupe djihadiste est à la manœuvre dans une grande offensive à Deraa, ville du sud de la Syrie où avait commencé la révolution en 2011, coupée en deux entre les rebelles et le régime. Plusieurs véhicules kamikazes sont expédiés pour ouvrir l’assaut.

HTC collabore avec d’autres groupes comme Ahrar al-Cham, avec lequel les relations ne sont pourtant pas des meilleures, Jaysh al-Islam, autre formation salafiste, mais aussi des groupes liés à l’Armée syrienne libre (ASL). Le 25 février, un commando de cinq inghimasiyyi (fantassins avec ceintures d’explosifs) pénètre dans la ville de Homs et attaque les hommes de la Sécurité nationale et de la Sécurité militaire, deux organismes de renseignement du régime. Ils font sauter leurs ceintures d’explosifs, tuant au moins 40 personnes, dont le général Hassan Daabul, de la Sécurité Nationale, et en blessant 50.

Hayat Tahrir al-Cham continue au mois de mars à mener des opérations offensives. Le 11 mars, deux kamikazes se font exploser à Damas, tuant des dizaines de pèlerins chiites que l'organisation salafiste présente comme des miliciens irakiens ou iraniens. Le 19 mars, les djihadistes lancent une offensive dans les quartiers-est de Damas, avec Faylaq al-Rahman (lié à l’ASL), de nouveau Ahrar al-Cham, en utilisant de nouveau des véhicules kamikazes pour ouvrir la voie.

Enfin, le 21 mars, HTC est en pointe de la grande offensive lancée au nord de Hama, ville très symbolique tenue par le régime. L’occasion, aussi, de mettre en avant sa nouvelle agence de propagande, Ebaa News. 

Logo de la nouvelle agence de propagande d'HTS, Ebaa News.

Là encore, des véhicules kamikazes sont envoyés en avant pour ouvrir l’assaut. A cette offensive contribue aussi le Parti islamique du Turkistan, Ahrar al-Cham qui s’engage quelques jours après le début de l’attaque, et des groupes de l’ASL comme Jaysh al-Izza, très impliqué dans cette opération. Le régime syrien doit dépêcher en urgence des renforts sur ce front, les rebelles progressant dangereusement au nord de Hama, approchant à moins de 10 km de la ville. La milice chiite irakienne Harakat Hezbollah al-Nujaba, qui combat depuis 2013 en Syrie, expédie des combattants sur place dès le 24 mars. Des Iraniens sont également présents: deux membres de la Basij, une force composée de volontaires entraînés par les forces terrestres des Pasdarans (Gardiens de la Révolution iraniens), sont tués dans les premiers jours de combat.

Situation au 24 mars, après trois jours d'offensive rebelle (carte pro-régime). HTS et les rebelles, en vert, sont à moins de 10 km de Hama. Source: @PetoLucem

Le 31 mars, Qassem Soleimani, chef de la force al-Qods des Pasdarans, se déplace sur la ligne de front de Hama; trois Iraniens supplémentaires sont déclarés tués au combat, ils appartenaient à la 19ème Fajr Operations Division de la province de Fars en Iran. Des éléments des Tiger Forces du colonel Hassan, qui combattent alors à l’est d’Alep contre l’Etat islamique, sont aussi déployés au nord de Hama. La situation se stabilise de par l’arrivée de ces renforts du régime, bien appuyés par l’aviation syrienne et russe.

Maardes, une petite localité à 12,5 km au nord de Hama, a été capturée par Hayat Tahrir al-Cham dès le début de l’offensive, le 23 mars au plus tard (le village est annoncé pris le 22 ce qui est contesté par le régime). Une contre-attaque des forces du régime reprend la localité le 3 avril. Le lendemain, 4 avril, jour de l’attaque chimique à Khan Sheykhoun, HTC lance une contre-attaque spectaculaire sur le village, qui est l’occasion d’une vidéo de propagande bien ficelée. Le village se trouve sur l'autoroute M5 qui traverse la Syrie du nord au sud, de Deraa à Alep en passant par Damas et Hama. A 4 km au sud de Maardes se trouve le mont Zayn al-Abdeen, position stratégique qui domine la ville de Hama, où le régime a massé d'ailleurs son artillerie.

Carte de situation pro-rebelle au 5 avril. En bleu, la reconquête de Maardes le 4 avril, le village change de main pour la troisième fois depuis le 21 mars.

Une vidéo montre les préparatifs de l’attaque. Les djihadistes font tirer un canon M-46 de 130 mm et un canon D-30 de 122 mm, ainsi qu’un Land Cruiser portant en ZPU-4 (affût antiaérien quadruple de 14,5 mm) qui ouvre le feu en tir tendu. Une colonne mécanisée part de Souran, le village juste au nord, pour descendre sur Maardes: un char T-90 (que le front al-Nosra avait capturé sur le régime à al-Eis, au sud d’Alep, en avril 2016), deux BMP-1, un Land Cruiser avec blindage artisanal de renfort pour le transport de troupes. Une autre vidéo montre la fuite des combattants du régime de Maardes, alors que le char T-90 et les deux BMP-1 tentent de leur couper la route vers le sud.

Un canon D-30 (122 mm) d'HTS appuie l'offensive sur le village de Maardes.

Une douzaine de véhicules du régime s'enfuient par le sud de Maardes en rejoignant l'autoroute M5; les fantassins suivent à pied (ligne en pointillés); le T-90 et les deux BMP-1 tentent de couper la retraite des véhicules adverses en passant plus à l'est.

La vidéo de propagande qui montre l'assaut sur Maardes a été mise en ligne le lendemain, le 5 avril. Le char T-90 ouvre la voie en arrivant de la route reliant Maardes à Souran, le village immédiatement au nord contrôlé par les djihadistes. Visé par des tirs, il sort de la route et file vers l'est pour traverser une voie de chemin de fer perpendiculaire au village. Une fois celle-ci passée, le T-90 expédie deux obus sur une position défensive du régime à la lisière nord du village (un encart montre les combattants du régime abandonner cette position), et un autre obus à l'intérieur de celui-ci; il est toujours visé par des tirs dont on voit les explosions au sol autour de lui. Deux BMP-1 et le Land Cruiser blindé transport de troupes suivent le même chemin que le char et débarque l'équivalent d'une section (30 à 40 hommes) qui prend position aux lisières nord du village, avant de pénétrer à l'intérieur de celui-ci sur trois axes parallèles (trois groupes de combat d'une dizaine d'hommes). Les fantassins sont probablement les troupes de choc du groupe salafiste: plusieurs ont des viseurs optiques et des lance-grenades sur leurs fusils d'assaut AK, ils portent un brassard orange d'identification pour éviter les tirs fratricides. Le combat se déplace dans la rue perpendiculaire du village juste au sud: les véhicules et les fantassins d'HTC  sont pris sous des tirs (on observe un troisième BMP-1 du groupe dans le village). L'action est successivement filmée par drone, puis au ras du sol avec caméra GoPro montée sur un combattant. Ces dernières montrent deux corps de combattants du régime, un dans un bâtiment en ruines, l'autre en pleine rue.

Les principaux moments de la vidéo d'HTS sur l'assaut de Maardes résumés sur la carte.

La reconquête de Maardes le 4 avril par Hayat Tahrir al-Cham est donc exploitée par le groupe à des fins de propagande, avec une mise en scène élaborée, mettant à profit les drones et les caméras "embarquées" sur fantassin, façon désormais classique de filmer l'action depuis au moins l'année dernière pour l'ex-front al-Nosra. Le régime syrien reprend finalement Maardes le 11 avril, après un jeu violent d'attaques et de contre-attaques.

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