Ankara remet le sujet des écoles françaises en Turquie sur la table et dénonce “l’arrogance” de Paris, déterminée à “poursuivre les négociations”
Nouvelles tensions entre Paris et Ankara. Cette fois-ci, ce n’est lié ni à la guerre en Syrie, ni au passé colonial de la France ou le génocide arménien. Les écoles françaises dans la capitale turque et à Istanbul ouvrent une nouvelle passe d’armes entre les deux pays. Le gouvernement de Recip Tayyip Erdogan menace de fermer ces établissements qui accueillent quelque 2 400 élèves, exigeant un accord bilatéral qui devrait énoncer une “réciprocité”, c’est-à-dire des écoles turques en France. Les autorités turques de l’Education ont adressé cette semaine une “note verbale” à l’ambassade, posant un ultimatum à Paris, dont “l’arrogance” n’aurait pas permis de trouver une solution selon Ankara.
C’est là un vieux sujet qui refait surface. En 2020, les relations entre la Turquie, la France et l’Union européenne (UE) étaient tendues. Les explorations gazières turques dans des zones maritimes revendiquées par la Grèce et Chypre ont exposé le pays à des sanctions tandis que Le Courbet, une frégate française patrouillant au large de la Libye dans le cadre d’une mission de l’OTAN, était menacée par un navire turc militaire. En septembre de la même année, une campagne médiatique ciblait les écoles françaises dépendant de l’ambassade dans ce pays eurasiatique.
Pas d’accord pour cause “d’arrogance” française ?
Plusieurs articles remettaient alors en cause le statut des lycées Charles-de-Gaulle à Ankara ainsi que Pierre-Loti à Istanbul. La presse turque martelait que ces établissements ne bénéficiaient d’aucune existence légale aux yeux de la loi locale et Paris rétorquait que ces lycées étaient bien soumis à la législation française.
Une première tentative de discussions sur le fâcheux sujet remontait à quelques années et Ankara exigeait déjà le contrôle des écoles, de leur manuels scolaires, leurs leçons sur le “soi-disant génocide arménien” ou encore la supervision de ces établissements. “Ces écoles ont été créées pour les enfants des employés des missions diplomatiques, mais elles ont commencé à accepter des élèves turcs. C'est contraire à la loi”, a dénoncé samedi 13 juillet le ministre de l’Education, Yusuf Tekin.
La Turquie ne reconnaît ainsi pas les deux lycées, qui “violent” la législation. “Il existe 12 écoles étrangères, françaises, allemandes et italiennes. Nous ne leur posons aucun problème puisque nous nous y sommes engagés à Lausanne (...) Mais il est intéressant de noter que la France a ouvert deux écoles supplémentaires en Turquie, agissant d'une manière qui n'est pas incluse dans ces lettres, et qui convient uniquement aux pays colonisés”, détaille-t-il encore. “Bien qu'ils aient déclaré lors de l'ouverture qu’ils n’acceptaient que des Français, actuellement, 90% des étudiants sont des citoyens turcs”.
Le 2 juillet dernier, l’ambassade de France a alors reçu une “note verbale” à l’allure d’un ultimatum de la part des autorités d’Ankara. Si aucun accord bilatéral n’est signé, les deux écoles ne pourront plus accepter des enfants turcs dès la prochaine rentrée. Ceux qui sont en cours de scolarité devront être transférés vers des écoles locales.
“Il faut conclure un accord bilatéral (...) et le problème sera résolu, mais ils n'en veulent pas non plus”, regrette Yusuf Tekin, qui accuse les Français d’être “arrogants”. “C'est pourquoi nous n'avons pas encore trouvé de solution”, poursuit-il dans une interview accordée à un journal turc.
Une délégation française est attendue à Ankara pour aboutir à un accord. Isabelle Dumont, ambassadrice de France dans la capitale turque a réagi, rappelant que “ces écoles ont énormément apporté à la relation bilatérale franco-turque depuis des décennies (...) Nous sommes plus déterminés que jamais à poursuivre les négociations avec la ferme intention de les voir aboutir”, affirme-t-elle.
Les matières religieuses suscitent la réticence de Paris
Cet accord bilatéral souhaité par Ankara et qui suscite visiblement les crispations de Paris énoncerait la “réciprocité” souhaitée par la Turquie. “Venez, rendons ces écoles légitimes et en échange, nous aurons certaines demandes pour les citoyens turcs de France. Tu refuses les demandes de nos citoyens ? Tu empêches les cours de turc et de culture turque ? Bien, nous avons envoyé un courrier officiel pour leur dire qu'ils ne pourront plus admettre d'élèves turcs dans ces écoles”, ajoute le ministre de l’Education.
Et d’ajouter : “Nous ne ressemblons pas aux pays que vous avez colonisés, nous sommes un État indépendant et national ! Si vous voulez fournir un enseignement ici, vous devez vous plier à nos conditions”.
Parmi celles-ci figurent la mise en place de programmes scolaires “se rapprochant” de ceux enseignés dans les écoles turques, “pour au moins quelques matières”. Et selon le même ministre, les rumeurs selon lesquelles Anakara souhaiterait imposer des cours de religion ne sont qu’un “mensonge flagrant” et une “désinformation immorale”. Ces affirmations, relayées par la presse, interviennent après la présentation en juin, par le président Erdogan, d’un nouveau programme axé sur les valeurs familiales et l’ordre moral, que les syndicats d’enseignants dénoncent comme étant “réactionnaire” et “contraire à la laïcité, à la science et à l’enseignement démocratique”.
Il s’agirait plutôt, selon la Turquie, de suivre des matières adaptées, comme la géographie, dans la langue natale des enfants. Il semblerait, selon la presse française, que Paris était prête à appliquer des parcours intégrés comme c’est déjà le cas dans d’autres pays. Néanmoins, la pression et le ton employé par les autorités d’Ankara ont refroidi les Français.
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