Antoine Deltour, un discret comptable français à l'origine des LuxLeaks
Il a fait trembler le Luxembourg en divulguant des documents fiscaux confidentiels. L'histoire du Français Antoine Deltour illustre le calvaire vécu par les lanceurs d'alerte, qu'un texte examiné mercredi par les députés français doit à l'avenir protéger.
"Il y a une asymétrie de moyens considérables, les lanceurs d'alerte sont généralement des citoyens isolés face à des intérêts financiers extrêmement puissants", constate rétrospectivement M. Deltour, dans un entretien à l'AFP.
En 2008, ce natif d'Épinal, dans l'est de la France, est embauché en tant qu'auditeur par la prestigieuse multinationale de conseil en entreprise, PricewaterhouseCoopers (PwC) au Luxembourg.
"J'étais ravi de travailler. J'ai signé un CDI à 22 ans", venant d'une région très fortement touchée par le chômage, se rappelle cet homme discret, lunettes sombres et petite barbichette, aujourd'hui âgé de 35 ans. Quand il commence à travailler au Luxembourg, il sait qu'il y a de l'optimisation fiscale.
"Ce n'est pas un secret. Mais, je croyais vraiment à l’utilité sociale de mon travail. En tant qu'auditeur, on est là pour garantir la fiabilité des données financières. Et cela me paraissait utile, quel que soit le contexte", se souvient-il.
Or, progressivement, il prend conscience de l'ampleur de pratiques donnant "l'impression que chaque multinationale opérant en Europe a sa filiale au Luxembourg pour y transférer des bénéfices et quasiment ne pas les taxer" sur place.
Le fameux système de "tax rulings", ces accords fiscaux entre le Luxembourg et de grandes multinationales permettant à ces dernières de minimiser leurs impôts à l'aide de filiales.
"Il y avait une forme de complaisance de l'administration fiscale proprement scandaleuse et entourée d’une forte opacité", dit-il aujourd'hui.
Il décide de démissionner en 2010, mais avant de partir, il copie des centaines de "tax rulings" sur le disque dur de son ordinateur.
- "Érigé en héros" -
Il partage son indignation sur les réseaux sociaux, ce qui le fait repérer par des journalistes.
Il finit par confier ses documents au magazine télévisé Cash Investigation de la chaîne publique France 2 qui diffuse l'enquête en 2012. Pour son ancien employeur PwC, qui retrouve rapidement sa trace, il devient l'homme à faire tomber. Deux ans plus tard, il est placé en garde à vue, son domicile est perquisitionné.
"Le ciel me tombe sur la tête, je suis seul, je n’ai pas d'avocat, c'est un moment difficile", confie-t-il aujourd'hui. Mais rapidement, sa défense s'organise.
Il sort de l'anonymat. "La dimension publique peut être protectrice et permet de mobiliser les soutiens", explique-t-il.
Le scandale de ce que l'on va désormais appeler les "LuxLeaks" éclabousse le président d'alors de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui fut auparavant ministre des Finances et Premier ministre du Luxembourg.
M. Deltour, qui dit ne pas trop aimer "se mettre en avant", devient une figure de la lutte contre l'évasion fiscale.
"Je suis érigé en héros, ce qui est excessif, pour mettre en avant le combat contre la directive européenne sur le secret des affaires, pour renforcer la protection des lanceurs d'alerte par la loi dite Sapin II de 2016" - portée par Michel Sapin, ancien ministre des finances du président socialiste François Hollande-, raconte-t-il.
En 2015, le parlement européen lui décerne le Prix du citoyen européen.
Son premier procès devant la justice du Luxembourg s'ouvre en avril 2016. Il encourt alors jusqu'à dix ans de prison.
Son calvaire judiciaire s'arrête en mai 2018 avec la décision de la Cour d'appel du Luxembourg de suspendre sa peine de six mois de prison avec sursis et 1.500 euros d'amende.
Il peut alors renouer avec la discrétion. Après avoir quitté PwC, il avait passé des concours de la fonction publique française et est actuellement chargé du recensement de la population à l'Institut national des statistiques dans le Grand Est.
"J'aurais certainement des difficultés si je recherchais du travail aujourd'hui dans l'audit au Luxembourg", constate-t-il sans ironie.
Ce père de deux enfants se félicite désormais du "luxe de pouvoir retourner à une vie simple", à Épinal, où il est né.
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