Attentat à Bangkok : les différentes pistes des enquêteurs
Le cœur de la Thaïlande a été frappé lundi 17 par un attentat à la bombe qui a touché un quartier touristique de sa capitale Bangkok. La bombe a explosé vers 19h, heure locale (14h, heure de Paris) en plein centre de la ville dans le quartier de Chidlom, à proximité du sanctuaire hindouiste d'Erawan et de plusieurs centres commerciaux. La puissance de la déflagration a fait plusieurs victimes, au moins 21 morts selon un bilan encore provisoire annoncé ce mardi matin par la police thaïlandaise. Il y a également plus de 120 blessés à des degrés très divers. Ce mardi 18, ce qui semble être une grenade a été lancée depuis un pont vers une jetée, manquant sa cible, ne provoquant aucun dégât et ne faisant aucune victime.
Les autorités thaïlandaises ont également annoncé ce mardi 18 être à la recherche d'un suspect. L'homme aurait été identifié sur les images des caméras de surveillance, nombreuses dans le quartier très touristique où a eu lieu l'attaque.
Si l'attentat n'a pas encore été revendiqué, plusieurs pistes sont envisagées, qui pourraient mener à l'identité des commanditaires de cette sanglante attaque.
> L'opposition politique thaïe, les "Chemises rouges"
C'est pour l'heure la thèse officielle avancée par les autorités thaïlandaises. L'attentat serait le fait de membres de l'opposition politique du Front national uni pour la démocratie et contre la dictature (UDD), surnommés les "Chemises rouges". Ce groupe, dont le bastion se trouvent dans le nord-est du pays, est vivement opposé à la junte militaire qui dirige actuellement le pays depuis mai 2014. En effet, deux gouvernements dirigés par ce mouvement ont été destitués par l'armée en 2006 et en 2014.
Le 19 septembre 2006, le Premier Ministre Thaksin Shinawatra, magnat des télécoms, est renversé par un coup d'Etat militaire, la junte qui lui reprochait des malversations financières le contraignant à l'exil. En 2011, les "Chemises rouges" reviennent au pouvoir avec l'élection au poste de Premier ministre d'Yingluck Shinawatra, sœur cadette de Thaksin. Toutefois, celle-ci doit faire face à une forte opposition des milieux conservateurs (les "Chemises jaunes") soutenus par les élites de Bangkok et des grandes villes (Palais royal, armée, hauts fonctionnaires, milieux d'affaires, classe moyenne supérieure...) qui lui reprochent de vouloir faire passer une loi d'amnistie qui permettrait le retour d'exil de son frère. Cette instabilité politique provoque de grandes manifestations de l'opposition à Bangkok de la part des "Chemises jaunes" et des affrontements avec les "Chemises rouges" qui conduisent à un nouveau coup d'Etat militaire en mai 2014, avec le soutien tacite du roi Bhumibol Adulyadej, 87 ans. Yingluck Shinawatra est démise de ses fonctions par la Cour constitutionnelle, sous pression de la junte militaire. Depuis, le pays vit sous la loi martiale instauré par les militaires au pouvoir qui oppriment l'opposition et notamment les "Chemises rouges".
Ce harcèlement a amené à une radicalisation d'une partie des "Chemises rouges", partie surnommée par les médias les "Chemises noires" et dont les membres ont à leur actif des attaques contre des policiers et des magistrats thaïlandais. Néanmoins, l'attentat de lundi ne représente aucun objectif politique et risquerait de faire perdre aux "Chemises rouges" une partie de leurs soutiens populaires qui s'offusquerait d'une attaque contre un édifice religieux.
> Terrorisme islamique intérieur
Fait méconnu, la Thaïlande est aux prises avec une rébellion séparatiste musulmane dans le sud du pays (provinces de Narathiwat, Pattani, Satun, Songkhla et Yala). Ce conflit larvé a fait près de 6.000 morts depuis ses débuts dans les années 60. Il met aux prises le pouvoir en place avec plusieurs mouvements indépendantistes, majoritairement malais et musulmans. Toutefois, cette rébellion, actuellement confrontée à plus de 30.000 soldats du régime, n'a jamais frappé en dehors des provinces du sud du pays, proches de la frontière avec la Malaisie. Le porte-parole de la junte a d’ailleurs précisé que la bombe qui a explosé lundi à Bangkok ne ressemblait en rien au genre d’explosifs utilisés par les activistes du Sud.
> Terrorisme islamique extérieur
La piste d'un mouvement terroriste extérieur au pays est également envisagée. La Thaïlande a récemment mené une politique d'expulsion de certaines minorités musulmanes. Le pays a rejeté des milliers de musulmans Rohingyas vers le Myanmar (Birmanie) alors que cette minorité y est persécutée; des centaines d'autres ont été abandonnés dans des embarcations de fortune dans le Golfe de Thaïlande.
Les autorités thaïlandaises ont aussi récemment renvoyé des Ouïghours (minorités turcophones musulmane) en Chine. Ceux-ci risquent pourtant d'être torturés et exécutés sur fond de rébellion contre le pouvoir central chinois. Les Ouïghours demandant l'indépendance du Xinjiang (nord-est de la Chine), ce à quoi Pékin répond par une violente répression et une politique de colonisation et d'assimilation forcée (comparable à celle que subit le Tibet).
Il faut également noter que la Thaïlande a pris position, comme tous les Etats membres de l’Association des nations de l’Asie du sud est (ASEAN), contre l'Etat islamique en mars. Mais le groupe terroriste n’a jamais commis d’attentat dans cette région du monde.
> Lutte de pouvoir au sein de la junte
Si les militaires au pouvoir en Thaïlande semblent afficher un front uni -et leur allégeance au roi, figure vénérée dans le pays-, des dissensions existent entre les différents courants. Une frange extrémiste de la junte souhaiterait un durcissement du régime envers l'opposition. Un attentat attribué aux "Chemises rouges" serait un parfait alibi pour justifier une répression encore plus violente de la part de la junte et un durcissement de la loi martiale. D'autant que beaucoup de militaires se posent la question de la succession du roi, le souverain installé depuis le plus longtemps au pouvoir dans le monde (plus de 69 ans), aujourd'hui âgé de 87 ans et à la santé fragile.
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