Bataille de Mossoul : acculé dans les quartiers ouest, Daech fait marcher sa propagande à plein régime
Le 18 mars 2017, l'Etat Islamique met en ligne la neuvième vidéo de la wilayat Ninive sur la bataille de Mossoul, la première sur les combats à l'ouest de la ville. D'ordinaire, l'EI laissait deux à trois semaines entre ses vidéos sur la bataille. Or ici la dernière vidéo à Mossoul remontait au 14 février. Il s'est donc écoulé plus d'un mois. Cependant, par son contenu, cette vidéo de 35 minutes est plus qu'intéressante sur les tactiques et l'armement employés par Daech dans les quartiers ouest de Mossoul. C'est sans doute bien l'effet que recherchait l'organisation.
L'introduction de la vidéo donne le ton: après un panorama de Mossoul-ouest où on reconnaît le fameux minaret al-Hadba (le bossu) de la mosquée al-Nouri (celle-là même où Baghdadi avait appelé les musulmans le 4 juillet 2014, à lui prêter hommage comme calife après la déclaration du califat le 29 juin précédent). On voit les djihadistes manipuler toute une série d'armes: canon sans recul SPG-9 port à l'épaule, fusil de sniper rudimentaire bricolé à partir d'un tube antiaérien (ici sans doute de 12,7 mm ou 14,5 mm, avec système de visée sommaire et frein de bouche), lance-roquettes RPG-7, mitrailleuse PK... Surtout, l'EI montre un nouveau lance-roquettes individuel qui ne correspond à aucun matériel de prise ni aucun autre exemplaire connu. Il y a fort à parier que c'est un montage propre de l'organisation, peut-être à partir des nombreux AT-4 capturés sur l'armée irakienne et d'un Carl Gustav.
L'EI montre un lance-roquettes inconnu jusqu'ici, que l'on peut également observer dans une vidéo Amaq. Il est fort probable que l'EI l'ait fabriqué à partir de modèles de prise.
Daech montre aussi un technical (Tacoma avec KPV protégé par un bouclier) rouler et faire feu dans une rue masquée par un dais qui protège ainsi le véhicule de l'observation aérienne. La tactique a été utilisée dès avant la bataille de Mossoul mais on voit qu'elle se maintient. Parmi les véhicules kamikazes montrés dans cette introduction, on note ce tracteur recouvert de plaques de blindage, et ce véhicule jaune qui se jette contre des Humvees (il y a de nombreux véhicules de cette couleur à Mossoul; l'EI cherche à jeter le doute jusqu'au dernier moment sur l'identité du véhicule kamikaze). L'Etat islamique déploie aussi des pièces d'artillerie (D-30, 122 mm; M-46, 130 mm; S-60, 57 mm antiaérien) montées sur camion et abritées pour l'appui-feu. Pour la première fois également, la propagande du groupe terroriste montre les tunnels et installations souterraines qui ont joué un rôle si important dans la défense de Mossoul: on y voit les combattants en prière ou lisant le Coran.
Un Tacoma avec KPV protégé par un bouclier (14,5 mm) ouvre le feu protégé par un dais qui recouvre la rue. Façon habile pour l'EI de dissimuler ses mouvements, de jour, à l'observation aérienne.
Dans le registre des armes inédites, l'EI présente aussi une paire de canons sans recul SPG-9 attachés ensemble, avec un tir à déclenchement électrique. Le combattant charge les canons avec des obus PG-9V ou dérivés. Le pointage des canons se fait avec une manette de console et l'observation des positions adverses avec une caméra sans recul de voiture. On peut voir ensuite un tandem sniper/observateur avec fusil iranien anti-matériel AM 50 de 12,7 mm, arme déjà vue de snipers à Mossoul-est.
Un montage inédit: une paire de canons sans recul SPG-9 à déclenchement électrique, observation avec caméra sans recul de voiture, pointage avec manette de console.
L'EI filme également, avec un drone, une passe de tir d'un hélicoptère irakien Mi-28, mais aussi l'emploi probable par la coalition de munitions au phosphore blanc. Plus intéressant, il réinsère une séquence tournée par la chaîne kurde Rudaw. Autour du 15 mars, celle-ci suivait une unité de l'Emergency Response Division (ERD, une unité de contre-terrorisme dirigée par le ministère de l'Intérieur irakien) qui essayait de tendre un rideau au travers d'une rue près de l'hôtel Assyria pour faciliter la traversée des fantassins (tactique que Daech met également en œuvre en combat urbain). Un obus de mortier explose et libère un gaz (chlore?) qui fait vomir et suffoquer les combattants irakiens. Cela semble confirmer l'emploi ponctuel de munitions au gaz par le groupe.
Un obus de mortier rempli de gaz (chlore?) explose devant la caméra de Rudaw qui suit une unité de l'ERD dans le quartier de Bab-el-Tob.
Cette vidéo comprend également de nombreux véhicules kamikazes: 19 en tout, dont 14 se font exploser devant la caméra d'un drone. Au moins 16 noms sont donnés, dont au moins 12 sont irakiens; il y a un Tchétchène et probablement un Ouïghour. Le premier kamikaze qui apparaît est un dentiste âgé qui se fait exploser contre des véhicules irakiens fin janvier, après la chute des quartiers est et avant le début de la bataille à l'ouest donc. La séquence montrant le quatrième kamikaze confirme qu'une des tactiques utilisées pour contrer ces véhicules, placer des voitures en travers des rues, ne fonctionne pas toujours. La plupart des attaques de la vidéo ne concernent pas Mossoul-ouest mais sont plus anciennes: elles remontent à la période suivant la chute des quartiers orientaux, voire les combats pour ceux-ci.
Le quatrième kamikaze de la vidéo arrive à glisser son véhicule dans la rue en poussant les voitures mises en travers pour lui bloquer le passage.
L'Etat islamique montre également, chose rare, un de ses inghimasiyyi (troupes de choc avec gilets explosifs). Cet Irakien jette d'abord une grenade ou une charge explosif dans un char M1 Abrams, avant de se faire sauter à côté d'un Humvee situé non loin. Il est très rare que l'EI filme l'explosion de ses inghimasiyyi, même si c'est le cas de ses adversaires. En combat urbain, Daech continue d'utiliser de petits groupes de combattants (7-10 hommes) lourdement armés: fusils d'assaut, mitrailleuse PK, lance-roquettes antichar RPG-7 (ou sa copie chinoise le Type 69). On voit aussi une mitrailleuse M240 prise à l'armée irakienne utilisée à la place de PK. Un tireur RPG-7 incendie un véhicule de la police avec une charge tandem.
Tireur RPG-7 de l'EI avec charge tandem, qui va incendier un véhicule de la police irakienne (M1117?).
Sur les véhicules kamikazes, on distingue une nouveauté apparue au bout de quelques jours de combat à l'ouest: la coque de blindage artisanale comprend la peinture de fausses fenêtres et de fausses roues pour tromper là encore l'adversaire jusqu'au dernier moment, afin de faire passer le VBIED pour un véhicule normal à distance. Dans un cas, l'EI montre l'emploi de deux véhicules kamikazes ensemble: le premier explose contre un Humvee qui barre la route vers un parc d'engins de l'armée irakienne, visé par le deuxième véhicule kamikaze. Parmi les candidats au martyr, on trouve plusieurs adolescents. L'un d'entre eux est un Yézidi, dont le discours est sous-titré dans la vidéo. Son père, originaire du Sinjar, était dans la police fédérale à Mossoul. Après la chute de la ville en 2014, il a rejoint Erbil, mais son fils est resté et a rejoint l'Etat islamique. Il se fait exploser contre un Humvee. Dans le cas du kamikaze tchétchène, on voit encore les limites d'une autre tactique anti-véhicules kamikazes: les cratères creusés par les bombes d'avions sur les routes. Il y a aussi quelques combattants handicapés, car blessés, parmi les kamikazes. L'un d'entre eux, dans un tournant, à l'arrêt, échappe au tir d'un lance-roquettes depuis un toit, avant d'exploser contre une concentration de véhicules.
Deux véhicules kamikazes se suivent et vont opérer en tandem: le premier détruit un véhicule barrant la voie à une concentration de véhicules visée par le deuxième engin.
L'EI montre de nouveau l'utilisation de drones armés. Un de ses drones en vol filme un drone utilisé par la coalition. On voit un combattant lancé contre ce qui semble être de nouveau un Skywalker X7/8, comme dans la vidéo du 24 janvier. L'engin porte quatre munitions, deux sous chaque aile: toujours des grenades de 40 mm pour Mk 19 modifiées par les djihadistes pour cet emploi. Les commandants de l'organisation terroriste, sur écran, avec les images fournies par le drone et un logiciel d'imagerie satellite, peuvent ainsi coordonner les frappes et attaques au sol. Dans la vidéo, les huit frappes de drones armés semblent être des images anciennes (l'une date de début février, avant donc les combats à l'ouest de Mossoul).
Un combattant de l'EI lance un drone Skywalker X7/8.
Le groupe confirme aussi les dépêches de certains journalistes qui expliquaient que l'EI opérait de plus en plus la nuit à Mossoul-ouest, y compris avec des snipers. On peut voir un groupe de ces derniers se mettre en position, de nuit: ils ont un fusil Orsis T-5000 russe pris à l'armée irakienne, ou une milice chiite (comme ici il y a presque un an), et un fusil M-14 EBR américain sans doute récupéré sur l'armée irakienne également (on peut en voir un ici, il y a un certain temps). Les six tirs montrés sont tous effectués à plus de 600 m de distance, sauf un (record: 710 m): quatre sont très probablement mortels. Ces images confirment donc la capacité des djihadistes à opérer de nuit. Dans un document interne de l'Etat islamique capturé, et traduit par Aymenn Jawad al-Tamimi, on peut voir que les snipers sont regroupés dans un bataillon réparti entre les brigades d'une même division. Cinq snipers sont attachés à chacune des trois brigades (il y a donc 15 snipers en tout) avec le même armement: un dispose d'un SVD Dragunov, un autre d'un fusil antiaérien bricolé à partir d'un tube de 12,5 (?) mm, un autre d'un fusil improvisé en 14,5 mm, et deux autres d'une arme bricolée à partir d'un tube antaérien de 23 mm.
Sniper de l'EI avec un M-14 EBR muni d'un silencieux et d'une lunette de visée thermique pour le tir de nuit.
L'EI insiste, à la fin de la vidéo, sur les mauvais traitements infligés à la population par l'armée irakienne, comme ce petit garçon sommé de crier "Ô Ali!". Il rend hommage aussi à sa branche média: un des narrateurs de ses vidéos a été tué par une frappe aérienne à Mossoul, et la branche média a également fourni de nombreux kamikazes pendant la bataille (on en voit encore peut-être un dans cette vidéo, d'ailleurs).
En tout cas, le message est clair: l'Etat islamique compte défendre Mossoul jusqu'au bout. Bien qu'il sache que la ville est perdue, le groupe cherche à exploiter au maximum la résistance de la garnison pour sa propagande.
Merci à B. Khabazan.
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