Sanctions économiques : une arme à double tranchant aux conséquences multiples

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FranceSoir
Publié le 24 mars 2022 - 16:18
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Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et le président des Etats-Unis Joe Biden, à Bruxelles le 15 juin 2021
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Kenzo Tribouillard / AFP
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et le président des Etats-Unis Joe Biden, à Bruxelles le 15 juin 2021
Kenzo Tribouillard / AFP

Est-il possible de sanctionner économiquement la Russie ? Oui. Nous l’avons fait ces dernières années. Cette arme a-t-elle été efficace ? Rien n’est moins sûr.

Aujourd’hui, la situation a quelque peu évolué. Certaines sanctions envisagées, de nature différente de celles du passé, pourraient avoir un réel impact sur l’économie russe si elles venaient à être appliquées. Touchés dans un premier temps, les Russes pourraient toutefois engager une riposte « forte » et « douloureuse » contre les pays occidentaux. 

Sanctionner, c’est aussi s’autosanctionner

Si les leviers diplomatiques sont au point mort, ce sont bien des leviers économiques qui sont à nouveau étudiés pour sanctionner l’intervention russe en Ukraine. À l’heure où l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis instaurent un arsenal de « sanctions massives et robustes » selon les mots du chancelier allemand Olaf Scholz, personne aujourd’hui n’est en mesure de prévoir les répercussions de telles mesures sur la Russie, mais également sur les puissances occidentales qui les ont initiées.

Petit tour d’horizon des moyens de sanctions et des conséquences pour les deux parties.

Le gel des avoirs des oligarques et de milliardaires russes

Pour comprendre ce qui se joue, il est important de différencier les oligarques des milliardaires. Si ceux-ci ont en commun l’intérêt pour les affaires et le mode de vie, leurs liens avec la classe dirigeante sont très différents.

Le terme oligarque apparu au début des années 2000 désigne des personnalités de premier plan du monde des affaires en lien avec le pouvoir politique. Depuis 2004, le système oligarchique a été renforcé et structuré par Vladimir Poutine. Ceux-ci ont encore plus été affiliés au maître du kremlin qui les a fait nommer à la tête des conseils d’administration de grands groupes contrôlés par l’État.

Si les pays occidentaux tentent de geler les avoirs des oligarques russes en riposte à l’invasion, il y a peu de chance que cela ait un réel impact. En effet, depuis plusieurs années, Vladimir Poutine a œuvré pour le retour de leurs capitaux en Russie.

« Cette politique a été couronnée de succès : une part croissante des revenus provenant de la corruption est désormais investie dans le pays, et les anciens fonctionnaires n’achètent plus de châteaux en France ou de yachts de haute mer, mais des chaînes de magasins, des complexes de bureaux, des usines et des restaurants en Russie. La différence entre l’élite poutinienne actuelle et celle d’il y a quelques années, est illustrée par l’exemple de deux récents ministres de l’Agriculture: Elena Skrynnik, qui a détenu ce portefeuille de 2009 à 2012, a vu la justice suisse bloquer 60 millions de francs suisses qu’elle conservait sur un compte bancaire à Zurich ; tandis qu’Alexandre Tkatchev, qui a occupé ce poste de 2015 à 2018, a quitté ses fonctions avec plus de 650 000 hectares de terres dans la région de Krasnodar, dont la valeur est évaluée à un milliard de dollars. » note un rapport de l’institut français de l’Institut des relations internationales.

Cependant, toutes les grandes fortunes russes ne sont pas détenues par l’oligarchie russe. Si tous les oligarques sont milliardaires, tous les milliardaires ne sont pas des oligarques. Les milliardaires se différencient des oligarques par une plus grande neutralité vis-à-vis du pouvoir, s’abstenant généralement de toute appartenance politique. Ces derniers, également à la tête de fortunes colossales ont une partie de leur fortune placée en Europe, notamment à Londres.

Un gel de leurs avoirs pourrait les amener à rompre avec une certaine neutralité pour prendre leurs distances avec le maître du Kremlin, surtout si le conflit venait à s’enliser.

Les conséquences d’une suspension d’approvisionnement en gaz

La Commission européenne et les autorités allemandes ont envisagé de suspendre le projet du gazoduc Nord Stream 2 qui devait relier l’Allemagne et la Russie dès le mois de mars prochain. Cette décision apparaît un peu comme de la gesticulation puisque qu’elle ne change absolument rien à la situation actuelle : Nord Stream 1 continue de fonctionner tandis que Nord Stream 2 n’a pas commencé à acheminer de gaz.

En revanche, couper Nord Stream 1 aurait des conséquences dramatiques pour tous les pays européens qui sont dépendants du gaz russe. Une dépendance de 40% pour les pays européens, mais qui peut monter jusqu'à 60% pour l'Allemagne. Une situation qui donne un avantage stratégique à Vladimir Poutine sur les pays européens.

Si le conflit venait à s’envenimer un peu plus qu’il ne l’est déjà actuellement, personne ne sait jusqu’où Vladimir Poutine irait dans la riposte et la question de la sécurité énergétique de l’Europe deviendrait un véritable en enjeu géopolitique.

Toutefois, couper complètement les exportations de gaz et stopper Nord Stream 1 paraît difficilement envisageable. Si les relations entre la Russie et le monde occidental sont tendues depuis la Révolution russe de 1917 et l’arrivée de Lénine au pouvoir, même à l’apogée de la guerre froide entre 1949 et 1953, les Russes n’ont jamais cessé d’approvisionner l’Europe en gaz.

L’exclusion du système Swift

Swift est l’acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Communication. Fondée en 1973, Swift est présentement l’infrastructure interbancaire de messagerie financière la plus couramment utilisée dans le monde. Cette organisation privée dont le siège est à Bruxelles est un système international de paiement qui réunit 200 pays et 11 000 établissements financiers.

Lundi 1ᵉʳ mars, l’Union européenne a exclu sept banques russes du système Swift, mais elle a pris soin d’épargner les établissements financiers liés au secteur des hydrocarbures. Pour ce faire, les 27 pays de l’Union ont voté l’exclusion à l’unanimité de sept banques. L’exclusion de Swift concerne VTP, la deuxième banque de Russie, ainsi que Bank Otkritie, Novikombank, Promsvyazbank, Rossiya Bank, Sovcombank et VEB.

En revanche, Sberbank, la plus grande banque de Russie et Gazprombank n’ont pas été incluses dans cette liste, car ce sont les établissements par lesquels transitent les paiements liés aux hydrocarbures.

Cette décision ne peut se comprendre que lorsqu'on sait que le système Swift est incapable de faire la distinction entre les transactions en autorisant celles qui sont liées aux achats énergétiques tout en excluant les autres. 

En bannissant les banques russes du système Swift, les puissances occidentales espèrent frapper l’économie russe en les privant d’échanges commerciaux.

La Russie va certainement connaître des difficultés à effectuer des paiements transfrontaliers. Sera-t-elle pour autant isolée du commerce international ? Rien n’est moins certain. Prévoyante, elle a depuis la crise de 2014 anticipée son exclusion du système Swift. Pour ce faire, elle a commencé à développer son propre système de paiement appelé SPFS. En fonction depuis 2017, ce système qui n’en est qu’à ses débuts pourrait bien connaître un développement accéléré si le pays se retrouvait privé du système Swift tandis que la Chine qui a prévu cette éventualité rend progressivement compatible son propre système, le CIPF, au nouveau système russe. 

Des sanctions inédites contre la banque centrale de Russie

Ces dernières années, en prévision des tensions à venir, la Russie s’est constituée des réserves de change en devises étrangères, renforçant considérablement sa capacité de résistance économique pour se préparer à vivre en autarcie.

Le gel des réserves détenues par la banque centrale russe à l’étranger est de loin la mesure de sanction qui menace le plus profondément l’économie russe puisqu’elle empêcherait Vladimir Poutine d’utiliser « ce trésor de guerre » selon les mots de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

Désormais, la banque centrale russe ne pourrait pas puiser dans ses réserves de change en euros et en dollars pour stabiliser sa monnaie et éviter que le rouble s’effondre, un effondrement qui a déjà eu lieu lundi 28 février puisque la monnaie a perdu 30 % de sa valeur en une journée.

La stratégie de « dédollarisation ».

Le fond souverain national (FSN)

Dans le cadre d’un regain de tension, la Russie a depuis quelques années, changé ses stratégies monétaires afin de passer outre les sanctions américaines. Elle a choisi de privilégier l’euro face au dollar pour contourner l’embargo qui s’applique sur toutes les transactions effectuées en dollars dans les domaines frappés par les sanctions, y compris si un marché est passé avec des pays qui ne sont pas concernés par cet embargo.

Depuis 2014, les avoirs en dollars ont été considérablement réduits par Vladimir Poutine. Cette stratégie de la « dédollarisation » de l’économie russe a été en partie réussie puisque la part des dollars américains dans le fond souverain national serait quasi nulle tandis que celle de la livre sterling a été abaissée à 5%. En revanche, les proportions de l’euro et du yuan ont été considérablement augmentées.

Cette initiative lui a permis de signer un contrat de 5 millions d’euros avec l’Inde pour un achat de missiles S-400 et de passer outre l’embargo sur les contrats d’armement via la loi extraterritoriale Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) qui signifie contrer les ennemis des États-Unis par le biais des sanctions.

L’achat de gaz russe en rouble

Poursuivant sa stratégie de dédollarisation, Vladimir Poutine a annoncé mercredi 23 mars que la Russie, n’acceptera plus de paiements en dollar ou en euro pour la livraison de son gaz à l’Union européenne, une stratégie qui permettra de renforcer la devise russe qui avait chuté depuis le début du conflit et les annonces de nouvelles sanctions. Pour ce faire, il a donné aux autorités russes une semaine pour construire un nouveau système de transaction en rouble.

Cette annonce a eu un effet immédiat sur le rouble qui s’est redressé face à l’euro et au dollar.

C’est donc un nouveau défi que la Russie lance aux pays européens qui se trouvent désormais dans une impasse. Refuser les nouvelles conditions posées par les Russes pourrait priver les pays européens du gaz dont ils ne peuvent pas se passer. Accepter ces conditions, c’est soutenir le cours du rouble.

En sanctionnant, les pays occidentaux se donnent l’impression qu’ils détiennent encore le monopole de la conduite du monde. Pourtant, contre toute attente, le premier volet des sanctions à l'encontre de la Russie n'a pas eu l'effet escompté. L'essentiel des sanctions imposées jusqu'à présent risque fort de faire augmenter encore l'inflation partout dans le monde tandis que la perspective de famine que l'on croyait à jamais révolue, inhérente aux sociétés anciennes, fait à nouveau son apparition. 

Au-delà de l'aspect économique, l’absence d’effet politique des sanctions est connue depuis longtemps de tous ceux qui veulent bien faire l’effort d’analyser ces décisions unilatérales aux conséquences multilatérales. L’Europe a toute une administration dédiée à produire des textes énonçant les différents régimes de sanctions tous plus inefficaces les uns que les autres. Chacun sait qu’aucune sanction n’a jamais renversé une dictature, bien au contraire puisqu’elles renforcent en général l’adhésion du peuple qui souffre au régime en place. Comme ces sanctions n’aboutissent jamais à un changement de politique, elles ne sont jamais levées. Entêtés et fiers, les pays qui sanctionnent préfèrent persévérer dans l’erreur en les reconduisant automatiquement. Il faut dire que les lever sans avoir obtenu de changement politique, ce serait avouer leur échec.
Engrenage, cercle vicieux, c’est une attitude d’autant plus délétère que cette posture morale est l’arme de ceux qui ne savent plus négocier.

Cette capacité à discuter et à négocier avec intelligence et fermeté, l’Europe, mais également les États-Unis et la Russie, l’ont fait avec succès à des périodes historiques beaucoup plus troublées notamment pendant la guerre froide.

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