Le choc pétrolier, un autre fléau pensé par les usines à gaz de Washington

Auteur(s)
Teresita Dussart, pour France Soir
Publié le 10 mars 2022 - 22:33
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Pétrole.
Crédits
AFP
Les cours du pétrole s'enflamment.
AFP

À mesure que tombent les informations macroéconomiques et que le marché passe de l’extrême volatilité au rouge, il devient de plus en plus clair que si ces mesures sanctionnent unilatéralement la Russie, comme s’il n’y avait pas de responsabilités antérieures, les dommages, eux, sont ceux d’une bombe de défragmentation. L’Europe et, par effet domino, l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie, entreront très vite en récession. Une récession dont certaines analyses n’excluent pas qu’elle ne se transforme en dépression si elle venait à s’étendre dans le temps et dans les proportions propres à une rupture d’approvisionnement de matières premières essentielles. Le choc pétrolier n’est qu’une des expressions de ce scénario, même si on refuse de le nommer par son nom. Certes, c'est un rêve fait réalité pour les fanatiques de la décarbonation et suppôts de Greta Thunberg. En revanche, il s'agirait d'un cauchemar pour les pays émergents et d'une hécatombe pour de nombreuses familles et secteurs productifs européens.

Les sanctions sur le groupe Basic Elément d’Oleg Deripatska, principal fournisseur d’aluminium et actionnaire à hauteur de 47% de l’autre leader du métal, Rusal Aluminium (RuSal), seront déterminantes pour toute la gamme de l’industrie internationale. L’économie mondiale vit à l’heure des diktats extrajudiciaires de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), voire de Joe Biden lui-même, synchronisé aux appels du président Volodymyr Zelensky et de ses exigences relayées sur tous les médias, visant l’internationalisation du conflit. Une attitude qui ne s’était jamais observée auparavant.

Car ces sanctions reposent exclusivement sur les pressantes allégations d’une des parties en conflit, le président ukrainien Zelensky. Or, bien que présenté sous un profil churchillien par les médias occidentaux, le président Zelensky suppurerait de multiples conflits d’intérêts, dans la mesure où il est le protégé d’un oligarque. Et pas n'importe lequel, Igor Kolomoisky. Ce dernier a un intérêt direct dans la guerre économique avec la Russie. Il détient 42% de Ukranafta, le principal opérateur du pétrole ukrainien, au travers de son groupe PrivatBank. Mais il détient aussi des parts majoritaires d’autres entités du secteur, entre autres, JK&Oil and Gas, Kremenchuk Refinery, Ukrannaftoburinnya. Kolomoisky "déteste" la Russie qu’il accuse de l’avoir spolié d'une partie de ses avoirs, après l’annexion de la Crimée. Depuis 2014, il finance le bataillon Prava Sektor. Le fait que Prava Sektor (mieux connu en Occident comme Right Sektor) soit aussi connu pour ses actes antisémites et que Kolomoisky et Zelensky soient juifs, ne doit pas surprendre. En Ukraine, c’est possible. Zelensky n’existerait ni artistiquement, ni politiquement sans Kolomoisky et toutes ses actions doivent être analysées dans le contexte mafieux de son pays. D’autant que l’on observe une authentique guerre de la désinformation.

La situation présente est l’aboutissement de la politique de Victoria Nuland, Haute commissaire aux questions européennes et principale scénariste de l’expansion de l’Otan vers l’Ukraine en 2014. Quelqu’un qui a très bien su jouer du tissu mafieux ukrainien. Son « Fuck the EU » en 2014 traduisait l’idée qu’elle se faisait des quelques réserves que pouvaient encore émettre à l’époque les fonctionnaires européens. D’insupportables atermoiements de son point de vue.

Dans le cadre de son allocution sur les sanctions à l’importation de pétrole et de gaz russe, Joe Biden a eu l’amabilité d’ajouter que les États-Unis « travailleront à faire en sorte que les Européens soient moins dépendants du gaz russe ». Comprendre : en important le gaz et le pétrole américains. Pour les États-Unis et pour le Canada de Justin Trudeau, ces sanctions sont strictement symboliques. Les nations qui les souffrent, d'ores et déjà, sont les pays d’Europe occidentale, surtout l’Allemagne et la Suède, et les pays d’Europe de l’Est. Les États-Unis importent de moins en moins d’énergie fossile russe depuis 2017 et le Canada, plus du tout depuis 2019.

Mais l’administration américaine pense pour nous de manière très out of the box. La semaine dernière, elle a repris langue, ni plus ni moins, avec la narco-dictature de Nicolas Maduro. Pour mémoire, selon l’ACNUR, la république chaviste a produit plus de six millions de réfugiés, seulement au cours de la dernière vague d'exil de 2015. Le Venezuela est une Ukraine en pire. Une plaque tournante de trafic de personnes, outres les réfugiés à proprement parler. C’est aussi, selon l’institut Gallup et l’ONU, le pays qui enregistre depuis 2008 le taux d’homicide le plus important du monde. Il y a trois jours, le président du Guatemala, Alejandro Giammatei, affirmait que 95% des avions transportant de la drogue vers l’Amérique centrale provenaient du Venezuela. Le régime de Maduro enferme ses opposants dans des conditions infamantes. Leopoldo Lopez en est sorti vivant. Beaucoup d’autres n’ont pas pu le raconter. L’ex-vice-président Diosdado Cabello est le chef du Cartel de los Soles disposant, au minimum, du consentement de Maduro. Donc on lèverait les sanctions sur ce narco-régime pour compenser les sanctions qui pèsent sur un Vladimir Poutine, lequel, malgré ses défauts, est le premier président d'histoire de Russie à avoir créé une classe moyenne, d'un pays duquel, à différence de l’Ukraine ou du Venezuela, l’immigration ne constitue pas la seule option de développement économique et personnel pour des millions de citoyens.

Sur le site de PDVSA (acronyme de Petroleos de Venezuela), le président Maduro annonce d’ailleurs qu’il va augmenter la production à deux millions de barils/jours. Une production de toute manière anecdotique au regard du marché international. Pour les âmes sensibles, l’exploitation pétrolière au Venezuela est considérée par diverses ONG comme la plus dégradante pour l’environnement du monde.

L’autre grande idée de l’administration américaine serait de réchauffer les relations avec l’Iran. Après avoir fait la vie impossible au modéré Hassan Rouhani, faisant crouler le pays sous les sanctions, avoir assassiné le Général Quasem Soleimani à un an des élections, relégitimant le secteur conservateur, quoi de plus naturel que d’alléger la vie du faucon Ebrahim Raisi.

Rien de tout cela n'est viable ni ne fait sens. D'autant que le pétrole, le gaz, l’aluminium ne sont pas seuls en cause. Il y a aussi le nickel pour les semi-conducteurs, les fertilisants, les céréales : les dégâts sont systémiques. Un gagnant de cette crise pourrait être la Chine, si, au travers de ses nouveaux accords avec la Russie, notamment avec Gazprom, elle arrive à devenir un acheteur monopolistique des matières premières russes acquises à prix discount. À condition qu’elle-même dépasse sa peur des sanctions qui pourraient s’abattre sur elle. Mais il est fort probable qu’une association stratégique entre la Russie et la Chine rende les sanctions dérisoires au regard de ce qu’elles représenteraient comme pouvoir. Nous ferions alors face à une association asiatique, engendrée par les errements américains, dont les effets nous sont difficiles d'imaginer.

Les aventures de l’administration américaine et ses alliés conduisent les peuples européens vers un choc économique, sécuritaire et institutionnel majeur. D’autant plus idiot que tout ce qu’il fallait faire entre 2014 et 2022 consistait à mettre sur la table les mots Minsk et Otan.
 

Teresita Dussart, ancienne correspondante en Russie, analyste ayant longtemps travaillé dans les pays de l'Est, dont l'Ukraine, est journaliste pour France Soir.

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