Chute de la Silicon Valley Bank (SVB) : vers une crise économique d’ampleur mondiale ?

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Chloé Lommisan, France-Soir
Publié le 12 mars 2023 - 17:45
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Margaritaville - South Park, Saison 13, Épisode 3.
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Capture d'écran par photographie.
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CRISE - Considérée outre-Atlantique comme l'épine dorsale du financement des startups et du secteur de la tech, la Silicon Valley Bank (SVB) a brutalement fait faillite. Partiellement à l’origine de la banqueroute : l’achat de titres adossés à des crédits hypothécaires, un placement qui a perdu toute rentabilité du fait de la hausse des taux directeurs de la Réserve fédérale des États-Unis (FED). Ce schéma rappelle de façon inquiétante la crise des subprimes de 2008, qui a affecté le monde entier. L'administration américaine se veut rassurante et juge peu probable un risque de contagion.

Mercredi 8 mars, un communiqué de la Silicon Valley Bank annonce la vente d’actifs et de produits financiers en vue d’augmenter son capital. Cette annonce alerte immédiatement les habitués de la sphère économique et financière, qui soupçonnent un grave problème de liquidités au sein de la banque. Pris par la panique, les clients et les investisseurs se précipitent pour retirer leurs fonds. Le titre de la SVB perd 60% de sa valeur en bourse le jeudi 9 mars. Son cours est suspendu le vendredi. Le sort de la SVB est scellé. 

Le Département pour la protection financière et l’innovation (DFPI) de Californie prend alors possession de la Silicon Valley Bank (SVB). L’établissement bancaire, spécialisé dans les valeurs technologiques et le financement des startups américaines en venture-capital (capital-risque) est en faillite. Il s’agit de la deuxième plus importante banqueroute de l’histoire des États-Unis, après celle de la Washington Mutual en 2008.

Vente d'actifs, manque de liquidités

En tant que régulateur public, le DFPI délègue à la Société fédérale d’assurance des dépôts (FDIC) le soin de garantir un retrait maximal légal de 250 000 euros à chaque client. Une promesse qui ne pourra être tenue par les autorités qu’à partir du lundi 13 mars.  C’est donc en vain que des particuliers avaient constitué de longues files d’attente devant leurs agences ces derniers jours, par exemple à Menlo Park (comté de Matéo).

Des épargnants ont même dû être évacués par la police manu militari, comme à Manhattan (New York).

Mais l’essentiel de la clientèle de la 16ème banque la plus importante des États-Unis (209 milliards d’actifs) n’est pas constituée de comptes de dizaines de milliers ou de centaines de milliers de dollars. Largement majoritaires au sein des dépôts, certains investisseurs et des fonds d’investissements ont constitué des réserves à la SVB qui se chiffrent en milliards de dollars. L’un d’entre eux est un consortium gestionnaire de monnaie électronique de tout premier ordre : Circle.

Liens avec la monnaie électronique USDC

Cette société, Circle, créatrice de systèmes de paiement, est l’administratrice, via l’une de ses filiales baptisée “Centre”, d’un stablecoin, l’USD Coin (et par ailleurs de l’Euro Coin). Sa caractéristique est d’avoir sa valeur numérique adossée à un actif de référence de monnaie fiduciaire (de l’argent sonnant et trébuchant). Ce qui doit, en théorie, lui conférer davantage de stabilité - d’où son nom.

Circle, dont la capitalisation boursière est de 43 milliards de dollars, avait choisi, toujours dans l’objectif de démontrer la fiabilité de son activité, de s’appuyer à hauteur de 10 milliards de dollars sur plusieurs banques, dont la Silicon Valley Bank. Ses réserves de trésorerie placées auprès de la SVB s'élevaient à près de 3,3 milliards. Ils sont aujourd’hui évaporés.

La garantie de cette somme considérable est désormais soumise au bon vouloir des autorités américaines, sur lesquelles Circle repose tous ses espoirs, dixit sa communication de crise. Le consortium Circle souhaitait maintenir la possibilité que, demain lundi, tout USD “Coin” puisse être échangé pour 1 vrai dollar américain, même en cas de demandes massives, même en cas de retard d’intervention de la FDIC.

Ce vœu fut immédiatement compromis : le cours de l’USDC a perdu dans la nuit de vendredi à samedi son ancrage face au dollar, en tombant à 0,88 dollar. Et la capitalisation totale du stable coin a été minorée d’un milliard de dollars depuis vendredi. Dans quel état sera-t-elle lundi soir ? Déjà impacté par la faillite récente d’une autre banque, la Silvergate, l’USDC pourrait avoir du mal à s’en remettre. 

Chute globale ?

Le risque d’une contagion financière vers les secteurs bien réels de l’économie, vers d’autres établissements bancaires existe. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen a cherché à rassurer publiquement les investisseurs, évoquant un système bancaire américain “résilient”, et cloisonné entre économie virtuelle et économie réelle.

Pour autant, la bourse de New York a fini en baisse vendredi 10 mars. L’indice Dow Jones a perdu plus de 1,07%, le S&P Index 500, très représentatif de l’état de l’économie, 1,45%, et le NASDAQ, qui a souvent été très exposé aux crises des valeurs de la tech, 1,76%. L’état futur de ces indices sera un signal clair de la naissance d’une crise majeure ou au contraire d’un apaisement bien orchestré par les autorités américaines de la finance.

Mais ces baisses font naître dès à présent des craintes importantes pour la santé du secteur bancaire étasunien tout entier. Des grands noms de la finance ont subi des baisses : JP Morgan Chase, Bank of America, Wells Fargo, dont les cours ont chuté jusqu’à 6%, avant de remonter in extremis en fin de semaine dernière. La tendance demeure toujours baissière.

Du côté des entreprises, au cœur du tissu économique, 50% des entreprises américaines de la technologie et des biotechs cotées en bourse ont été en partie financées par la Silicon Valley Bank.

Gary Tan, président et directeur d'une pépinière d'entreprises, annonce d’ores et déjà un ralentissement de l'activité des startups pendant "10 ans ou plus", sans préjudice pour les Big Tech (Google-Alphabet, Meta...), bien plus riches.

De quoi poser de nombreuses questions quant à l’avenir de “l’économie innovante” et à ses emplois, y compris en France : des startups hexagonales, dont la liste sera à préciser ces prochains jours, se sont financées outre-Atlantique auprès de la SVB.

La confiance est l’un des aspects cruciaux de ces tempêtes financières. Des investisseurs de premier ordre tel Peter Thiel (du Founders Fund, référence en venture-capital) ou Union Square Venturs, Founder Collective ou Canaan, ont conseillé aux entreprises en lien avec la SVB de retirer leur argent de la banque de toute urgence.

Ces prises de positions enclenchent un cercle vicieux qui décourage le secteur privé de venir à l’aide de la SVB. À l'exception de... Elon Musk, bien entendu, qui se déclare dans un petit tweet détonant "ouvert à l'idée" de racheter la banque !

Et en ce qui concerne le secteur public, selon une source de Forbes, il serait peu probable que le gouvernement américain s’engage dans la voie d’un renflouement complet de la banque de Santa Clara.

Un remake de 2008 ? Le rôle de la FED

Mais comment la SVB s’est-elle retrouvée dans cette situation ? Le Financial Times détaille le mécanisme qui a piégé l’établissement bancaire

“A decision made at the peak of the tech boom to park $91 billion of its deposits in long-dated securities such as mortgage bonds and US Treasuries, which were deemed safe but are now worth $15 billion less than when SVB purchased them after the Federal Reserve aggressively raised interest rates.”

Les problèmes du groupe bancaire découlent "d’une décision prise au plus fort du boom technologique, de placer 91 milliards de dollars de ses dépôts dans des titres à long terme tels que des obligations hypothécaires et des bons du Trésor américains, considérés comme sûrs mais qui ont perdu 15 milliards de dollars de valeur depuis leur achat par la SVB à cause de l’augmentation agressive des taux d’intérêt par la Réserve fédérale.”

De fait, le 14 décembre dernier, la Réserve fédérale américaine (FED) remontait à nouveau d’un demi-point ses taux d’intérêts. Cette stratégie monétaire avait été tout au long de l’année 2022 menée de façon modérée avec une première augmentation le 17 mars 2022 (de 0,25%), puis le 5 mai 2022 (de 0,50%), puis le 16 juin 2022, (de 0,75%). 

Quel était l’objectif de la manœuvre ? Augmenter les coûts d’emprunt à court terme, soit rendre les prêts plus chers pour tout le monde et voir en conséquence l’offre de crédit diminuer. Ce levier permet en théorie de lutter contre l’inflation qui sévit aux États-Unis depuis 2020. Le risque bien connu d’une telle politique est de voir une réduction de la masse monétaire :  moins de liquidités en circulation peut entraîner moins d’investissements, par exemple dans les entreprises et par conséquent une hausse du chômage. Elle peut aussi révéler des gestions hasardeuses en matière de placement, comme au sein de la SVB.

Le rôle de la Réserve Fédérale américaine, la FED est de contrôler l’inflation et de soutenir un taux de chômage le plus bas possible. Le tout en maintenant des taux d’intérêt à long terme modérés. Après la crise de 2008, les taux ont été ramenés à 0% afin de relancer l’économie. Ce levier a de nouveau été utilisé en 2020 durant la crise de la Covid. Actuellement, la tendance est inverse, et la réduction de la masse monétaire en cours est considérée par certains économistes et analystes comme un marqueur pouvant annoncer des crises majeures.

L’un d’entre eux, Nick Gerli, PDG et fondateur de Reventure Consulting alerte : "ATTENTION : la masse monétaire est officiellement en train de diminuer. Cela ne s’est produit que 4 fois en 150 ans. Chaque fois, une dépression avec des taux de chômage à deux chiffres s’en est suivie."

Son inquiétude quant à une crise majeure historique à venir est-elle justifiée ? Réponse dès ces prochaines semaines.

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