Défendre Salah Abdeslam : le rôle difficile des avocats des grands criminels
Mais comment peut-on défendre des gens pareils? Qualifiés de monstres, d'ennemis publics numéro un, les grands criminels, terroristes ou tueurs d'enfants ont tous eu des avocats. Un principe démocratique pas toujours facile à assurer, entre cas de conscience et stratégie de défense.
"Oui, j'ai hésité", a confié mercredi Me Frank Berton, avocat français de Salah Abdeslam, seul membre vivant des commandos des attentats du 13 novembre, rappelant la difficulté d'un métier "où souvent on assimile l'avocat à son client".
Son confrère belge, Me Sven Mary, a confié à Libération qu'il hésitait à rester dans ce dossier qui lui a déjà valu des agressions verbales et physiques, et l'a contraint à faire protéger ses filles sur le chemin de l'école.
"Bien sûr qu'il y a des gens qui ne comprennent pas quelle est la mission qui est la mienne aujourd'hui (...) mais nous sommes dans une démocratie et Salah Abdeslam est un homme, il a besoin de dire les choses. La justice se rend quand on comprend les choses, sinon il n'y a pas de sens aux procès, pas d'utilité pour les victimes", a fait valoir Frank Berton sur France 2.
"Chapeau. C'est un confrère qui n'a rien à prouver et que des coups à prendre dans cette affaire", a salué le célèbre avocat "twittos" Me Eolas.
De Landru le tueur de femmes à Youssouf Fofana, l'assassin d'Ilan Halimi, en passant par Patrick Henry, tueur du petit Philippe Bertrand, la question de la défense d'hommes considérés par l'opinion publique comme des "monstres" s'est toujours posée. Et les avocats y ont répondu par des stratégies différentes.
Défenseur de Barbie, Pol Pot ou Milosevic, Me Jacques Vergès transformait les prétoires en tribunes politiques. Il appliquait une défense de rupture, expérimentée durant la guerre d'Algérie dans la défense des poseurs de bombes du FLN, consistant à récuser le droit des tribunaux à juger ses clients. A l'inverse, Sven Mary a traité son client Salah Abdeslam, avec son accord, de "petit con", une stratégie visant à minimiser sa responsabilité.
"La défense est obligatoire en cour d'assises, c'est les règles fondamentales de la démocratie", rappelle à l'AFP Me Henri Leclerc qui avait failli être lynché lorsqu'il avait défendu en 1989 Richard Roman, accusé d'avoir violé et tué une fillette de 7 ans. Malgré la vindicte populaire, il avait décroché l'acquittement.
"Le rôle de l'avocat, c'est d'être présent pendant l'instruction pour vérifier la légalité de la procédure, que tous les éléments qui peuvent lui être favorables soient bien pris en compte. A l'audience, il doit pouvoir intégrer la défense de son client, s'il n'y arrive pas, s'il a des problèmes de conscience, il faut qu'il s'en aille", dit-il.
"L'avocat ne défend pas un crime mais un criminel. Et si l'on juge sa faute, c'est déjà qu'on le considère en tant qu'être humain", ajoute-t-il.
"Il faut juger les gens pour ce qu'ils ont fait et pas pour la crainte qu'ils nous inspirent", abonde Me Martin Pradel, avocat de nombreux jihadistes.
"Ce dont nous aurions besoin, c'est de regarder Abdeslam comme un criminel présumé et pas comme une sorte d'épouvantail, pas comme une addition de toutes nos peurs. Cela devient presque blasphématoire de dire qu'il bénéficie de la présomption d'innocence. Cela dit bien que, d'une certaine façon, on est déjà hors du droit", selon lui.
"Lorsque quelqu'un nous sollicite alors que son destin est en jeu, c'est une marque de confiance qui nous honore", explique Me Christian Saint-Palais, qui a récemment défendu le braqueur multirécidiviste Redoine Faïd.
"Nous sommes là pour faire rempart, lorsque quelqu'un est l'objet du mépris ou de la haine du corps social", ajoute-t-il. "Il faut guetter les médias, veiller aux conditions de détention. Et puis mettre en place une stratégie de défense, se demander comment user du droit au silence par exemple, et si l'on en use".
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