"Je suis éleveur, je meurs" : le cri de détresse des agriculteurs au Salon
Lettres blanches sur fond noir, sur des t-shirts ou des banderoles accrochées aux stalles des vaches, le slogan s'étale sous le nez des familles en visite au Salon de l'agriculture: "Je suis éleveur, je meurs". Un cri de désespoir impossible à rater, dans l'immense pavillon 1 qui accueille taureaux et vaches de concours, porcelets dodus et moutons touffus.
Avant l'arrivée des visiteurs, le président François Hollande y a été hué et insulté dès l'aube, par des éleveurs laitiers en particulier, excédés par la chute des prix de leur production et l'effondrement de leurs revenus. "On ne veut pas vivre décemment, on veut vivre tout court. Pour l'instant c'est l'agonie", assène Marion Quartier, éleveuse de vaches laitières dans l'Aube, qui trouve "terrible d'être la dernière d'une génération".
Thomas Guiavarc'h, 22 ans, travaille dans la ferme familiale dans le Finistère, où vivent 80 Prim'Holstein blanches et noires, les championnes de la production laitière. "J'avais en tête de reprendre l'exploitation à la retraite de mon père. Mais là je n'ai plus envie de m'installer", confie à l'AFP le jeune homme qui envisage plutôt de trouver un emploi salarié dans le secteur agricole.
Même crainte chez Brice Bompas, 23 ans, venu du Maine-et-Loire où il est salarié dans un élevage. Avec un camarade, "on devait reprendre l'exploitation mais c'est repoussé car les banques ne veulent pas suivre", explique-t-il. Pour agrandir la salle de traite, il a besoin d'investir 100.000 à 200.000 euros.
Le salon reste une occasion rare de rencontrer des collègues d'autres régions et de partager leurs déboires. "On se rend compte qu'il y a partout des cas dramatiques. J'ai parlé avec des éleveurs du sud-ouest dont les laiteries ont dénoncé les contrats car elles n'avaient plus besoin d'eux. Ils ne savent même plus où livrer leur lait", raconte Alban Varnier, membre du collectif d'éleveurs de Prim-Holstein qui a fait fabriquer les t-shirts noirs avec lesquels ils ont accueilli le chef de l'Etat. Imprimé sur sa poitrine: "Elevage français, état d'urgence".
Un œil toujours posé sur leurs bêtes, beaucoup évoquent "les dépôts de bilan, les suicides. On en entend parler tous les jours". Au dessus de la tête de magnifiques vaches Simmental, beige clair tachetées de blanc, une immense banderole: "Je suis le top de la qualité française, mais ma passion ne suffit plus". Posé dans la paille, un panneau interpelle le visiteur: "Mon lait est vendu 28 centimes (en dessous du prix de revient bien supérieur à 30 centimes, NDLR), vous l'achetez un euro".
"Le consommateur n'a plus la réalité du coût des choses. Il va acheter des vies de Candy Crush (un jeu sur téléphone mobile, NDLR) à 99 centimes et ne va pas mettre 40 centimes dans un litre de lait", déplore Marion Quartier.
C'est d'ailleurs pour communiquer avec le public que les éleveurs ont ignoré les appels au boycott. "Ce serait dommage de boycotter car ces visiteurs sont aussi nos consommateurs. On vient pour discuter. S'il n'y avait pas ça, on ne serait pas là", commente Philippe Vasseur, éleveur de cochons dans la Sarthe, qui ne vit plus que grâce au salaire de son épouse.
Les éleveurs porcins, à la pointe des manifestations et blocages de route ces dernières semaines, sont moins revendicatifs au salon, où sont présents surtout les représentants de micro-filières de qualité (cochon de Bigorre, du Limousin...), moins touchés par l'effondrement des prix que la filière standard.
Les coeurs sont lourds, mais le salon est aussi une bouffée d'air. "On parle un peu de la crise mais pas seulement. On est là pour se changer les idées, oublier le quotidien, ne pas rester enfermés chez nous", confie Brice Bompas. Comme le jeune homme, la plupart sont venus "par passion". De leurs animaux, et des concours agricoles, qui mettent en valeur leur travail et donneront une valeur ajoutée à leurs productions. "Le métier est assez difficile comme ça au quotidien. Si on n'a pas la passion, c'est le bagne", glisse Alban Varnier.
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